Délibération de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité au sujet de la discrimination dont sont victimes les bénéficiaires de la CMU
Délibération n°2006-232 du 6 novembre 2006
Le Collège :
Vu le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Vu le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
Vu la loi n°98-657 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998,
Vu la loi nº 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle,
Vu la loi n°2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique,
Vu l’article 1110-3 du code de la santé publique,
Vu l’article R 4127-7 du code de la santé publique,
Vu la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité,
Vu le décret n°2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité,
Sur proposition du Président,
Décide :
La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a été saisie par courrier du 30 juin 2006 par le Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins (COMEGAS), d’une réclamation relative aux refus de soins opposés aux patients bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU). Cette étude réalisée sous forme de test de discrimination et menée dans 6 villes du Val-de-Marne, a mis en exergue le taux de refus d’accès aux soins des personnes bénéficiaires de la CMU : 4,8% de refus opposés par les médecins généralistes et 41% par les médecins spécialistes.
Le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (…) ».
Le Conseil constitutionnel a qualifié, dès 1975, ce droit de principe à valeur constitutionnelle. Le droit à la protection de la santé est doublement consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : sous l’angle de la protection de la santé publique et sous celui de la protection du droit à la santé de chaque individu.
L’article 12 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, engage les Etats à reconnaître « le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 67 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions « L’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies constitue un objectif prioritaire de la politique de santé publique ».
Cet objectif a été concrétisé par la loi nº 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle et constituée d’une couverture maladie de base et d’une assurance complémentaire maladie gratuite.
Selon les dispositions de l’article 1110-3 du code de la santé publique « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention et aux soins ».
Dès lors, tout refus d’accès à la prévention ou aux soins opposé par un professionnel de santé aux bénéficiaires de la CMU est en opposition avec les mesures et les objectifs du législateur émis dans le cadre des textes précités, et constitue une discrimination au sens de la loi et des engagements internationaux.
Il convient de rappeler qu’aux termes de l’alinéa 1er de l’article 7 du code de déontologie médicale, dont les dispositions sont reprises à l’article R 4127-7 du code de la santé publique, un principe général de non discrimination est énoncé « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard ». Par conséquent, le refus d’accès aux soins opposé par les professionnels de santé aux bénéficiaires de la CMU constitue une violation des principes déontologiques.
Conscient des difficultés que peuvent rencontrer les praticiens, le Collège constate la discrimination portée à sa connaissance.
Pour prévenir la réitération de tels faits discriminatoires, le Collège de la haute autorité recommande au Conseil National de l’Ordre des Médecins d’informer les professionnels de santé, notamment du secteur libéral, du caractère discriminatoire du refus d’accès à la prévention et aux soins à l’encontre des bénéficiaires de la CMU et des conséquences de telles pratiques, eu égard aux mesures disciplinaires qui pourront être prises à leur encontre ;
Le Collège de la haute autorité recommande au ministre de la santé et des solidarités, de prendre les mesures nécessaires et appropriées pour mettre un terme à ces pratiques discriminatoires et, dans un objectif de sensibilisation des bénéficiaires de la CMU, invite les organismes de sécurité sociale en charge du dispositif, à leur transmettre une information sur leurs droits aux soins, sur le caractère discriminatoire d’un éventuel refus, ainsi que sur les modalités de saisine du Conseil départemental de l’ordre des médecins et de la HALDE ;
Par ailleurs, le Collège de la haute autorité décide d’adresser une copie de la présente délibération aux instances nationales œuvrant et intervenant dans le champ de la prévention et de la santé publique : l’Académie Nationale de Médecine, le Conseil Supérieur de l’Hygiène Publique de France, le Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, le Haut Comité de la Santé Publique, la Haute Autorité de Santé, l’Ecole Nationale de la Santé Publique ;
Enfin, pour disposer d’un bilan élargi à l’ensemble du territoire national des conditions d’accès aux soins des personnes bénéficiaires de la CMU, le Collège de la haute autorité invite l’Inspection Générale des Affaires Sociales à mener une étude sur le sujet.
Il sera rendu compte à la haute autorité, du suivi de l’ensemble de ces recommandations dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente délibération.
Le Président
Louis SCHWEITZER