Conseil constitutionnel : Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007 – Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, le 25 octobre 2007, par M. Jean-Marc AYRAULT, Mme Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Mme Delphine BATHO, M. Jean-Louis BIANCO, Mme Gisèle BIÉMOURET, MM. Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Daniel BOISSERIE, Mme Marie-Odile BOUILLÉ, M. Christophe BOUILLON, Mme Monique BOULESTIN, M. Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Alain CACHEUX, Jérôme CAHUZAC, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Bernard CAZENEUVE, Jean-Paul CHANTEGUET, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mmes Catherine COUTELLE, Pascale CROZON, M. Frédéric CUVILLIER, Mme Claude DARCIAUX, M. Pascal DEGUILHEM, Mme Michèle DELAUNAY, MM. Guy DELCOURT, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Mme Laurence DUMONT, MM. Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Mme Odette DURIEZ, MM. Philippe DURON, Olivier DUSSOPT, Christian ECKERT, Henri EMMANUELLI, Mme Corinne ERHEL, MM. Laurent FABIUS, Albert FACON, Hervé FÉRON, Mme Aurélie FILIPPETTI, M. Pierre FORGUES, Mme Valérie FOURNEYRON, MM. Michel FRANÇAIX, Jean-Claude FRUTEAU, Jean-Louis GAGNAIRE, Mme Geneviève GAILLARD, MM. Guillaume GAROT, Jean GAUBERT, Mme Catherine GÉNISSON, MM. Jean-Patrick GILLE, Jean GLAVANY, Daniel GOLDBERG, Gaëtan GORCE, Mme Pascale GOT, MM. Marc GOUA, Jean GRELLIER, Mme Elisabeth GUIGOU, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, M. François HOLLANDE, Mme Monique IBORRA, MM. Michel ISSINDOU, Serge JANQUIN, Régis JUANICO, Armand JUNG, Mmes Marietta KARAMANLI, Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Michel LEFAIT, Mmes Catherine LEMORTON, Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Jean MALLOT, Louis-Joseph MANSCOUR, Mme Marie-Lou MARCEL, MM. Jean-René MARSAC, Philippe MARTIN, Mmes Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, MM. Gilbert MATHON, Didier MATHUS, Mme Sandrine MAZETIER, MM. Michel MÉNARD, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Arnaud MONTEBOURG, Pierre MOSCOVICI, Pierre-Alain MUET, Philippe NAUCHE, Henry NAYROU, Alain NÉRI, Mmes Marie-Renée OGET, Françoise OLIVIER-COUPEAU, George PAU-LANGEVIN, MM. Christian PAUL, Jean-Luc PÉRAT, Jean-Claude PÉREZ, Mme Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, MM. Philippe PLISSON, Jean-Jack QUEYRANNE, Dominique RAIMBOURG, Mme Marie-Line REYNAUD, MM. Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROQUET, Alain ROUSSET, Patrick ROY, Michel SAINTE-MARIE, Michel SAPIN, Mme Odile SAUGES, MM. Christophe SIRUGUE, Pascal TERRASSE, Mme Marisol TOURAINE, MM. Jean-Louis TOURAINE, Jean-Jacques URVOAS, Daniel VAILLANT, Jacques VALAX, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VAUZELLE, Michel VERGNIER, André VÉZINHET, Alain VIDALIES, Jean-Michel VILLAUMÉ, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Mme Chantal BERTHELOT, MM. Gérard CHARASSE, René DOSIÈRE, Paul GIACOBBI, Christian HUTIN, Serge LETCHIMY, Albert LIKUVALU, Mmes Jeanny MARC, Martine PINVILLE, M. Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN‑RODRIGO, M. Marcel ROGEMONT, Mme Christiane TAUBIRA, M. François BAYROU, Mme Huguette BELLO, M. Alfred MARIE-JEANNE, Mme Martine BILLARD, MM. Yves COCHET, Noël MAMÈRE, François de RUGY, Mme Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GÉRIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER, Michel VAXÈS, députés ;

