Le Monde Diplomatique : Traitement de choc pour tuer l’hôpital public – mars 2008

PAR ANDRÉ GRIMALDI, THOMAS PAPO ET JEAN-PAUL VERNANT
Respectivement chef du service de diabétologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière(Paris) ; chef du service de médecine interne, coordinateur du pôle médecine de l’hôpital Bichat (Paris) ; et chef de ser vice d’hématologie, coordinateur du pôle d’onco­hématologie (Pitié-Salpêtrière).

Des malades chroniques, en France, ont entamé une grève des soins pour protester contre le paiement de sommes forfaitaires pour les médicaments, les transports en ambulance et les visites médicales. Périlleux, le mode d’action rappelle que la santé ne saurait être un marché « comme les autres ». Or les réformes du financement de la Sécurité sociale et des hôpitaux publics metprofessionnels concernés et la qualité de la médecine.

LA CRISE des hôpitaux et du système de santé français ne doit rien au hasard. Elle est d’abord due à la pénurie médicale qui résulte de la politique suivie pendant vingt ans, de façon continue, par tous les gouvernecents à trois mille cinq cents médecins par an (1). Cette politique malthusienne a été prônée à la fois par certains économistes spécialistes de la santé et par les syndicats de médecins libéraux.
Pour les économistes en question, c’est l’offre qui détermine la demande. En diminuant la première, on allait donc réduire la seconde. Cette position paraît d’autant plus étonnante qu’elle ne comprenait, en parallèle, aucune adaptation du système de soins. De façon moins naïve, les syndicats de médecins libéraux estimaient que la diminution du nombre de praticiens leur permettrait d’être en position de force sur le marché. De fait, cette diminution favorise la pratique des dépassements d’honoraires, notamment des spécialistes, laquelle est en grande parlégalisée par la réforme de la Sécurité sociale mise en place par M. PhiBlazy. La philosophie de cette pratique est bien résumée par la déclaration du docteur Guy-Marie Cousin, président du Syndicat des gynécosi le dépassement d’honoraires en clinique « ne convient pas aux patients, estime-t-il, il faut qu’ils aillent à l’hôpital se faire soigner par des praticiens à diplôme étranger (2) » ! Conséquence de cette logique, la désertification médicale ne touche pas seulement certains territoires ruraux, mais aussi cerinaccessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de payer les dépassements d’honoraires.

Besoins de santé en augmentation

C’EST sur ce fond de pénurie, au moins relative, qu’a lieu le débat récur« trou de la Sécu ». Pour une part, il s’agit d’un faux débat car les comptes de la Sécurité sociale dépenfinancières. Or le déficit de la branche maladie – 6 mils’explique largement par le manque de recettes, le chômage entraînant une diminution de celles qui proviennent des cotisations sociales. Ce fait conduit à réfléchir à de nouvelles options moins aléatoires et moins inégalitaires. En effet, à chiffre d’affaires identique, les entreprises employant beaucoup de personnel sontpénalisées par rapport à celles qui en emploient peu. De plus, le gouverpratique largement les exonéintégralement à la Sécurité sociale les dettes induites.

Enfin, de nombreux revenus échappent aux cotisations. Président de la Cour descomptes, M. Philippe Séguin a calculé que, si les stock-options étaient normaleassujetties aux cotisations sociales, elles fourniraient 3 milliards d’euros, soit la moitié du déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale en 2007 (3). En effet, le budget de cette dernière n’obéit pas aux lois du marché. Le déficit dépendépenses mais aussi des rentrées, c’est-à-dire des moyens alloués par l’Etat, le budget résulte finalement d’une décision politique (4).

La vraie question est en réalité celle de l’augmentation des besoins de santé – plus rapide que celle du produit intérieur brut (PIB) – et des choix de société qu’elle implique. Malgré les affirmations de certains statisticiens raisonnant en augmentation relative des coûts, l’accroissement des besoins de santé (et donc de leur coût en valeur absolue) s’explique par cinq développements majeurs : le vieillissement et les pathologies qui lui sont liées ; l’augmentation de l’obésité et de ses complications (aux Etats-Unis, pour la première fois, l’espérance de vie de la population a diminué pour cette raison) ; le développement de l’anxiodépression et des conduites addictives ; les progrès médicaux plus ou moins importants mais toujours plus coûteux ; leur caractère incomplet, qui provoque l’inflation du nombre de maladies chroplus en plus élevés (sida, diabète, insuffisance rénale, polyarthrite rhumatoïde, insuffi sance cardiaque, insuffisance coronaire, ostéoporose, etc.).
La France dépense 11 % de son PIB pour la santé – un taux voisin de celui de l’Allemagne, du Canada et de la Suisse ; moins important que celui des Etats-Unis (16 ; plus que celui du Royaume-Uni (9 %). Il paraît réaliste de penser que la part de la production de richesse nationale consacrée à la santé devrait contipour atteindre, en France, 15 % en 2025.

