La délinquance n’est qu’un aspect d’un fléau diffus qui touche la famille, l’école, la société.
Une stratégie contre la violence
Par Jean-Marie LE GUEN, député de Paris.
La dérive violente d’une partie de la jeunesse fait la une de l’actualité récente. Fera-t-elle aussi notre prochain président de la République ? Elle semble, en tout cas, nourrir le programme de Nicolas Sarkozy, qui estime y apporter une réponse imparable : l’alliance de l’exaltation de la lutte contre la délinquance juvénile et de la montée en puissance de la spirale répressive.
Pourtant, l’accroissement de cette violence est un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, mais qui ne peut pour autant se résumer à la seule question de la délinquance à laquelle on veut souvent la réduire. Les chiffres alarmants concernant les actes violents commis à l’école comme ceux de l’augmentation du nombre de violences à la personne sonnent comme un démenti aux déclarations d’autosatisfaction de Nicolas Sarkozy. Ils prouvent surtout l’erreur de diagnostic et de stratégie du ministre en responsabilité depuis quatre ans, si son véritable objectif est la recherche de la paix civile et de la sécurité des biens et des personnes. Il suffit de se rappeler la crise des banlieues de l’automne dernier pour avoir quelques doutes sur les intentions de M. Sarkozy. Ses propos provocateurs ne furent-ils pas à l’origine des troubles ? Pour tirer des bénéfices personnels de la mise en scène spectaculaire du retour à l’ordre public, fallait-il à ce point exacerber la violence d’une crise sociale latente au risque d’abîmer la cohésion de notre pays et son image à l’étranger ?
Nicolas Sarkozy fait donc fausse route en ne prétendant s’attaquer qu’à la délinquance et en négligeant son véritable terreau : la diffusion de la violence dans la société. La première n’est qu’une des expressions les plus visibles de la seconde, véritable fléau sociétal, authentique épidémie résultant des bouleversements de notre environnement social et culturel. Certes, la violence est une dimension naturelle de l’être humain. Mais ce qui est aujourd’hui en cause dans les transformations que connaît notre société, c’est le défaut d’apprentissage de sa maîtrise et la banalisation de son expression, y compris dans ses formes extrêmes. La montée de cette violence est une question encore trop peu étudiée dans notre pays. Notre retard en la matière conforte malheureusement la persistance de certains raccourcis théoriques tels que le recours aux envolées sur les effets néfastes de la pensée de 1968. Argument bien absurde au regard de la réalité sociale ! Thèse malheureuse, qui ignore que le jeune violent a été le plus souvent lui-même la victime de maltraitances dans son enfance.
Cette violence s’exprime, d’abord, dans les relations quotidiennes, à l’école, dans les cités ou dans les familles, en particulier en direction des femmes. Mais elle se développe aussi par des attitudes irrespectueuses, discriminantes, voire racistes, dans les institutions et, a fortiori, de la part de certaines autorités publiques.
Nicolas Sarkozy ne s’intéresse pas à la réalité de cette violence. Il est vrai que, selon lui, comprendre serait déjà faiblir, puisque l’affirmation de la force est au coeur de sa stratégie politique et médiatique. Certes, on ne répond pas à la délinquance juvénile par la seule prévention. On ne construit pas une société démocratique et égalitaire par le laxisme. Mais on ne résout certainement pas le problème de la violence endémique dans notre société par la seule mise en scène d’une violence policière, aussi légitime soit-elle.
Pourtant, Nicolas Sarkozy a reconnu lui-même, au moins implicitement, les insuffisances de la logique policière et judiciaire. Dans son projet de loi sur la prévention de la délinquance, il prétend prendre en compte les troubles du comportement, mais uniquement pour en rechercher le caractère pseudo-prédictif et embrigader soignants et professionnels de l’enfance dans sa logique répressive. Dans le même mouvement, il assimile le malade psychiatrique à un délinquant. En un mot, il rêve l’alliance cauchemardesque d’une politique pénale et d’une psychiatrie utilitariste.
Nicolas Sarkozy ne cesse de prouver son allergie aux politiques sociales. Obnubilé par les comportements violents, il fait fi des déterminants qui les nourrissent. Adepte du tout-répressif, il balaie d’un revers de main la prévention et la pédagogie. Son aversion est telle que dans son texte sur la délinquance il a refusé d’inclure les dispositions consensuelles du projet de loi sur la modernisation et le renforcement de la protection de l’enfance. Il est aujourd’hui prouvé que la violence subie et la violence commise sont intrinsèquement liées.
Il est temps de passer à une stratégie de mobilisation de la société contre la diffusion et l’aggravation de la violence. Cette orientation doit être conçue comme une priorité de politique sociale. C’est une stratégie à mener à tous les niveaux, par tous les moyens : dès le plus jeune âge, par la prise en compte des problématiques de la santé mentale juvénile, non pour la mettre sous la coupe répressive, mais pour lui donner les moyens de dépister et d’agir dès que les premières souffrances s’expriment ; par la relance de la politique de protection de l’enfance ; par une politique efficace de lutte contre les addictions qui dépasse le seul volet répressif ; par l’éducation et le soutien familial et scolaire ; par l’apprentissage, via le sport, du contrôle de sa propre violence. Une stratégie enfin qui passe par des campagnes contre la violence faite aux femmes, question toujours aussi alarmante et décisive. Mais nous devons aussi nous préoccuper de l’environnement social de ce fléau. Ouvrir le débat sur la trop grande facilité d’accès aux images violentes, de banalisation de la cruauté et de la pornographie, dans les films et jeux vidéo.
Le rôle de l’Etat est de faire de la lutte contre la violence une priorité ; de la débarrasser de la stigmatisation et des tentations de guerre sociale auxquelles se livre Nicolas Sarkozy ; et d’être lui-même exemplaire dans le respect des personnes, dans ses services publics notamment. Le rôle de l’Etat est de mettre en oeuvre cette autre stratégie qui reconnaît la violence dans la société pour la combattre, s’arme des outils adéquats dans cette lutte et ne reste pas dans la confusion des causes et des effets, qui nourrit le cercle vicieux de l’inefficacité. Le rôle de l’Etat est, enfin, de pleinement accompagner les enfants de la République, de l’entrée dans la vie aux prémices de l’âge adulte, en valorisant de toutes les manières leur capital humain, enjeu crucial pour notre présent et défi majeur pour notre avenir.