et, le 26 octobre 2007, par M. Jean-Pierre BEL, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, David ASSOULINE, Bertrand AUBAN, Robert BADINTER, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, MM. Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, M. Jean-Pierre CAFFET, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Jean-Louis CARRÈRE, Bernard CAZEAU, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Michel CHARASSE, Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Jean-Pierre GODEFROY, Claude HAUT, Mmes Odette HERVIAUX, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, M. Charles JOSSELIN, Mme Bariza KHIARI, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Alain LE VERNE, André LEJEUNE, Roger MADEC, Philippe MADRELLE, Jacques MAHÉAS, François MARC, Pierre MAUROY, Jean-Luc MÉLENCHON, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jacques MULLER, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean‑François PICHERAL, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Marcel RAINAUD, Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Roland RIES, André ROUVIÈRE, Claude SAUNIER, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jacques SIFFRE, René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Robert TROPEANO, André VANTOMME, Mme Dominique VOYNET, M. Richard YUNG, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Guy FISCHER, Mme Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Pierre BIARNES, Michel BILLOUT, Robert BRET, Jean-Claude DANGLOT, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE, MM. Bernard VERA, Jean-François VOGUET, Gérard DELFAU, François FORTASSIN, André BOYER, Yvon COLLIN, Jean‑Michel BAYLET, François VENDASI, Denis BADRÉ, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Jean-Jacques JÉGOU, André VALLET et Philippe NOGRIX, sénateurs ;

Le 31 octobre 2007 ont été enregistrés deux « mémoires complémentaires », le premier présenté au nom de Mmes Marie-Hélène AMIABLE, Huguette BELLO, Martine BILLARD, MM. Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, André CHASSAIGNE, Yves COCHET, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Noël MAMÈRE, Alfred MARIE-JEANNE, Roland MUZEAU, François de RUGY et Michel VAXÈS, députés, et le second au nom de Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Eliane ASSASSI, Josiane MATHON-POINAT, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Robert BRET, Jean-Claude DANGLOT, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Jack RALITE, Yvan RENAR, Mme Odette TERRADE, MM. Bernard VERA, Jean-François VOGUET, François AUTAIN et Pierre BIARNÈS, sénateurs ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 7 novembre 2007 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ; qu’ils contestent la conformité à la Constitution de ses articles 13 et 63 ;

– SUR LA RECEVABILITÉ DES « MÉMOIRES COMPLÉMENTAIRES » :

2. Considérant que, si le deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution prévoit que les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel par les membres du Parlement, il réserve l’exercice de cette faculté à soixante députés ou à soixante sénateurs ;

3. Considérant que, le 31 octobre 2007, ont été enregistrés au secrétariat général du Conseil constitutionnel deux « mémoires complémentaires », le premier présenté au nom de quinze députés déjà signataires de la première saisine, le second au nom de vingt-trois sénateurs dont vingt-deux déjà signataires de la seconde saisine, contestant d’autres articles de la loi déférée ;

4. Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution que ces mémoires doivent être déclarés irrecevables ;

– SUR L’ARTICLE 13 :

5. Considérant que le I de l’article 13 de la loi déférée complète l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile par les neuf alinéas suivants :

« Le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l’un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d’inexistence de l’acte de l’état civil ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci qui n’a pu être levé par la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil, demander que l’identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d’une telle mesure leur est délivrée.

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

« Si le tribunal estime la mesure d’identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa.

« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d’identification autorisées par celui-ci, sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l’État.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis du Comité consultatif national d’éthique, définit :

« 1° Les conditions de mise en œuvre des mesures d’identification des personnes par leurs empreintes génétiques préalablement à une demande de visa ;

« 2° La liste des pays dans lesquels ces mesures sont mises en œuvre, à titre expérimental ;

« 3° La durée de cette expérimentation, qui ne peut excéder dix-huit mois à compter de la publication de ce décret et qui s’achève au plus tard le 31 décembre 2009 ;

« 4° Les modalités d’habilitation des personnes autorisées à procéder à ces mesures » ;

6. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions porteraient atteinte au principe d’égalité, ne respecteraient pas le droit au regroupement familial, le droit au respect de la vie privée et le principe de la dignité humaine, méconnaîtraient l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi et seraient entachées d’incompétence négative ;

En ce qui concerne le principe d’égalité :

7. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ;

8. Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;

– Quant aux distinctions relatives à l’état des personnes :

