Article de Libération du 28 janvier 2008 : Parents de mineurs délinquants : les juges boudent les sanctions

Estimés inefficaces, les dispositifs de «responsabilisation» sont peu appliqués.

CHARLOTTE ROTMAN

QUOTIDIEN : lundi 28 janvier 2008

Sanctionner les parents quand les enfants dérappent. Les «res-pon-sa-bi-li-ser». La tentation est forte d’y voir la solution à la délinquance
juvénile : en 2006, les mineurs ont représenté 18 % des personnes mises en cause (200 000 jeunes contre 109 400 en 1994). «Il y a tellement de discours et de sanctions qui visent les parents sans le recul, ni la réflexion nécessaire, déplore Marwan Mohammed, sociologue spécialiste des bandes de jeunes. Tout cela est chargé d’idéologie.» Le Centre d’analyse stratégique (1), rattaché à Matignon et censé aiguiller les politiques publiques vient d’organiser une rencontre internationale sur la question. C’était sans idéologie. Que du pratique. Un état des lieux accablantsur l’efficacité des mesures.

François Sottet est premier substitut du procureur à Paris. Il travaille au parquet des mineurs, fut juge aux affaires familiales et juge pour
enfants. C’est dire s’il est bien placé pour analyser la législation sur les mineurs. «Depuis 2002, il y a eu un empilement de textes sur la
responsabilité parentale», dit-il. Mais «personne ne s’est précipité sur cette pratique. Ces dispositifs sont restés lettre morte.» Pourtant les
textes ont été légion.

Flou. Depuis 2002, l’article 227-17 du code pénal prévoit de punir de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende «le fait par le
père ou la mère de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre«compromettre gravement»la santé,
la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur». A ce compte, «on s’est tous un jour ou l’autre soustrait à ses obligations»,
remarque Christine Lazerges, ex-députée PS, professeure de droit, coauteur d’un rapport sur la délinquance des mineurs. «Une telle
incrimination est tellement large et floue qu’elle n’est pas utilisée.

En mars 2004, une circulaire a invité les parquets à proposer une alternative aux poursuites : le stage parental. En mars 2006, la loi sur
l’égalité des chances a instauré un «contrat de responsabilité parentale» signé avec le conseil général, et dont le non-respect peut entraîner la suspension des allocations familiales.

Enfin, la loi sur la prévention de la délinquance de 2007 a installé un conseil des droits et devoirs des familles, présidé par le maire, dans les
cas de défaut de surveillance ou d’assiduité scolaire, qui peut aller jusqu’au contrat de responsabilité parentale. Quel bilan ? «L’article 222-17 est très peu utilisé par les parquets, les stages parentaux ne sont pas mis en place, détaille François Sottet. Le handicap de ce système, c’est d’être marqué par une conception infantilisante et stigmatisante.»

Quant aux maires, Charles Gautier (sénateur PS de Loire-Atlantique et maire de Saint-Herblain) dit en leur nom qu’ils «ne veulent pas d’une
telle proposition : c’est une fausse bonne idée inapplicable et inhumaine». D’autant que les familles démunies privées d’allocs vont
demander de l’aide… à la mairie.

Emeutes. Pour la première fois, les chiffres ont été donnés sur le dispositif du contrat de responsabilité parentale, que Dominique de Villepin avait sorti de son chapeau après les émeutes de 2005. Aymeric de Chalup, responsable des prestations familiales à la Cnaf, parle de
«quelques cas de signatures» qui se comptent «sur les doigts de deux mains, au maximum», et «d’aucun cas de suspension des allocations». Il
ajoute que la Cnaf a toujours été «réservée» sur un dispositif qui écarte le volontariat : «La contrainte n’est pas la solution.» «Les parents
veulent être aidés et les professionnels souhaitent des dispositifs pérennisés, note Dominique Barella, ex-président de l’USM, syndicat
majoritaire chez les magistrats, à l’issue d’une enquête sur la banlieue pour l’Inspection générale des affaires sociales. Or, le suivi est trop
«aléatoire». Chargé de la mission famille dans une ville de Seine-Saint-Denis, un homme renchérit : «On n’a pas besoin de nouveaux
dispositifs qui tombent d’en haut et qui ne sont que des effets d’annonce.» «Ce sont des lois émotives», dénonce Christine Lazerges.

La seule personne qui défende un peu des «mesures graduées et alternatives» est la commissaire divisionnaire au Comité interministériel de prévention de la délinquance. Mais Françoise Larroque en convient : «Nous n’avons pas pu encore les évaluer.» Curieux à l’heure où «l’évaluation» est dans toutes les bouches, de l’Elysée à Matignon.