Lettre adressée par Pasde0deConduite à M. Jacques Chirac, le 9 octobre 2006
Monsieur le Président,
Au printemps dernier, l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » a été soutenu par près de 200 000 signataires et plusieurs dizaines d’organismes professionnels et parentaux. Nous avons alors alerté les pouvoirs publics sur les dangers d’établir des liens prédictifs entre certaines difficultés comportementales d’un enfant et une évolution vers la délinquance. Nous avons dénoncé le leurre que constituerait la mise en place d’un dépistage systématique de troubles du comportement pendant l’enfance. Nous avons aussi souligné les conséquences préjudiciables de l’amalgame entre d’une part la prévention de la délinquance et d’autre part les soins psychiques, le soutien éducatif et la relation d’aide.
Le débat scientifique et de société engagé avec « Pasde0deconduite » a permis d’obtenir que le gouvernement renonce à inscrire des dispositions sur le dépistage précoce de troubles comportementaux dans son projet de loi sur la prévention de la délinquance.
Cependant le projet de loi de prévention de la délinquance, récemment voté par le Sénat en première lecture, suscite encore nos plus vives préoccupations. Il maintient en particulier la levée du secret professionnel pour « les acteurs sociaux et les professionnels de santé » (cf. exposé des motifs du projet de loi) au profit du Maire pour le cas où « l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille (…) appelle l’action de plusieurs professionnels dans les domaines sanitaire, social et éducatif relevant des compétences du maire » (cf. art. 5 du projet de loi dans la version adoptée par le Sénat en première lecture le 21 septembre 2006). La désignation par le Maire d’un coordonnateur et le croisement d’informations avec le Président du Conseil général ne retirent rien au fond de ces dispositions : il s’agirait pour les professionnels de santé ou de l’action sociale d’informer le Maire de difficultés qui relèvent d’un soutien social, éducatif ou de soins, au nom de la prévention de la
délinquance.
Comment sauvegarder l’espace de confiance nécessaire entre les familles et les professionnels pour un travail de prévention efficace et de qualité, si les personnes qui évoquent des difficultés rencontrées dans l’exercice de leur fonction parentale et de leur vie privée auprès des acteurs sociaux sont systématiquement signalées au Maire ?
Cette disposition, si elle était adoptée, affaiblirait gravement le secret professionnel institué dans le code pénal, non en faveur des professionnels, mais pour offrir aux citoyens les garanties de protection de
l’intimité de leur vie privée. Or, c’est justement parce qu’ils savent cette confidentialité protégée que les parents acceptent de faire part de leurs difficultés les plus graves et de demander de l’aide aux professionnels qui sont alors fondés à élaborer avec eux des mesures de prévention ou de soins.
Rappelons qu’il est d’ores et déjà prévu, pour la protection de l’enfance en danger, un cadre législatif dérogatoire au principe du secret professionnel jugé suffisant, dans le cadre de la préparation du projet de loi de protection de l’enfance.
Ainsi, l’adoption de l’article 5 du projet de loi de prévention de la délinquance, loin de permettre une meilleure prise en charge de familles et d’enfants en difficulté, risque de rompre leur confiance et de les
éloigner durablement des professionnels et institutions chargés des soins, de la prévention, de l’éducation. Les acteurs sociaux, de santé et d’éducation d’une part, et les acteurs oeuvrant dans le champ de la sécurité
d’autre part, doivent pouvoir travailler en complémentarité de leurs missions, mais pas dans la confusion des rôles. C’est pourquoi il faut renoncer à toute disposition de signalement systématique des difficultés
des personnes ou des familles au Maire.
A ce sujet, plusieurs instances officielles ont récemment alerté le gouvernement sur le risque majeur que constituerait cette abolition programmée du secret professionnel : la Commission Nationale de
l’Informatique et des Libertés dans son avis du 13 juin 2006 sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, le Conseil National de l’Ordre des Médecins dans le cadre des « Observations du CNOM sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance » publiées le 13 septembre 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme dans son avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance adopté le 21 septembre 2006, le Conseil Supérieur du Travail Social dans son avis sur l’avant projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et sur le projet de modification de l’article 226-14 du Code pénal rendu le 17 mai 2006.
De nombreux Maires sont, de leur côté, intervenus dans le débat en indiquant que leur mission relève avant tout de la médiation et non de la sanction, qu’il convenait de ne pas mélanger les rôles de l’élu, du juge judiciaire et de la police et que les pouvoirs accrus conférés au Maire risqueraient d’induire une confusion de genres.
Nous nous tournons vers vous au moment où la représentation nationale se trouve placée devant la responsabilité de préserver les fondements du secret professionnel, composante de notre pacte social et démocratique.
Nous requérons solennellement votre intervention auprès du ouvernement et des parlementaires pour qu’ils renoncent à toute disposition portant atteinte au secret professionnel en supprimant l’article 5 du projet de loi de prévention de la délinquance.
Nous sollicitons une audience afin d’échanger avec vous sur cette question essentielle de la prévention, des soins et de la sauvegarde du secret professionnel.
Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre considération la plus respectueuse.
– Professeur Bernard GOLSE, Chef de service de pédopsychiatrie, CHU Necker Enfants-Malades
– Professeur Pierre DELION, Chef de service de pédopsychiatrie, CHRU de Lille
– Professeur Gérard SCHMIT, Président du Collège de pédopsychiatrie de la Fédération française de psychiatrie
– Professeur Roland GORI, Psychanalyste, Professeur d’Université
– Dr François BOURDILLON, Président de la Société française de santé publique
– Dominique RATIA-ARMENGOL, Vice-présidente de l’Association Nationale des Psychologues pour la petite enfance (ANAPSY-pe)
– Dr Christine BELLAS CABANE, Présidente du Syndicat national des médecins de PMI
– Dr Pierre SUESSER, Vice-président du Syndicat national des médecins de PMI
– Jean-Louis QUEHEILLARD, Secrétaire général du Syndicat national des psychologues
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