Olivier Auguste
Le Figaro 01/02/2008
Les établissements peu productifs ont reçu des centaines de millions, mais ils n’ont guère respecté leurs engagements, déplore l’Inspection des affaires sociales. Trois cents millions pour repartir du bon pied. Ou trois cents millions jetés par les fenêtres ? En juin 2004, le gouvernement accorde une «aide nationale non reconductible» de 300 millions d’euros à certains hôpitaux publics (ou privés non lucratifs) pour les aider à apurer leurs déficits passés. En bénéficieront les établissements les moins productifs ceux qui vont le plus souffrir de la «T2A», la nouvelle règle budgétaire qui fait dépendre les recettes du volume d’activité. En échange, ils devront signer un «contrat de retour à l’équilibre financier» par lequel ils s’engagent à des efforts pour éviter, à l’avenir, de nouveaux «trous». Trois ans et demi plus tard, dans un rapport que Le Figaro s’est procuré, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) s’alarme des «résultats préoccupants» de ce système.
En Ile-de-France, par exemple, les hôpitaux concernés cumulaient 31 millions d’euros de déficit fin 2006 davantage que fin 2004, alors qu’entre-temps ils ont reçu 64 millions d’aides ! «Tout se passe comme si certains établissements s’étaient durablement installés dans une culture du déficit», écrivent les auteurs. Ils constatent aussi que « dans la majorité des régions contrôlées, les aides […] ont continué à être versées en dehors de tout engagement contractuel de retour à l’équilibre».
«Manque de réalisme»
La mission de l’Igas a particulièrement contrôlé 19 hôpitaux, petits ou gros. Bilan : dans trois cas, la modification voire l’abandon du contrat de redressement, après un «constat d’échec» . Dans trois autres cas, les contrats ne sont pas encore signés entre l’hôpital et l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) qui attribue les fonds. Dans deux cas, l’équilibre financier est là… grâce aux aides, et il est «instable». Le CHU de Toulouse, lui, a carrément touché «des aides importantes sans contractualisation». Partout ailleurs, les objectifs sont «non respectés».
À vrai dire, cela n’a rien d’étonnant. Mal définis juridiquement, les (éventuels) contrats se superposent, sans cohérence, à d’autres, également signés avec les ARH. Aussi curieux que cela paraisse, ils peuvent prévoir… le maintien d’un déficit à leur expiration (Albi). Ou «oublier» des «charges inéluctables», comme à Nancy où des investissements en partenariat public-privé entraîneront le versement d’importants loyers par le CHU dès 2012, non intégrés dans les prévisions.
Les hôpitaux ont peu d’outils d’analyse de leurs coûts, mais évaluent eux-mêmes leurs faiblesses ils peuvent refuser tout audit externe. Ils proposent leurs propres mesures de redressement, généralement validées in extenso par les ARH. Les plans de retour à l’équilibre manquent «de réalisme sur les prévisions des recettes» cela s’explique «par la nécessité de justifier des équipements surdimensionnés» pour l’hôpital Sud francilien ou le nouveau bloc opératoire de Tarbes.
Service fermé, médecin payé
Quant aux économies envisagées, elles «sont souvent insuffisantes». Elles ne portent «que pour une part modeste sur la maîtrise de la masse salariale, alors qu’elle constitue, en moyenne, 70 % des charges d’exploitation». Sous la pression des syndicats et des élus, les directeurs ne profitent pas de la «rotation des effectifs importante» ni de l’«augmentation des départs en retraite» pour remédier aux sureffectifs quand il y en a, ce qui n’est pas le cas de tous les hôpitaux. Les médecins, eux, sont quasi inamovibles. À Gérardmer, «après la fermeture de la chirurgie, la rémunération d’un chirurgien et d’un anesthésiste continue de peser sur le budget de l’hôpital (245 000 euros annuels)» !
Plus généralement, les économies sont souvent financières (rationalisation des achats, de l’informatique…), mais ne portent pas sur l’organisation des services médicaux. Certains blocs opératoires ne sont disponibles que 38 heures par semaine contre une norme de 54 ; le coût des gardes et astreintes «augmente paradoxalement dans certains hôpitaux dont l’activité diminue» ; et dans un hôpital (non cité) l’Igas a repéré «trois praticiens en chirurgie viscérale dont l’activité équivaut à peu près à celle d’un praticien dans le privé».
Enfin, les mesures de redressement sont élaborées sans vision prospective, sans interrogation sur le paysage hospitalier local. «Dans certains petits hôpitaux, il semble que ni l’établissement ni l’agence n’aient souhaité poser la question du maintien de la chirurgie, par crainte des réactions présumées des élus», écrit l’Igas. Ou encore : «A Lavaur, le centre hospitalier, situé à environ 50 km de Toulouse, ne s’inscrit pas dans une stratégie de coopération avec le CHU.