Il s’agit là d’un choix de société. Les partisans du libéralisme n’ont d’ailleurs pas d’objection à cette augmentation de la part du PIB consacrée à ce secteur. Ce qu’ils contestent, c’est que ces sommes considérables échappent à la loi du profit. Il est de ce point de vue très frappant que les économistes et les politiques qui fustigent les gaspillages engendrés par les prescriptions inutiles ou les arrêts de travail abusifs n’aient rien à redire concernant trots secteurs de dépense importante.

D’abord, le gaspillage de l’industrie pharmaceutique, qui consacre environ 25 % de son chiffre d’affaires au marmarché comme les autres : il est en grande partie socialisé, puisque largement financé par la Sécurité sociale. Un rapport de l’inspection génésociales (IGAS) (5) estime que le montant du marketing pharmaceutique est de 3 milliards d’eumédicaments nouveaux, plus chers, mais n’apportant pas d’amélioration importante du service médical rendu (par tête d’habitant, la France dépense 50 % en plus pourles médicaments que l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’AlleUIGAS réclame un arrêt de la course promotionnelle et une réduction de 50 % des sommes allouées au mar keting par l’industrie.

Ensuite, les partisans de la libéralisa tion des services restent muets sur les résultats de la privatisation partielle des soins, déjà réalisée dans certains domaines, par exemple pour les assistraitement par pompe à insuline. Ces prestations sont assurées par des entreprises privées appartenant à de grands groupes comme Air Liquide ou Nestlé. Or le coût du traitement par pompe à insuline a été multiplié par trois, et ces prestataires onttendance à empiéter sur les soins réaliservices hospitaliers.

Enfin, la France détient le record européen des hospitalisations en milieu privé à but lucratif (23 %). Les cliniques ne sont plus, dans la majorité des cas, la propriété des chirurgiens qui y traplus souvent à des sociétés internationales qui ont des activités dans d’autres secteursque la santé. C’est le cas de la Générale de santé (cent quatre-vingts clivient de racheter l’hôpital de la Croix-Rouge, dans le XIIIe arron. C’est également le cas d’un nouveau venu, Vitalia, lié au fonds d’investissement américain Blackstone, dont les actionnaires exigeraient des taux de rentabilité du capital supérieur à 20%. Vitalia, qui vient de racheter quarante cliniques, poursuit son offensive. De même, les fonds d’investissement 21 Centrale Partners, lié à la famille Benetton, a acquis la clinique Chanteclair, à Marseille, « base d’un futur pôle d’exceldonc des capitaux internationaux en attente d’une vague de privatisations.
C’est dans ce contexte qu’a été mis en oeuvre le financement des hôpitaux appelé T2A (tarification à l’activité), dont le but déclaré est de diminuer le coût des hôpitaux. Et l’objectif, inavoué, d’augmenter le financement des cliniques.

En fait, le financement ne se fait pas en fonction d’une « activité » (ou soin) comme annoncé, mais de codes sensés regrouper des pathologies similaires. Or ces codes sont largement « biaisés » car il existe environ dix mille pathologies pour seulement sept cents codes définisgroupe se révèle en réalité hétérogène et comporte plusieurs pathologies. Comme par hasard, au sein d’un même groupe « homogène », les pathologies simples correspondent à l’activité principale des cliniques privées, alors que les plus complexes et les plus graves correspondent à l’essentiel de l’activité des hôpitaux publics.

Ainsi, la sinusite chronique est pour la clinique, la tumeur ORL pour l’hôpital ; la sciatique pour la clinique, la fracture du rachis pour l’hôpital ; le stimulateur cardiaque pour la clinique, l’insuffisance cardiaque pour l’hôpital. De plus, lorsqu’il s’agit d’activités purement hospita lières, tels le traitement des leucémies ou les réanimations les plus lourdes, leur financement a souvent été sous-estimé.

