PARIS, 23 novembre 2006 (APM)
Les intersyndicats de médecins hospitaliers émettent de sévères critiques sur le rapport sur la démographie médicale hospitalière établi par la mission conduite par le Pr Yvon Berland.
Les organisations concentrent leurs flèches sur la partie du rapport relative à la situation actuelle et aux prévisions démographiques, donc pas sur le constat lui-même mais sur le fait qu’il est connu depuis longtemps.
« Nous sommes d’accord avec le constat établi. Mais cela fait au moins 15 ans qu’on le dit, en particulier pour la psychiatrie », souligne le Dr Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH).
« C’est le septième rapport en 10 ans. Ce n’est qu’un rapport de plus », dénonce le Dr Rachel Bocher, présidente de l’intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH).
« Les descriptions ont le mérite d’être importantes en volume mais ont le défaut de ne pas être exhaustives ni précises », considère le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), en notant que la mission propose d’ailleurs en conclusion de mettre en place un système d’information adapté en vue d’une meilleure connaissance de la démographie médicale.
Les organisations syndicales se montrent encore plus sévères sur les propositions émises par la mission Berland, estimant qu’elles n’ont, dans leur ensemble, rien d’original et sont insuffisantes.
La présidente de l’INPH constate en outre que ce rapport sort alors que le décret sur le nouveau statut des praticiens hospitaliers a déjà été publié sans tenir compte des constats de ce rapport ou des précédents.
« Le rapport Berland n’émet de toute façon aucune proposition chiffrée sur les revalorisations et aucun calendrier. Il ne dit rien sur la manière de rémédier aux déserts médicaux et sur l’installation », déplore-t-elle.
Pour le président de la CMH, les préconisations sont un « carottage » de « sédiments de propositions déjà émises au cours des trois-quatre dernières années » et se caractérisent en partie par la « langue de bois ».
Il dénonce lui-même la « frilosité » de la mission et les termes « alambiqués » employés sur l’orientation des étudiants et des internes et sur leur installation.
« Singulièrement, le rapport n’évoque pas toutes les pistes possibles », confirme le président de la CPH en rappelant que le problème de la démographie concerne aussi la médecine libérale et forme « un tout ».
Sur le compte épargne temps (CET), les responsables syndicaux rappellent qu’ils tirent la sonnette d’alarme auprès des pouvoirs publics depuis plusieurs années.
« Le rapport ne dit quasiment rien dessus alors qu’il aurait fallu mettre en avant des propositions, des pistes et une méthode », déplore François Aubart.
Pour lui, il faut absolument prévoir des financements que ce soit pour payer des jours de RTT non pris ou pour rémunérer les médecins qui remplaceront ceux qui utilisent leur CET.
« Il faut également se tourner vers les jeunes et favoriser les remplacements par des chefs de cliniques et des assistants en leur offrant des conditions d’exercice à l’hôpital plus favorables qu’actuellement », souligne-t-il.
« Le rapport ne dit pas non plus un mot sur la retraite des praticiens hospitaliers », déplore la présidente de l’INPH, Rachel Bocher.
PROPOSITION ARCHAIQUE
Pour François Aubart, la mission se risque à être plus précise sur les réorganisations et regroupements d’établissements. Si la proposition de structurer les établissements d’un même territoire au sein d’un groupement a déjà été faite par le passé, le rapport va plus loin sur la création d’une nouvelle administration territoriale, note-t-il. Mais cette perspective peut être « critiquée » car on rajouterait « une nouvelle structure aux autres existantes ce qui peut se révéler très pesant », estime-t-il.
« Les solutions à rechercher doivent être pratiques et pragmatiques », ajoute-t-il.
S’agissant du classement des missions des établissements selon leur niveau de technicité, le Dr Aubart considère que cette proposition est « archaïque ».
Rappelant que cette « graduation » des établissements a fondé l’élaboration des Sros 2, il estime que ce principe a le « grand défaut » de ne pas inciter les hommes à aller dans des structures de niveau 1.
« Le mieux est de rassembler les plateaux techniques et de créer des collaborations souples avec une mobilité possible des médecins, à l’image des secteurs psychiatriques qui constituent un des grands succès de l’organisation médicale hospitalière, ou ce qu’on fait en chirurgie avec les consultations avancées ».
Concernant la délégation de tâches entre professionnels, le président de la CMH estime que c’est une « erreur » de la lier à la pénurie démographique. Pour lui, il faut lier cette question à celle de l’amélioration de la qualité de la prise en charge, lorsqu’il s’agit par exemple d’associer le personnel soignant à l’information du patient.
« Les réorganisations et les recherches de complémentarité sont indispensables », souligne le président de la CPH, Pierre Faraggi. Mais « il faut qu’elles soient réfléchies à partir des établissements et que les praticiens bénéficient de mesures suffisamment incitatives », estime-t-il en souhaitant parler d’une revalorisation des métiers à l’hôpital.
S’agissant des rémunérations des praticiens, le président de la CPH appelle à se poser la question du « différentiel » existant entre le secteur privé et le secteur public. Une question qu’évoque trop rapidement le rapport Berland, estime-t-il.
Enfin, la présidente de l’INPH, Rachel Bocher, regrette que le rapport restaure des « corporatismes » en incitant à donner « un nouvel élan au CHU ».
DES PROPOSITIONS DE QUALITE HETEROGENE, SELON LE DR FELLINGER
De son côté, le président de la conférence des présidents de CME de CH, Francis Fellinger, souligne d’abord « l’énorme » travail effectué par la mission Berland pour dresser un état des lieux le plus complet possible.
« Les 150 premières pages du rapport fournissent des données que nous n’avions pas jusqu’à présent », souligne-t-il. La seconde partie, consacrée aux propositions, est « beaucoup plus hétérogène », juge-t-il.
Certaines propositions, relatives notamment à la mise en place d’un système d’information adapté ou aux Sros, sont « de bon sens » et il est difficile de s’y opposer.
D’autres sont « bonnes », comme celle sur la réflexion territoriale des médecins hospitaliers. Le Dr Fellinger se dit cependant « perplexe » sur l’idée du groupement hospitalier territorial, craignant qu’elle ne conduise à une « usine à gaz ».
Il déplore en revanche que certaines propositions soient très « CHU-centrées », comme celle sur le classement des missions des établissements selon leur niveau de technicité, le niveau 3 devant revenir aux CHU.
« Il existe des centres hospitaliers ou des cliniques qui sont de niveau 3 pour certaines disciplines alors que des CHU ont du mal à atteindre le niveau 2 toujours dans certaines disciplines », explique le Dr Fellinger.
Par Sabine Neulat-Isard