QUOTIDIEN : jeudi 3 janvier 2008
A fabriquer des lois dans la hâte… on est parfois obligé de les détricoter tout aussi rapidement. C’est l’expérience faite par la ministre de la Justice Rachida Dati, avec son emblématique loi contre la récidive qu’elle a dû amender discrètement le 16 novembre, quatre mois après son adoption en urgence le 10 août. Le texte avait pour fonction d’incarner la «fermeté» du tout nouveau gouvernement face à la délinquance. Il instaure notamment des «peines planchers» en cas de récidive. Dans un volet moins médiatisé, la loi s’emploie également à durcir les conditions de remise en liberté anticipée (libération conditionnelle, semi- liberté, réduction de peines…) et de permission de sortie pour certains détenus.
Bloquées. En effet, avant la loi, l’expertise psychiatrique était une condition nécessaire pour pouvoir remettre en liberté des personnes condamnées aux infractions les plus graves du code pénal : meurtre ou viol de mineur, crimes avec actes de torture et de barbarie. Avec la nouvelle loi Dati, la condition nécessaire et indispensable de l’expertise psychiatrique est étendue à de nombreuses autres infractions (violences conjugales, incendies volontaires, exhibition sexuelle, destruction et dégradation de biens, etc.). «En clair, résume David De Pas, juge d’application des peines (JAP) et secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, des personnes qui avaient l’habitude d’obtenir régulièrement des permissions de sortie se sont retrouvées du jour au lendemain bloquées dans leur établis sement, en attente d’une expertise psychiatrique, ce qui prend au moins six mois. Quant aux demandes de libération conditionnelle en cours, poursuit-il, elles ont été également freinées brusquement.»
«Goulets d’étranglement». Dans un contexte de prisons surpeuplées (au 1er décembre 2007, il y avaient 65 000 personnes placées sous écrou en France ; parmi elles, 62 000 étaient incarcérées), une telle mesure ne pouvait qu’accroître dangereusement la pression. «Avec, d’un côté, un manque crucial d’experts et, de l’autre, de plus en plus d’expertises demandées par la Justice, c’est vrai que la loi allait créer d’importants goulets d’étranglement», reconnaît une source proche de la Chancellerie.
Alertée, la ministre de la Justice a donc fini par réagir en novembre avec un décret qui marque un net retour en arrière. Désormais, l’expertise psychiatrique n’est plus obligatoire pour les infractions les moins graves. «Un décret qui modifie en douce une loi médiatique quelques semaines après son adoption, c’est un procédé choquant, voire théoriquement illégal» , s’insurge De Pas.
«Cela n’est pas illégal, répond Laurent Ridel, directeur adjoint du service des personnes placées sous main de Justice à la Direction de l’Administration pénitentiaire. Car ce décret ne contredit pas la loi, il se contente de l’assouplir. Pour des personnes qui ne présentent aucun risque de récidive, bloquer les permissions de sortie ou les libérations conditionnelles ne paraissait pas nécessaire. La volonté de la ministre de la Justice est de développer les aménagements de peine.»
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