Avoir en permanence des lits vides

IL SUFFIT d’examiner ce que révèle la prétendue convergence public-privé fixée par le gouvernement pour l’horifinancement des hôpitaux. En effet, cette notion est aberrante en raison d’une différence structurelle des coûts. Ainsi, l’hôpital doit assurer la permanence des soinsvingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela signifie qu’il doit toujours avoir des lits vides prêts pour faire face à tout besoin aigu (épidémie de bronchiolite, canicule, etc.). Contrairement à une cli nique, il ne peut donc pas viser une occupation à 100 %. Ne pas financer les 15 % à 20 % de places vides, ce serait comme payer les pompiers seule ment quand il y a le feu !

Pour la même raison, une partie des hospitalisations ne sont pas prévisibles. Or, pour une pathologie identique, une admission non programmée coûte envicher qu’une admission programmée. De plus, le privé a l’habi tude de faire pratiquer ailleurs les exa(prises de sang, électrocardiogramme, radios…), ce qui permet d’externaliser leurs coûts, contrairement à l’hôpital public, qui réalise lui-même les examens (7).
La T2A est faite pour mesurer la quantité, pas la qualité ; les procéduresstandardisées, pas la complexité ; les gestes techniques, pas l’acte intellecne prend en compte ni la graspécialisés, ni la précarité, ni les problèmes psychologiques, ni l’édupatient… Autrement dit, elle est à peu près adaptée ou du moins adaptable aux pathologies relevant d’actes techniques et de procédures bien définies comme la radiologie, mais elle se révèle inadaptée et probablement inadaptable pour l’essentiel de l’activité des services de médecine (médecine interne, maladies infectieuses, diabétologie, rhumatologie, gériatrie, neurologie…) des hôpitaux publics.

Au demeurant, même pour une pathovarices ou pour une prothèse de hanche), on ne peut comparer l’interl’hôpital par un jeune chirurgien aidé d’un senior et celle faite, en ville, par un senior expérimenté qui a appris son métier des années aupades gestes réglés « à la chaîne ». Enfin, les salaires des médecins sont inclus dans les coûts hospitaliers, alors que les honoraires des médecins et des chirurles sommes versées par la Sécurité sociale pour payer en partie leurs assurances n’en font pas partie pour les cliniques privées.

Conçue à l’évidence en faveur des cliune augmentation de 9 % du codage d’activité desdits établissements. Certaines disposent d’ailleurs d’un logiciel permettant de trouver le codage corfacturation maximale pour la Sécurité sociale.

Le déséquilibre est d’autant plus évident que, pour ce qui concerne les misservice public, il a été prévu une enveloppe correspondant à seulerecettes globales fournies par la T2A. Comme attendu donc, 90 % des hôpitaux publics – dont vingt-neuf des trente-deux centres hospitaliers unien déficit, voire en faillite. Pour les CHU, le trou devrait être de 400 millions d’euros,dont 200 pour l’Assistance publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP) et 35 pour l’hôpital de la Pitié- Salpêtrière. Ce déficit servira d’argument pour tenter d’augproductivité.
Directeur général des Hospices civils de Lyon, président de la Conférence des directeurs généraux de CHU, M. Paul Castel a récemment réclamé une révision du statut administratif des hôpitaux : « Seul un traitement de choc au travers d’un changement de statut i, permettra aux CHU d’acquérir la souplesse indispensable à leur compéconcurrentiel (8). » A cette fin, il préconise le passage à un statut d’établissementpublic industriel et commercial (EPIC), et non plus administratif (EPA), dongestionnaires « plus d’auto nomie dans le recrutement et la gestion des personnels » : « Les directeurs passeraient des contrats avec les équipes médicales afin d’attribuer un intéressement. » En clair, il s’agit d’en finir avec le statut de la fonction publique et d’embaucher les personnes sous contrat de droit privé afin,notamment, de pouvoir les licencier plus facilement.

