Lettre ouverte au ministre de la Santé
Monsieur Xavier BERTRAND
Ministre de la Santé et des solidarités
Alors que les gouvernements et plus particulièrement le ministère de la Santé s’ingénient à détruire le service public de santé dans sa définition politique, et donc dans sa mission, alors que le ministère de l’Intérieur tente d’organiser l’instrumentalisation de la psychiatrie à des fins sécuritaires et de contrôle social, quelle crédibilité peut-on accorder à une mission ministérielle sur la démographie médicale hospitalière ? Ne s’agit-il pas là d’une attitude de pompier pyromane ?
Les réformes engagées depuis 2002 sont parfaitement cohérentes et visent toutes à abandonner le principe de solidarité au profit d’une politique de marchandisation de l’individu et de contrôle social. Les soins sont évalués au mérite, sur la base de la valeur marchande de l’individu. Le parcours de soin, le dossier médical partagé sont imposés pour les plus pauvres.
En dehors même des difficultés liées à la démographie médicale et des budgets hospitaliers, l’accès aux soins est de plus en plus souvent compromis, et cela s’est particulièrement aggravé depuis la réforme de l’Assurance maladie. De nombreux patients « choisissent » de renoncer aux soins pour des raisons financières particulièrement en hospitalisation, mais le plus souvent en amont en raison de l’humiliation que représente la démarche sociale d’aide. C’est ce défaut de soins qui coûte cher et coûtera très cher à moyen terme financièrement, mais surtout en niveau de souffrance de la population.
Il nous faut donc à nouveau dénoncer la violence des « réformes », mais aussi les mensonges des ministres successifs qui, en diminuant le niveau de solidarité et en privatisant la prise en charge de la santé, provoquent non pas une réduction, mais une augmentation du coût global, comme aux Etats-Unis qui dépensent 15 % de leur PIB pour la santé (moins de 10 % en France) pour un système qui exclut 42 millions de personnes.
C’est en effet cette orientation qui est prise depuis plusieurs années et la réforme hôpital 2007 vient aggraver cette situation en accentuant les inégalités par une sélection des activités rentables pour une population rentable afin de tenter d’équilibrer les budgets des hôpitaux et de satisfaire à une idéologie de la concurrence.
L’attaque de notre statut et de l’indépendance de notre exercice professionnel était dès lors prévisible et inévitable. Cette réforme, avec sa tarification à l’activité et la mise en concurrence, encourage avant tout l’activité et la demande de soins là où elle est possible, parce que l’offre existe et que la population a les moyens de demander et de « consommer ». Il en sera de même pour la « T2a like en psychiatrie ».
L’indépendance des médecins hospitaliers doit donc être attaquée par une fragilisation de leur statut et un intéressement pour mieux imposer ces orientations et tenter ainsi de déculpabiliser les praticiens en les déresponsabilisant (coupable mais pas responsable). C’est sur ordonnance ministérielle que l’abandon de soin est ordonné, mais c’est par l’administration qu’il est organisé.
Dès lors, qui peut souhaiter s’engager dans le service public, et n’est-ce pas là finalement l’ultime étape permettant par une « organisation ciblée » de la pénurie dans les hôpitaux d’en faciliter la fermeture ou d’en finaliser la privatisation ?
Que dire de la psychiatrie dont les réformes semblent se décider au ministère de l’Intérieur (cf. La lettre ouverte à messieurs Hagelsteen et Sarkozy) et ou malgré des discussions le ministère de la santé se range à son avis (Décret n° 2006-1104 du 1er septembre 2006 relatif au contrat de responsabilité parentale) pour stigmatiser, réprimer des familles et participer ainsi à l’instrumentalisation des travailleurs du champ social ? Nous demandons le retrait immédiat de ce texte.
La généralisation du recueil d’informations médicales en psychiatrie (RIM-Psy) prévue début 2007 ne relève-t-elle pas de la même inspiration ? Après l’échec de l’expérimentation du PMSI en psychiatrie pour déboucher sur une T2A en psychiatrie, celle-ci représente un passage en force qui ne peut s’expliquer que par la volonté d’habituer les services de psychiatrie à recueillir des données « en routine », sans s’interroger sur leur pertinence, favorisant le passage d’une psychiatrie du sujet à une psychiatrie de la traçabilité des actes. Au passage vont continuer à se constituer de grands fichiers nominatifs avec des données sensibles, dans tous les établissements psychiatriques. Cela doit cesser.
L’instance de suivi et de concertation du plan psychiatrie et santé mentale est, en l’état actuel, à l’opposé d’un espace de débat démocratique : par la technique des questions venant de la salle et des réponses apportées par la tribune (le ministre et les responsables ministériels de la santé et du social) ces dernières closent la discussion.
Discuter de la démographie médicale hospitalière, c’est revoir toutes ces orientations dans le cadres de véritables négociations.
L’USP rappellera alors son attachement à la notion de pluralité de l’offre de soins, impliquant l’existence d’un service public de psychiatrie avec un budget spécifique basé sur une planification en santé mentale sur des considérations socio-démographiques et non sur une régulation médico-économique basée sur la productivité hospitalière.
Nous rappellerons aussi notre opposition à toute forme d’intéressement et notre préférence pour l’équation : statut unique et à travail égal salaire égal.
Il s’agira enfin de faire cesser toute instrumentalisation de la psychiatrie en particulier à des fins de contrôle social.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de mes salutations distinguées.
Pierre PARESYS
Président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie