Madame la Ministre,
Les médecins et cadres hospitaliers signataires, de toutes opinions politiques ou syndicales, attachés à la qualité du service public hospitalier, tiennent à vous alerter sur les défauts révélés par la mise en place de la réforme hôpital 2007. S’ils n’étaient pas corrigés, ces défauts pourraient avoir des conséquences dommageables pour les patients, comme il a été dommageable de ne pas augmenter à temps le numerus clausus à l’entrée des études de médecine et de soins infirmiers, ou de ne pas prévoir un aménagement de la loi des 35 heures pour les hôpitaux.
C’est pourquoi nous demandons une réforme de la réforme, particulièrement du mode de financement des hôpitaux par la tarification à l’activité (T2A).
En effet, s’il paraît normal que le financement des hôpitaux prenne en compte leur activité, la T2A comporte de nombreux inconvénients : une prise en compte incomplète de l’activité réelle, une non prise en compte de l’activité de « recours » de l’hôpital public (spécificité de l’hôpital public par rapport aux cliniques privées), une absence de reconnaissance des activités de prévention et d’éducation thérapeutique, une sous-évaluation des difficultés dues aux problèmes sociaux ou psychologiques des patients, une opacité de la définition, du calcul et de la répartition des financements spécifiques (MIGAC et MERRI). Le financement par la T2A conduit à privilégier les malades et les activités rentables financièrement, c’est-à-dire essentiellement les patients ayant des pathologies aiguës relevant de gestes techniques et n’ayant pas de poly-pathologies ni de maladie chronique ou de problèmes sociaux ou psychiatriques. La T2A pousse à une augmentation aberrante d’activités jugées « rentables » comme les hospitalisations de jour, quitte à accroître abusivement la prescription d’examens complémentaires pour les justifier .Elle conduit à rétribuer des actes techniques dans le cadre de pathologies aiguës pour lesquelles des mesures préventives efficaces et reconnues existent mais qui ne bénéficient d’aucun financement. De plus, elle entraîne une augmentation importante du temps et du personnel consacré à la gestion. L’optimisation du codage et des facturations à la Sécurité Sociale suscite en retour une augmentation des contrôles. Ainsi, les économies que l’on compte faire par une meilleure responsabilisation des prescripteurs, semblent annulées par le développement des activités « rentables » et l’accroissement des dépenses de gestion et de contrôle. Selon la CNAM les dépenses hospitalières ont progressé de 6.4% au lieu des 3.6% prévus.
Finalement, contrairement à ce que l’on pouvait espérer, la réforme n’a pas eu pour conséquence, au contraire, de libérer du temps médical et para-médical pour les soins aux patients. Le récent passage de la T2A de 35 à 50% du financement se traduit pour nombre d’établissements publics par un compte d’exploitation déficitaire. La réduction de l’écart recettes/dépenses va conduire ces établissements à sacrifier des secteurs de soins. La poursuite de la mise en œuvre de la T2A à plus de 50% ne peut qu’aggraver ce phénomène.
Les signataires sont convaincus de la nécessité de modifier les structures de l’hôpital et ses modes de financement. Ils sont prêts à s’engager dans la voie d’une modernisation réelle de l’hôpital public au service du public, mais ils redoutent que la logique imprimée par la T2A et les pôles gestionnaires, entraîne l’hôpital public sur la pente de « l’hôpital entreprise » dont l’objectif premier devient non pas le soin au patient, mais la rentabilité. Le système hospitalier français comprend trois types de structures : le service public hospitalier, les hôpitaux et instituts de santé à but non lucratif participant ou non au service public, et les cliniques privées à but lucratif. Chacune de ces structures a des missions spécifiques. Leur mode d’organisation et leur mode de financement doivent être distincts quelle que soit par ailleurs la nécessité de leur coopération, pour répondre à l’exigence d’une médecine de qualité accessible à tous les citoyens, indépendamment de leur pathologie et de leur niveau de revenus.
En conséquence, nous demandons l’abandon de la convergence totale prévue entre les tarifications des hospitalisations publique et privée, et le maintien d’un budget spécifique pour financer l’hôpital public.
Dans l’espoir que vous porterez attention à cette proposition et restant à votre disposition, nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de nos sentiments dévoués au service public.