Le déficit permettra également de justifier l’abandon de certaines activités, la restructuration d’autres, voire la .lot fermeture pure et simple d’établissetransformation en maipourront être vendus au privé. Si on peut comprendre que sol des services de chirurgie n’ayant plus d’activité suffisante ou n’offrant pas la sécurité requise doivent être fermés, il faut voir que ces fermetures se feront en faveur des cliniques privées. Etonmaintenir leur activité, comme on l’a observé lors du développement de la chirurgie de l’obésité (après une enquête de l’assurance-maladie, les actes de chirurgie digestive de l’obésité sont passés de seize mille en 2002 à dix mille en 2003 !).

Qu’importe, peut-on penser, que les patients soient opérés en clinique si la qualité est suffisante, et tant mieux si cela coûte moins cher à la Sécurité sociale et donc à la collectivité. C’est oublier le coût pour le patient lui-même, avec des dépassements d’honomilliards d’eude l’ordre de 500 à 1 000 euros pour une cataracte, pour une prothèse de hanche, 3 000 euros pour le chirurgien et 1 000 euros pour l’anesthésiste.
Ces phénomènes ne touchent pas seul’activité privée au sein des hôpitaux publics. Il s’y pratique des dépassements d’honoraires qui, bien souvent, ne correspondent plus à aucune règle éthique : le médecin ou le chirurshow-busiles têtes que « l’hôpital est une entreprise », on ne doit pas s’étonner que les internesen grève trouvent normal de bloquer la production, c’est-à-dire de faire la « grève des soins ».

Finalement, quand on met bout à bout les différentes mesures – frandépassements d’honoraires, menaces de déconventionnement, développement (grâce à des taux élevés de rentabilité) du secteur privé à but lucratif –, on ne voit qu’une cohéprofit d’un rôle de plus en plus important laissé aux assurances complémenen particulier aux assureurs privés. Leur participation au financerisque de déboucher non pas sur une médecine à deux vitesses, mais sur une médecine à dix ou vingt vitesses. Chacun choisirait une assurance « à la carte », non enfonction de ses besoins, mais selon ses moyens. Qui fera les frais de cette privatisation ? Ni les classes les plus riches ni les couches moyennes supéMais pas davantage les plus pauvres, bénéficiaires de la couveruniverselle (CMU). Les couches moyennes inférieures, qui gagnent entre une fois et deux fois le smic par mois, seront en revanche frappées au premier chef. Soit plus de 50 % des salariés.

Deux voies de réforme

LA PROGRESSION quasi inexorable d’une politique remettant en cause un servicepublic que nous enviaient les autres pays opère grâce à une véritable stratégie. Et à ses six instruments :

1. Le « bon sens » comptable. Il perd’occulter l’idéologie qui sous-tend la nouvelle politique de la santé. Ce bréviaire comporte quelques phrases-clés : « La médecine est une marchandise comme les autres » ; « Seul le marché est efficace pour régler les besoins » ; « La garantie de l’emploi est un luxe d’un autre âge ».

2. Le cheval de Troie. Plusieurs rescomme le directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), M. Frédéric Van Roekeghem, se comportent comme des adversaires du sermiliter en faveur de sa privatisation.

3. Les transfuges. Des économistes ou gestionnaires venus de la gauche ont rallié la politique libérale. C’est le cas de M. Gilles Johanet, ancien directeur de la Sécuritésociale devenu directeur médical des assurances AGF, qui avait proposé une assurance médicale d’exd’entreprise. C’est le cas égade 1981 à 1986, devenu résolument favorable au développement du secteur privé au sein des hôpitaux publics et au changement de statut de ces derniers – ce qui leur permettrait de licencier pour raisons économiques (10).

4. Certains syndicats. La réforme a bénéficié de la collaboration de nomsyndicats, en particulier médipar la nouvelle gouvernante.

5. Les responsables politiques. Ils s utilisent la tactique du « pied dans la porte, main sur le bras » tirée du manuel du bon vendeur. Ensuite, on pousse un peu pour élargir l’entreleur bien. Cela a commencé par la franchise de 1 euro sur la consultation, avant deconcerner les boîtes de comprimés et les transports. Puis vient l’augmentation des tarifs. Toujours, bien sûr, au nom de la défense sacrée de la Sécurité sociale, dont, la main sur le cœur, on sape avec application les fondements.