9. Considérant, en premier lieu, que les dispositions critiquées ne trouveront à s’appliquer que sous réserve des conventions internationales qui déterminent la loi applicable au lien de filiation ; qu’il ressort des travaux parlementaires que le législateur n’a pas entendu déroger aux règles du conflit des lois définies par les articles 311-14 et suivants du code civil, lesquelles soumettent en principe la filiation de l’enfant à la loi personnelle de la mère ; que les dispositions déférées n’ont pas pour objet et ne sauraient, sans violer l’article 1er de la Déclaration de 1789, avoir pour effet d’instituer, à l’égard des enfants demandeurs de visa, des règles particulières de filiation qui pourraient conduire à ne pas reconnaître un lien de filiation légalement établi au sens de la loi qui leur est applicable ; que, dès lors, la preuve de la filiation au moyen de « la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil » ne pourra être accueillie que si, en vertu de la loi applicable, un mode de preuve comparable est admis ; qu’en outre, ces dispositions ne pourront priver l’étranger de la possibilité de justifier du lien de filiation selon d’autres modes de preuve admis en vertu de la loi applicable ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions critiquées qui tendent à suppléer l’absence ou le défaut d’authenticité d’un acte de l’état civil étranger par l’identification génétique du lien de filiation ne s’appliquent pas, à l’évidence, lorsque la filiation en cause n’est pas fondée sur un lien génétique ; que, dès lors, elles ne sont pas applicables en particulier à la preuve de la filiation adoptive, qui se fait par la production d’un jugement ou d’une décision d’effet équivalent ; que, par suite, le grief tiré de la « violation du principe d’égalité entre enfants biologiques ou non » manque en fait ;

11. Considérant, en troisième lieu, que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ; qu’aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; qu’en limitant la nouvelle faculté de preuve à l’établissement d’une filiation avec la mère et eu égard aux finalités qu’il s’est assignées, le législateur a adopté une mesure propre à assurer une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre le droit à une vie familiale normale, le respect de la vie privée de l’enfant et du père et la sauvegarde de l’ordre public, qui inclut la lutte contre la fraude ;

– Quant aux autres distinctions :

12. Considérant, en premier lieu, que les ressortissants d’États dont l’état civil présente des carences en raison de la défaillance des registres ou de l’importance des comportements frauduleux ne se trouvent pas, au regard des actes de l’état civil, dans la même situation que les ressortissants des autres États ;

13. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 37‑1 de la Constitution : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental » ; que cette disposition permet au Parlement d’autoriser des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d’égalité devant la loi ; que, sur le fondement de cette disposition, le législateur a pu limiter ce nouveau dispositif de preuve aux demandeurs de visas de certains des États dont l’état civil est défaillant ;

14. Considérant que, sous les réserves énoncées au considérant 9, l’article 13 de la loi déférée ne porte pas atteinte au principe d’égalité ;

En ce qui concerne le droit au regroupement familial, le droit au respect de la vie privée et le principe du respect de la dignité de la personne humaine :

15. Considérant que, selon les requérants, en conditionnant le droit au regroupement familial à l’examen du lien de filiation biologique avec la mère du demandeur de visa, le dispositif critiqué porterait atteinte au droit au regroupement familial ainsi qu’au respect de la vie privée ; qu’en outre, le recours aux empreintes génétiques à des fins de police administrative pour priver certaines personnes de l’accès à un droit constitutionnellement garanti porterait une atteinte disproportionnée au principe du respect de la dignité humaine ;

16. Considérant, d’une part, que les dispositions de l’article 13 de la loi déférée ne modifient pas les conditions du regroupement familial et, en particulier, la définition des enfants pouvant en bénéficier telle qu’elle résulte des articles L. 314-11 et L. 411-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’elles ont pour seul objet d’autoriser le demandeur de visa à apporter par d’autres moyens un élément de preuve du lien de filiation lorsque ce dernier conditionne le bénéfice de ce regroupement et que l’acte de l’état civil dont la production est exigée pour prouver le lien de filiation est inexistant ou a été écarté par les autorités diplomatiques ou consulaires ; qu’elles ne modifient pas davantage les dispositions de l’article 47 du code civil qui réglementent la force probante des actes de l’état civil établis à l’étranger et auquel renvoie le premier alinéa de l’article L. 111-6 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; que l’application de ce nouveau dispositif dans les États désignés par décret en Conseil d’État ne saurait avoir pour effet de dispenser les autorités diplomatiques ou consulaires de vérifier, au cas par cas, sous le contrôle du juge, la validité et l’authenticité des actes de l’état civil produits ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne portent atteinte ni directement ni indirectement au droit de mener une vie familiale normale garanti par le dixième alinéa du Préambule de 1946 ;

17. Considérant, d’autre part, que la mise en œuvre de ce dispositif est subordonnée à une demande de l’intéressé ; qu’en outre, le législateur a entendu ne pas autoriser le traitement des données à caractère personnel recueillies à l’occasion de la mise en œuvre de ce dispositif et n’a pas dérogé aux dispositions protectrices de la vie privée prévues par la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que, dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement soutenir que les dispositions précitées porteraient atteinte au respect de la vie privée qu’implique l’article 2 de la Déclaration de 1789 ;

