Article de L’Humanité du 20 mars 2008 : Mobilisation contre la rétention de sûreté

Justice . Syndicats, associations et partis politiques organisent ce soir une « Nuit des libertés publiques » à Paris. Et réclament l’abolition de la loi Dati sur les criminels dangereux.

Même votée, la loi sur la rétention de sûreté mobilise encore contre elle. Ce soir, à partir de 18 h 30, les associations, syndicats et partis politiques opposés à ce texte (1) organisent une « Nuit des libertés publiques » à la Bourse du travail de Paris (Xe). Débats, lectures, projection d’un documentaire… La manifestation, ouverte au public, est prévue pour durer quatre heures. Promulguée le 25 février dernier, la loi Dati permet, pour un temps indéfini, l’enfermement dans des centres médico-judiciaires de certains criminels jugés dangereux » à l’issue de leur peine. Au préalable, le Conseil constitutionnel avait quelque peu encadré le projet, en limitant notamment l’application de cette mesure aux personnes déjà condamnées. « Mais le principe, lui, a été validé », souligne Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Avec l’ensemble des organisateurs de cette soirée, elle réclame « l’abolition » de la loi.

Entretien.

Quel est le but de cette soirée ?

Hélène Franco. Informer et alerter un maximum de nos concitoyens sur les atteintes, toujours plus grandes, à nos libertés fondamentales. Pour le coup, la rétention de sûreté est une régression inacceptable de notre droit. Avec cette mesure, quelqu’un peut rester enfermé indéfiniment après avoir purgé sa peine et sans avoir commis une nouvelle infraction ! C’est à rebours de nos principes fondamentaux, élaborés depuis la Révolution française. Désormais, on peut priver une personne de sa liberté non pas en fonction de ce qu’elle a fait, mais en fonction de ce qu’elle pourrait faire, de sa supposée « dangerosité ». Une notion dont la plupart des psychiatres estiment eux-mêmes qu’elle est très floue…

La censure du Conseil constitutionnel ne rend-elle pas la mesure acceptable ?

Hélène Franco. Non. Les sages ont, avec beaucoup de contorsions, validé ce principe très dangereux de rétention après la peine. Ils participent à cette idée – illusoire – que le risque zéro existe. Plus généralement, le vote de cette loi s’inscrit dans une politique pénale de moins en moins humaniste et de plus en plus brutale. À l’image des peines planchers, on ne demande plus aux magistrats de rendre des décisions réfléchies, qui prennent en compte l’humain, mais d’appliquer des peines automatiquement, selon un barème. Résultats, entre autres, de cette politique : l’explosion des incarcérations avec 48 000 détenus en 2001, contre 62 000 aujourd’hui…

Comment comptez-vous mobiliser sur une loi déjà votée ?

Hélène Franco. On a le devoir d’informer et d’informer encore… Je fais le parallèle entre cette lutte et celle menée avant 1981 contre la peine de mort. On est confronté à cette même philosophie de l’élimination sociale. C’est donc une question de principe, face à laquelle on ne peut pas rester tiède : comme il n’y a pas de « bonne » peine capitale, il n’y a pas de « bonne » rétention de sûreté. D’autres aspects nous inquiètent. Ainsi le gouvernement se réfère souvent à l’exemple allemand où existe une mesure proche de notre rétention de sûreté. Là-bas, 435 personnes sont actuellement soumises à cette mesure et nos collègues allemands nourrissent pas mal d’inquiétudes. Quelqu’un à qui l’on a fait comprendre qu’il est trop dangereux, et qui n’a pas de date prévisible de sortie, ne parvient pas à se projeter dans une démarche de réinsertion. Une fois entré, en fait, il devient très difficile de le faire sortir de la structure. Il est comme dans un tunnel sans lumière au bout.

(1) Syndicat de la magistrature, GENEPI, FSU, UGSP-CGT, LDH, UNEF, LCR, les Verts, MRAP, PCF, Union syndicale de la psychiatrie, OIP…

Entretien réalisé par Laurent Mouloud