Au bout de la route, on fera appel aux assureurs privés pour mettre de l’ordre dans le système et stopper l’arbitraire des dépassements d’honoraires…

6. Le fractionnement des résistances. Les ont, jusqu’à présent, su jouer des divisions catégorielles, CHU contre centres hospitaliers régiogrands centres hospitaliers contre petits hôpitaux de proximité, professeurs des universités -praticiens hospitaliers (PU-PH) contre praticiens hospitaliers non universitaires (PH), internes contre seniors, patients pris en charge à 100 % (au titredes affections de longue durée) contre patients non pris en charge à 100 %, etc.

Afin de contrer cette politique, les défenseurs du service public pourraient lui opposer une réforme partant des besoins de la population et visant à garantir l’égalité d’accès aux soins. Solidaire, le système de financement doit être assuré par les cotisations sociales et par l’impôt. De ce point de vue, si l’on peut accepter, voire souhailucratif, il n’y a aucune raison que le financement public continue à enrichir les actionnaires de sociétés à but lucradécider de verser 420 millions d’euros à ses actionnaires –, Vitalia, ou 21 Centrale Partners.
Deux voies de réforme du système de santé s’opposent. L’une, néolibérale deprivatisation rampante, vise à transférer les coûts vers les ménages et les assuprivés selon la formule : « A chacun selon ses moyens ». L’autre, républiégalitaire, cherche à défendre le principe du : « A chacun selon ses besoins socialement reconnus ». Elle s’emploie à la fois à rénover le service public et à remettre en cause les dérives mercantiles des pratiques médicales ainsi que celles des industriels de la santé.

ANDRÉ GRIMALDI,THOMAS PAPO ET JEAN-PAUL VERNANT.
(8) « Les hôpitaux veulent changer de statut pour concurrencer les cliniques », Les Ethos, Paris, 5 novembre 2007.
(9) Pierre Aballea, Fabienne Bartoli, Laurence Eslous et Isabelle Yeni, Les dépassements d’honoIGAS, RM-2007-054P, Paris, avril 2007.
Jean de Kervasdoué, L’Hôpital vu du lit, Seuil, Paris, 2004

Quelques propositions

Organisation et financement du système de santé doivent être repensés en fonctionde deux cas de figure : celui des maladies aiguës relevant de prescriptions définies etde gestes techniques, et nécessitant des soins limités dans le temps ; celui des maladies chroniques appelant une prise en charge au long cours. Le financement des hôpitaux devrait être pluriel, une part provenant de l’activité codée pour les actes techniques (après correction des codages actuels de la tarification à l’activité, T2A) ; une autre provenant de forfaits pour les pathologies chroniques ; une troisième correspondant à un budget pour les mis sions de service public qui nécessitent certes une évaluation, mais aussi une importante revaactuellement prévus (la Fédération hospitalière de France demande une revalorisation à hauteur de 50 % du budget hospitalier).
La définition de filières de soins adaptées aux pathologies suppose une répartition desprofessionnels sur le territoire, sachant qu’il n’est pas possible aujourd’hui d’exercer la médecine seul. Les personnels soignants doivent être regroupés dans des centres pluridisne peut pas vouloir fermer les hôpitaux de proximité et, en même temps, demander aux internes d’aller s’installer dans les régions non médicalisées pour pallier les manques. En revanche, il paraîtrait légitime que les étudiants en médecine, externes et internes, reçoivent des rémunérations plus importantes en échange d’un engagement de service public de trois à cinq ans dont les modalités devraient être négociées avec les intéressés. Enfin, il est indisdépassements d’honoraires sans règle et souvent sans transparence. Il faut rediscuter, pour le limiter, l’exercice privé à l’hôpital public.

A. G.,T P. ET J.-P. V.

Quand l’Angleterre veut imiter la France

PAR CATHERINE SMADJA ET PHILIPPE FROGUEL *

A LA « UNE » du gratuit Metro, le 7 janvier 2008, le drame d’une infirmière, décédée avec son bébé, dans un grand hôpital de Londres pendant son accouchement. L’injection anesthésique périobstétrique, normalement effectuée dans le liquide céphalo-rachidien du bas du dos, avait été réalisée par erreur dans une veine du bras. Une erreur plus que grossière.Les tabloïds britanniques sont pleins de ces tragédies du National Health Service (NHS, service national de santé). Comme le déplorait en privé un diabétologue du fleuron de la médecine hospitalo-universitaire bril’hôpital londonien Hamvoie de développement. »
Parlant du NHS, les Anglais (1) perpar les coupes budgétaires des années Thatcher et par l’idéologie de M. Anthony Blair : malgré les sompassera, en termes réels, de 46 milliards d’euros (35 milliards de livres) en 1997-1998 à 144 milliards d’euros en 2010-2011 –, la situation ne s’améliore guère. Etrangement, que le NHS affiche des déficits de plus de 657 millions d’euros,comme en 2005-2006, ou un surplus de 2,37 milliards d’euros l’année suimalaise reste le même.

