Psychiatrie : pratique sociale… ou politique ?

PSYCHIATRIE : PRATIQUE SOCIALE, …OU POLITIQUE ? « Le psy et le social », Colloque du C.E.F.A., 7 et 8 décembre 2007, PARIS Dr Alain CHABERT Psychiatre, praticien hospitalier, thérapeute familial, membre d’E.F.T.A. Le rendez-vous pour Alice est pris par son éducatrice, ou plutôt, non, c’est bien elle, Alice, qui a demandé le rendez-vous à la secrétaire, car, n’est ce pas, elle est autonome, Alice ; mais son éducatrice était avec elle, pour téléphoner, et elle est aussi avec elle, lors de la consultation. Alice a 52 ans ; elle travaille dans un Etablissement et Service d’Aide par le Travail (E.S.A.T.), et loge dans un appartement – relais, dépendant du foyer associé à l’E.S.A.T., avec trois autres travailleuses handicapées ; elle va dans sa famille un week-end sur deux, c’est réglementaire, et aussi en cas d’arrêt de travail, puisqu’on ne peut pas rester au foyer lorsqu’on ne travaille pas. Elle a quelques raisons d’être inquiète, Alice : Au printemps, elle a eu un accident du travail, enfin, pas un « vrai » A.T., car la législation est spécifique, mais cela lui a tout de même cassé le bras, et elle a du rester quelques temps avec sa mère. Sa mère, elle a 87 ans ; bien que très alerte, elle ne manque pas d’avoir quelques problèmes de santé, et de commencer à entrevoir le moment où elle ne sera plus de ce monde. Cet été, Alice a eu une liaison amoureuse et, si ce n’était pas la première fois, cela a bien « brassé », comme elle dit en savoyard, son entourage, sans qu’elle puisse dire qui le plus, sa mère ou son éducatrice. Et puis, elle sent bien qu’elle n’a plus la même ardeur dans son travail ; cela fait plus de trente ans qu’elle est en milieu protégé, de façon quasi contemporaine de la Loi de 1975 (sur les personnes handicapées) ; elle ne sait pas exactement comment fonctionne le droit à la retraite, mais c’est un horizon assez proche, et incertain : ou ira-t-elle, alors, pour loger ? Elle semble apprécier l’échange de paroles ; je lui propose de rencontrer quelques temps la psychologue qui travaille dans ce Centre Médico-Psychologique ; elle est intéressée. L’éducatrice est invitée à venir alors discuter avec nous ; conversation phatique et discussion sur le contexte ; puis, énoncé de la proposition faite à Alice. Un blanc, une mimique contrariée. « Mais elle souffre vraiment, docteur ! ». Puis, «Vous n’allez pas lui donner des médicaments ? » L’éducatrice est de bonne foi ; elle est très attentive au champ relationnel ; elle est sans doute très attachée à Alice, et prête aussi à s’interroger sur son travail, sur la manière dont elle l’exerce…Mais elle est, à son insu en grande partie, victime de la médicalisation du mal – être et de la biologisation de la vie psychique. « Monsieur le Docteur – c’est un courrier qui m’est adressé par le chef du service Protection d’une association de gestion, dans le cadre de la Loi de 1968 sur les Incapables Majeurs – nous revenons vers vous concernant la situation de monsieur… – il s’agit de Bruno, 37 ans, suivi depuis plusieurs années sur notre secteur, habituellement en service libre – Nous avons eu hier plusieurs conversations téléphoniques avec celui-ci – il souhaitait un peu d’argent pour un repas à son domicile et divers faux-frais – Nous avons pu constater que ses propos semblaient totalement incohérents, et tout au moins hors réalité. En effet, il parle qu’il va finir par se faire faire un enfant, et qu’il a retrouvé les plantes qu’il cultivait quand il était jeune et qu’il faisait du sport – à la réponse à la question : mais qu’est ce que vous allez faire chez vous ? Ce type de dialogue est parfaitement décrit chez G. Bateson et chez R. Laing et D. Esterson – Il passe d’un sujet à l’autre sans que son discours n’ait un quelconque rapport avec la réalité. Or, il apparaît qu’il a été autorisé à rentrer à la journée à son domicile, alors qu’il est actuellement en Hospitalisation à la Demande d’un Tiers, et qu’il a déjà fait une fugue le…- c’était trois semaines auparavant – Cette situation de sortie d’essai nous semble prématurée au vu de ses propos téléphoniques, sans avoir pu mettre en place un aide possible dans son quotidien. – C’est-à-dire que Bruno est censé ne pas devoir être autorisé à aller jusqu’à son appartement, alors qu’il y va aussi pour tenter d’y mettre un peu d’ordre, puisque, justement, il l’a laissé dans un très grands désordre, le jour de son hospitalisation, désordre alors compris comme signe d’incapacité structurelle, et non conjoncturelle. Et le mode juridique de son hospitalisation, l’H.D.T., est appelé pour justifier et permettre cet extrême contrôle social. « Madame la juge des tutelles. Je me permet de vous adresser copie du courrier de … – celui ci-dessus – ainsi que la réflexion qu’il m’inspire. L’auteur du courrier semble s’étonner doublement que des personnes souffrant de troubles mentaux présentent des symptômes, et ne soient pas enfermées en permanence, bénéficiant de sorties, permissions lorsqu’elles sont en service libre, et sorties d’essai en H.D.T., en l’occurrence de deux journées dans le cours d’une hospitalisation déjà longue et ayant comporté des temps d’enfermement. La possibilité d’aller et venir et de bénéficier de sorties fait évidemment partie des droits des patients, mais aussi des nécessités thérapeutiques, dans le cadre de la relation soignante. La privation de liberté doit être utilisée avec une grande retenue. J’ajouterai qu’étrangement ce service de Protection Juridique proteste régulièrement contre les sorties ou libertés des malades, mais que nous ne recevons jamais de protestations lorsque nous maintenons un patient au C.H.S., voire dans une chambre fermée. Veuillez agréer, etc., etc.. » (…) (vous retrouverez le texte complet en document joint)

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