Pierre Faraggi : « A force de vouloir trop soigner l’hôpital, on va le tuer ! »
Le président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) refuse absolument l’idée d’une énième réforme de l’hôpital public. Elle conduirait au « désengagement » des professionnels et viderait finalement l’institution de ses médecins, met-il en garde.
LE QUOTIDIEN – Plus de trois mois après son installation, on ne sait toujours pas très bien où va le gouvernement de François Fillon en matière de politique hospitalière. Quel est votre sentiment ?
Dr PIERRE FARAGGI – Je serais tenté de dire qu’il va « dans le mur » mais, étant résolument optimiste, je ne le ferai pas. Toutefois, la tension budgétaire à laquelle sont soumis nos établissements – ajoutée à ce qu’on entend dire sur les moyens qui leur seront alloués en 2008 – est inquiétante. Actuellement, quand les hôpitaux parviennent à boucler leurs budgets, ils ne le peuvent que parce que de nombreux postes d’infirmière ou de médecin y sont vacants, ce qui représente une source d’« économie ». Cela se fait bien évidemment au détriment du soin.
Le président de la République a évoqué en mai une possible « réforme » de l’hôpital public. Serait-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Allons-nous souffrir encore longtemps de cette succession de réformes, chacune étant imposée alors que l’autre n’a pas fini d’être mise en oeuvre ? Cette stratification conduit au désengagement, au découragement. Le motif invoqué au printemps par Nicolas Sarkozy était que l’hôpital n’est pas gouverné. Si l’idée du président est d’aller vers plus de gouvernement administratif, vers plus de bureaucratie, alors on va construire un hôpital avec beaucoup de cadres mais. plus de médecins !
Pour autant, nous ne disons pas que tout est parfait. Des avancées incontestables peuvent être trouvées dans le pilotage du système de soins. Et, quoi qu’on en dise, ce n’est pas du côté des professionnels que l’on freine sur le dossier des restructurations – pour peu qu’elles tendent à améliorer la solidité des plateaux techniques.
Qu’attendez-vous de la mission Larcher ?
Gérard Larcher est un homme de dialogue aux compétences avérées dans le domaine hospitalier. C’est un interlocuteur de qualité. Si sa mission est installée dans l’objectif d’avancer très rapidement sur des sujets importants, s’il s’agit de réfléchir, par exemple, au moyen de rendre plus fonctionnel et plus efficace le pilotage régional de l’institution (tout en se donnant des marges de manoeuvre), alors tant mieux. S’il s’agit de pondre une nouvelle réforme de la gouvernance : non. A force de vouloir trop soigner ce grand corps hospitalier qui n’est pas si malade que ça, on va le tuer.
La CPH milite de longue date pour une correction des « défauts » d’Hôpital 2007. Quelles sont les priorités ?
De tous côtés me reviennent des échos globalement négatifs de la nouvelle gouvernance des hôpitaux. Dans les grands centres, les CHU, la dimension « service » qui structurait jusque-là la disposition des soins autour du patient manque aux professionnels. Dans les établissements de plus petite taille, c’est la nouvelle débauche de structures, le temps passé en réunions. qui sont vécus comme un gâchis. D’autant que le résultat de tout ceci est extrêmement mince et que, pire, la nouveauté correspond souvent à des interactions qui existaient déjà. Et puis il y a cette possibilité donnée aux directeurs d’hôpital de se comporter en « petits chefs ». Le risque de déviance existe désormais alors qu’on avait, avec la réforme de 1991, atteint un certain équilibre – le directeur était le pilote incontesté de l’hôpital, celui qui avait les sous ; il arbitrait au bout du bout, mais sur la base d’un projet médical soutenu par la CME.
Continuez-vous de vous opposer à la part complémentaire variable du salaire des médecins hospitaliers ?
La question de la rémunération des médecins hospitaliers – qui se détériore par rapport à celle des médecins de ville – est complexe. Tout ce qui peut améliorer la situation à l’hôpital nous intéresse. C’est pourquoi, en 2004, nous n’avons pas refusé de signer le protocole qui instituait une part variable. L’idée d’une indemnité complémentaire versée selon des règles nationales et non quantitatives est acceptable. Ce n’est pas ce qui a été finalement arrêté en mars dernier. Raison pour laquelle nous avons fait un recours en Conseil d’Etat. Pour ne rien arranger, la version actuelle de la part variable est horriblement technocratique.
Une récente enquête sur les conditions de travail des PH (« le Quotidien » du 13 septembre) montre des médecins hospitaliers plutôt insatisfaits professionnellement. Le vérifiez-vous sur le terrain ?
Nos conditions de travail ont toujours été difficiles. Mais la crise de la place du médecin à l’hôpital, de son indépendance professionnelle, dévalorise la fonction et en rajoute sur ce point. Je note d’ailleurs que, dans l’enquête que vous citez, nombre de praticiens font état de difficultés avec l’encadrement.
L’Inpadhue (qui représente des médecins diplômés hors de l’Union européenne) a rejoint la CPH. Pensez-vous que la France ne pourra pas se passer de médecins étrangers dans les années qui viennent ?
Nous saluons l’arrivée de ces collègues parmi nous. Nous aurons à coeur que, dans les conditions qui nous paraissent indispensables (validation des acquis et des compétences), les procédures avancent plus favorablement pour certains cas particulièrement difficiles. Evidemment, étant donné la situation de la démographie médicale, la France aura sans doute besoin que des médecins étrangers puissent intervenir.
Mais la question démographique se pose à plusieurs niveaux. On va, dans les prochaines années, faire face à des situations très difficiles. Prenons l’exemple de la psychiatrie : l’Ordre a repéré cinq ou six départements dans lesquels il n’y aura bientôt plus aucun psychiatre. On n’a plus le droit de se voiler la face.
Il va falloir mettre les mains dans le cambouis et trouver des solutions. La Cour des comptes vient d’insister sur la nécessité de réguler les installations. Pour notre part, nous souhaitons des incitations bien construites. Et nous refusons absolument les pièges d’une opposition hospitaliers-libéraux sur ce sujet.
PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE PIGANEAU