Sarkoland ou la cité de la peur
Par Hélène Franco, Vice-présidente du Syndicat de la magistrature
« Qui peut dire qu’il n’aura jamais dans sa vie à recourir à des soins psychiatriques, qu’il n’aura jamais besoin d’un suivi social ? » Hélène Franco, Vice-présidente du Syndicat de la magistrature
Le projet de loi “prévention de la délinquance”, actuellement en discussion au Sénat, est bien mal nommé. Rien dans ce texte ne préviendra réellement les actes délictueux, toutes les dispositions sont en revanche orientées vers une répression accrue, une suspicion généralisée à l’égard de certaines catégories de la population (mineurs, familles pauvres, malades mentaux notamment) qui se verront encore davantage harcelées, enfermées et fichées.
Dans cette cinquième réforme (en 4 ans!) d’importance du droit pénal depuis 2002, le gouvernement utilise toujours le même ressort, la peur, pour faire admettre à l’opinion publique des atteintes graves aux libertés individuelles. “Je n’ai rien à me reprocher, ces lois ne me concernent pas” se dit le plus grand nombre. Faux. D’abord parce que ce dernier projet traite les malades mentaux comme a priori dangereux, les familles suivies socialement comme a priori à surveiller, les mineurs délinquants comme a priori de futurs récidivistes. Qui peut dire qu’il n’aura jamais dans sa vie à recourir à des soins psychiatriques, qu’il n’aura jamais besoin d’un suivi social, ou qu’il n’aura jamais parmi ses proches un enfant commettant
une infraction ?
Ensuite, ces lois pénales dessinent un vrai projet de société : pouvoirs accrus des maires, psychiatrie, délinquance des mineurs, urbanisme, toxicomanie, délinquance sexuelle, le texte actuellement discuté touche à tout, avec en filigrane la volonté de créer toujours plus de murs, toujours plus de méfiance entre les citoyens. Il est vrai qu’une société où chacun a peur de tout le monde est tellement plus facile à gouverner… Sauf qu’à terme le recul de la mixité sociale par l’émergence de copropriétés-forteresses hypersécurisées favorisées par le texte, l’emprisonnement d’une partie grandissante de la population, la montée de la précarité risquent fort de donner des effets désastreux. Il n’est pas trop tard pour s’en préoccuper.
Il est encore temps d’amplifier la mobilisation pour le retrait pur et simple de cette loi criminelle, et des projets d’ordonnances convergents.
Et d’exiger clairement des candidats se réclamant de gauche qu’ils participent à cette mobilisation et s’engagent à l’abolir totalement si elle venait à passer malgré tout.