Le gouvernement travailliste a commis deux erreurs majeures. Prede contreparties réelles. Ainsi, au moment même où leurs revenus étaient augmentés, pour atteindre près de 145 000 euros par an en moyenne (très largement supérieurs à ceux d’un professeur hospitalo-universitaire), les médecins généralistes obtenaient l’autorisation de ne plus assurer de gardes de nuit et de week-end, reportant ainsi la petite urgence sur les services hossuivant les directives gouvernementales leur imposant de réduire l’attente devenue interminable, transféraient les crédits des services d’hospitalisation vers ceux d’urgence.

SECONDE erreur, le gouvernement a cherché à imposer des réformes d’en haut, exigeant des objectifs chiffrés, mais aussi contraignant les trusts (orgagestion) à recourir à des investissements privés. Dénoncé par le candidat Blair de 1997 comme une pridevenu la panacée des travaillistes.

Or selon la très sérieuse Association of Chartered Certified Accountants (ACCA), le taux d’intérêts payé par le NHS pour les hôpitaux construits ou réhabilités par les partenariats atteint 30 % !
ET LE NOMBRE des trusts hospitaliers en déficit, à l’encontre des règles qui leur imposent un équilibre budgétaire et même la constitution de réserves, s’accroît chaque mois, atteignant 47 % à la mi-2007. _ Paradoxalement, beauhôpitaux en déficit se trouvent dans les zones riches : dotées de plus de généralistes, elles leur adressent davantage de patients. Dans les zones plus pauvres, les habitants ont un moindre accès aux généralistes et se retrouvent donc plus souvent aux urgences, généralement pour des pathologies à un stade plus avancé.
Pour revenir à l’équilibre, des recettes simples : supprimer du personcouper les dépenses de formal’ensemble du NHS). Ironie du sort, l’infirmière victime de l’erreur d’anesthésie avait émigré en Grande-Bretagne à l’appel du NHS, qui emploie de plus en plus d’étrangers. Car, autre scandale pour les Britanniques, de jeunes médecins formés dans les meilleures universités anglaises ne peu vent – en particulier en raison d’un système de recrutement par Internet bureaucratique et complexe – obtenir du travail dans leur pays, tandis que les hôpitaux sont obligés de faire appel à des infirmières et à des médecins des pays en voie de développement.

En surplus, ou en déficit, le NHS ne voit pas son efficacité augmenter ; l’espérance de vie des cancéreux est nettement plus faible qu’en France, ce qui contraste avec l’excellence de la recherche médiC’est qu’il n’y a pas en Angleterre de centres hospitaliers universitaires (CHU) « à la française », dont l’objectif jusqu’à peu était d’avoir une médecine hospitalière publique de pointe fondée sur la recherche fondamentale et clinique. Alors que la France renonce à ses CHU d’excellence, l’Angleterre cherche à les adopter, à travers le nouveau système des Academic Health Science Centres.

AINSI, en janvier 2008, le premier de ces centres a été créé par la fusion de deux gros hôpitaux londoniens, HamCollege, dont le doyen de la faculté de médecine devient directeur général. En parallèle, le Médical Research Council – équivalent de l’Inssanté et de la recherche médicale (Inserm) français –a fusionné avec le fonds de recherche clinique du NHS.
Bref, une tentative de revenir aux origines de la médecine universitaire en donnant le pouvoir aux universi taires pour essayer d’améliorer les soins en substituant l’esprit scientifique à la logique comptable. Le pari sera-t-il gagné ?

C. S. ET PH. F.

(1) Cet article ne traite que du NHS anglais : les systèmes de santé d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Ir lande du Nord, gérés de manière totalement indépen dante, ne connaissent pas les mêmes difficultés