18. Considérant, enfin, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, en autorisant ce mode supplétif de preuve d’un lien de filiation, le dispositif critiqué n’instaure pas une mesure de police administrative ; qu’en outre, la loi n’autorise pas l’examen des caractéristiques génétiques du demandeur de visa mais permet, à la demande de ce dernier ou de son représentant légal, son identification par ses seules empreintes génétiques dans des conditions proches de celles qui sont prévues par le deuxième alinéa de l’article 16-11 du code civil ; qu’il s’ensuit que le grief tiré de l’atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine consacré par le Préambule de 1946 manque en fait ;

En ce qui concerne l’objectif d’intelligibilité de la loi et la compétence du législateur :

19. Considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu’il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ;

20. Considérant, d’une part, que les dispositions de l’article 13 de la loi déférée, qui fixent les conditions et les modalités permettant à un enfant mineur demandeur d’un visa d’une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, de solliciter qu’il soit procédé à son identification par ses empreintes génétiques pour apporter un élément de preuve du lien de filiation ne sont pas définies en termes imprécis ou équivoques ;

21. Considérant, d’autre part, que le législateur n’a pas méconnu sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer la liste des États dont l’état civil est défaillant et dans lesquels le dispositif sera appliqué à titre expérimental, les conditions de mise en œuvre des mesures d’identification des personnes par leurs empreintes génétiques, la durée de l’expérimentation dans les limites fixées par la loi et, enfin, les modalités d’habilitation des personnes autorisées à procéder à ces mesures ; qu’en outre, la procédure applicable en l’espèce devant le tribunal de grande instance ne relève pas des matières énumérées à l’article 34 de la Constitution ;

22. Considérant dès lors que le législateur n’a méconnu ni le champ de sa propre compétence ni l’objectif d’intelligibilité de la loi ;

23. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux considérants 9 et 16, l’article 13 de la loi déférée n’est pas contraire à la Constitution ;

– SUR L’ARTICLE 63 :

24. Considérant que l’article 63 de la loi déférée, qui résulte d’un amendement adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, modifie le II de l’article 8 et le I de l’article 25 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; qu’il tend à permettre, pour la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines, de la discrimination et de l’intégration, et sous réserve d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la réalisation de traitements de données à caractère personnel faisant « apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques » des personnes ;

25. Considérant que, selon les requérants, l’amendement dont cet article est issu était dénué de tout lien avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi initial ;

26. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale… » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 34 de la Constitution : « La loi est votée par le Parlement » ; qu’aux termes du premier alinéa de son article 39 : « L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement » ; que le droit d’amendement que la Constitution confère aux parlementaires et au Gouvernement est mis en œuvre dans les conditions et sous les réserves prévues par ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1 ;

27. Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le droit d’amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s’exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu’il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ;

28. Considérant, en l’espèce, que, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, le projet de loi dont l’article critiqué est issu comportait dix-huit articles ; que quinze de ces articles modifiaient exclusivement le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les trois autres articles n’ayant d’autre objet que de faire référence à ce code par coordination ou de prévoir des mesures d’application particulières pour les collectivités d’outre-mer ; que celles de ces dispositions qui figuraient dans le chapitre Ier étaient relatives aux conditions dans lesquelles les étrangers désireux de venir s’établir en France peuvent bénéficier du regroupement familial ; que les autres dispositions portaient essentiellement, comme l’indiquaient les intitulés des chapitres dans lesquels elles figuraient, sur l’asile et sur l’immigration pour motifs professionnels ;

29. Considérant que, si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la iscrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ; qu’en tout état de cause, l’amendement dont est issu l’article 63 de la loi déférée était dépourvu de tout lien avec les dispositions qui figuraient dans le projet dont celle-ci est issue ; que, l’article 63 ayant été adopté au terme d’une procédure irrégulière, il convient de le déclarer contraire à la Constitution ;

30. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution,

D É C I D E :

Article premier.- L’article 63 de la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile est déclaré contraire à la Constitution.

Article 2. – Sous les réserves énoncées aux considérants 9 et 16, l’article 13 de la même loi n’est pas contraire à la Constitution.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 novembre 2007, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Guy CANIVET, Jacques CHIRAC, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE et Valéry GISCARD d’ESTAING, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.