En septembre 2005, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) publiait une expertise concluant à la possibilité de prévenir la délinquance en dépistant le « trouble des conduites » chez l’enfant (trouble défini dans la classification américaine par un comportement « bafouant les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales »).
Au même moment, un projet de loi dit « de prévention de la délinquance » prônait « le repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l’école maternelle », à travers notamment un « carnet de comportement » suivant l’enfant durant toute sa scolarité.
Dès janvier 2006, un collectif « pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » lançait un appel national, réunissant bientôt 200 000 signatures, pour dénoncer le rapport de l’INSERM et l’utilisation idéologique des pratiques préventives de soin psychique à des fins de contrôle social.
En juin 2006, le collectif publie son premier ouvrage (« pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans », éditions Erès). Surtout, face à l’ampleur de la contestation, le gouvernement retire de son projet de loi l’article sur le dépistage précoce.
En novembre 2006, l’INSERM organise enfin un colloque intitulé : « troubles des conduites : de la clinique à la recherche » qui le conduit sous le feu des critiques à réviser ses méthodes d’expertise en les ouvrant à la multi-disciplinarité des sciences humaines, et à se déclarer « d’une vigilance sans faille vis-à-vis des risques de récupération politique ».
Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) rend son avis en janvier 2007, concluant à l’ambiguïté de la définition psychiatrique du « trouble des conduites », prédiction risquant de stigmatiser l’individu alors que « la plupart des troubles du comportement de l’enfant sont liés à des facteurs environnementaux ou familiaux davantage qu’à des facteurs génétiques ou somatiques repérables ». Le CCNE « redit son opposition à une médecine qui serait utilisée pour protéger la société davantage que les personnes ».
Le collectif « pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » poursuit son action, en organisant une rencontre scientifique à l’automne 2007 sur la petite enfance pour promouvoir une « prévention psychologique, globale, prévenante, humanisante et éthique ».
CAR LE COMBAT NE FAIT QUE COMMENCER : c’est toute la psychiatrie contemporaine qui est contaminée aujourd’hui par 2 idéologies redoutables, le comportementalisme et le scientisme, qui s’unissent pour proposer une vision purement neurobiologique du malaise individuel et social, répondant parfaitement aux intérêts de la mondialisation libérale.
De toute part on est alertés par des enquêtes et questionnaires d’évaluation du comportement diffusés auprès des parents ou dans les écoles, des projets de loi dévoyés (protection de l’enfance, prévention de la récidive des mineurs…), et de nouvelles enquêtes menées par l’INSERM qui laissent à penser qu’il ne tient pas ses promesses : expertise de février 2007 sur les troubles de l’apprentissage, enquête comprenant questionnaire de comportement et prélèvement d’ADN en mars 2007, menée auprès de milliers de jeunes majeurs de Champagne-Ardenne, et visant à établir les facteurs génétiques de la « vulnérabilité » aux toxicomanies…
L’utilisation politique de ce réductionnisme scientiste, aux relents eugéniques, est à craindre particulièrement, quand on sait que le président de la république a déclaré que le suicide des jeunes est du à ce que « génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable », et qu’il a désigné un généticien comme conseiller personnel ! Le prétexte sanitaire de « prévention » préparerait-il le fichage génétique de toute la population ?
Quoi qu’il en soit, la loi de prévention de la délinquance, adoptée le 5 mars 2007, aggrave la répression et la psychiatrisation des mineurs délinquants ainsi que le contrôle socio-économique sur les enfants d’âge scolaire et les familles défavorisées ; elle remet en cause le secret professionnel des travailleurs de l’action médico-sociale, marquant l’avènement d’une société de suspicion et de culpabilisation.
Et la psychiatrie est toujours plus appelée à répondre aux impératifs du contrôle social des comportements individuels : en occultant le contexte socio-environnemental et historique des troubles comme la violence des jeunes, elle donne bonne conscience à une société libérale sûre dès lors de se perpétuer. Injonctions thérapeutiques aux délinquants sexuels, aux toxicomanes, aux condamnés de toutes sortes de délits ; médicalisation outrancière des troubles anxieux et dépressifs ; augmentation incessante du nombre des patients et des missions médico-légales ; explosion de « troubles de la personnalité » résultant directement de l’augmentation de la pression environnementale dans une société vouée à la consommation immédiate ; remise en cause du secret médical et de l’indépendance des psychiatres à travers les réformes privatisant la psychiatrie publique ; recherche et formation dépendant des subsides de l’industrie pharmaceutique privilégiant le « traitement » chimique des comportements : tous ces faits réunis parmi d’autres marquent l’évolution techno-scientiste accélérée de la psychiatrie, déplaçant vers la sphère individuelle les dysfonctionnements du système socio-économique, aux fins d’achever de conformer les consciences individuelles aux normes du complexe médico-industriel et de la mondialisation libérale.
Or, la santé consiste en un équilibre dynamique entre l’être vivant et son écosystème, elle est totalement à l’opposé de sa définition socio-comportementaliste par « l’adaptation » : c’est cette éthique de la subjectivité comme liberté et responsabilité à l’égard d’autrui et de l’avenir que nous devons aujourd’hui revendiquer, contre la dictature de la normalisation technocratique et marchande !
Pour la Commission Santé Nationale des VERTS, les Drs Anne GROLLEAU et Olivier LABOURET