Tribune libre
Punir les pauvres
Depuis le printemps 2004, l’Union syndicale de la psychiatrie (USP) s’est engagée avec le collectif national unitaire dans la lutte contre le projet de loi dit de prévention de la délinquance. Il s’agissait de dénoncer l’instrumentalisation de la psychiatrie et de l’ensemble du sanitaire, mais aussi celle des enseignants, des travailleurs sociaux et des éducateurs à des fins de contrôle social.
L’ensemble des syndicats de psychiatres s’est depuis le début de l’été mobilisé pour demander le retrait de tous ce qui concerne l’organisation des soins en psychiatrie. Le conseil de l’ordre des médecins et la commission nationale consultative des droits de l’homme ont manifesté sans effet leur inquiétude concernant les atteintes au secret professionnel
et le « recul des droits de la personne fragile ou malade ».
Il s’agissait aussi et surtout pour l’USP de dénoncer la confusion entretenue entre délinquance, précarité, fragilité, absentéisme scolaire, santé mentale, voire immigration, qui sous-tend l’ensemble des propositions. Faut-il dès lors s’étonner de voir apparaître dans la dernière version du projet adoptée le 21 septembre 2006 des articles concernant les gens du voyage et les chiens méchants… L’esprit du texte, sa volonté évidente de constituer par association une « image type du supposé nuisible », est ainsi complété et conforté. Ce projet s’apparente ainsi plutôt
à un texte de propagande populiste visant à dédouaner a priori les élus de toute responsabilité politique, par la stigmatisation de millions d’individus.
La mauvaise foi et le cynisme sont des armes redoutables, comme nous l’avons vu dans le cadre de la réforme de l’Assurance maladie, avec M. Douste Blazy, le contrôle des chômeurs et le droit du travail avec M. de Villepin, la justice à 2 vitesses avec M. Perben ; la recherche de bouc émissaire, l’affirmation que des parasites et des profiteurs corrompent le système à chaque fois favorisent le consensus. L’ennemi est intérieur, c’est votre voisin de palier, celui qui n’a pas l’air de travailler, qui est trop vieux, qui a une drôle de tête ou une drôle de couleur, vous l’avez toujours su…
Peu importe si ces affirmations poussent à la haine, la violence, les règlements de comptes, c’est ailleurs que cela se passe, chez les pauvres, les précaires, les vilains, tout en justifiant une nouvelle escalade de la répression. Un tel système, qui se nourrit de la délinquance, du chômage et de la précarité, n’a aucun intérêt à les voir reculer.
Gageons que lors de la discussion au Parlement, nous découvrirons pour le plus grand plaisir des rédactions l’histoire d’une petite fille tzigane mordue par le chien méchant d’un SDF sans papiers sortant d’une hospitalisation d’office et élevé dans un quartier sans vidéosurveillance, régulièrement absent à l’école, dont les parents chômeurs, fraudeurs aux allocations familiales, avaient pourtant rencontré deux travailleurs sociaux et un psychiatre… Pour permettre la liquidation des services publics et le renoncement à toutes les avancées d’après-guerre, il faut conforter l’idée qu’une partie de la population (les autres, évidemment) n’est pas digne de l’attention qu’on lui porte. Surveiller et punir deviennent alors les seules orientations crédibles quel qu’en soit le coût financier et social. Les soins seront eux évalués au mérite, sur la base de la valeur marchande de l’individu. L’eugénisme social est ainsi assumé pleinement et sans complexe, la réponse à la précarité des conditions de vie doit être une politique de simple gestion des « débordements ». C’est pour combattre ces orientations inacceptables et dangereuses que l’USP s’est engagée dans le CNU mais aussi dans le processus des états généraux de la santé et de l’assurance maladie (EGSAM) qui doivent se tenir les 21 et 22 octobre
à Bobigny pour rédiger un manifeste pour la santé.
Par Pierre Paresys, président de l’Union syndicale de la psychiatrie.