Propos recueillis par Olivier Auguste et Béatrice Taupin
« Je n’ai pas cherché le consensus à tout prix ; j’ai plutôt essayé de faire naître les convergences», explique Gérard Larcher.
Urgences, petits hôpitaux, sécurité, le sénateur dévoile son rapport.
Le sénateur UMP Gérard Larcher, ancien ministre et ex-président de la Fédération hospitalière de France, remet jeudi matin à Nicolas Sarkozy son rapport sur la réorganisation de l’hôpital. Il a rencontré 200 personnes mais l’affirme : «J’ai cherché des convergences, pas le consensus.»
LE FIGARO. – Votre rapport sur l’hôpital a-t-il pour but de réaliser des économies ?
Gérard LARCHER. – Nous avons cherché à répondre aux questions que le président de la République nous avait posées en nous confiant cette mission, le 16 octobre au CHU de Bordeaux. Comment éviter que des gens qui n’ont rien à y faire viennent embouteiller les urgences ? Comment répondre avec égalité et qualité aux besoins de santé sur tout le territoire ? Comment avoir un vrai patron à l’hôpital ? Faut-il imaginer des réunions d’établissements ? Pourquoi les praticiens quittent-ils le public ? Quel rôle pour le privé ? Comment améliorer l’enseignement et la recherche ? Au final, nous sommes convaincus qu’il y aura deux leviers à la réforme de l’hôpital, bien plus puissants que l’enjeu financier : la sécurité et la baisse de la démographie médicale.
Vous voulez créer des «communautés hospitalières de territoire». Est-ce la mort des petits hôpitaux ?
Ne posons surtout pas la question en termes de structures mais de besoins de santé ! Au lieu de faire chacun pour soi, on va faire tous ensemble, pour le malade. Les élus, les usagers, les professionnels et les futures agences régionales de santé doivent tracer, au sein de chaque région, les territoires de santé pas question que cela «tombe» de Paris. Dans chaque territoire, les hôpitaux auront la liberté de s’associer, comme les communes peuvent se regrouper dans les communautés de communes. Les communautés hospitalières auront des compétences obligatoires (investissement, logistique, planning des médecins sur tous les sites) et d’autres optionnelles. Chaque hôpital local demeure et garde son conseil d’administration, son personnel non médical… On peut avoir, par exemple, un hôpital central avec un plateau technique important (un CHU dans les grandes villes) et des hôpitaux périphériques avec des consultations, de la gériatrie, des soins palliatifs… Mais encore une fois, à chaque territoire de trouver le schéma qui lui convient le mieux. L’essentiel est de constituer une équipe dans chaque spécialité : chirurgie, réanimation…
Pas d’obligation à se regrouper, mais ces communautés hospitalières cumuleraient les avantages…
Leur statut est une réponse au problème d’attractivité de l’hôpital public. Les médecins ne partent pas seulement parce qu’ils sont moins payés que dans le privé, mais parce que tout est lourd, long, formel. Il faut parfois l’avis de 22 instances pour prendre une décision ! Il n’y a pas de pilote responsable. Un directeur ne peut quasiment pas se séparer de son adjoint ou d’un médecin, un mauvais directeur ne peut presque jamais être remplacé. Un hôpital en déficit, c’est une heure et demi difficile à passer en conseil d’administration où le maire, les syndicats, les médecins et le directeur se renvoient la balle. Et puis on repart pour un an. Nous demandons un commissaire aux comptes, comme dans le privé : je vous assure que l’hôpital dont les comptes ne seront pas certifiés changera rapidement.
Quelles autres mesures concrètes pour mieux organiser le système de santé ?
Il faut sur chaque territoire une régulation unique des urgences hospitalières et des gardes libérales, via le «15». Nous devons trouver d’autres points d’entrée à l’hôpital que les urgences pour les malades chroniques, les personnes âgées ou les patients adressés par leur médecin traitant : il faut des consultations non programmées de spécialistes. Une personne âgée déshydratée ne peut pas attendre quatre heures dans un couloir qu’on lui fasse une perfusion ! Un médecin référent sera désigné pour chaque patient hospitalisé, chargé de faire le lien avec les professionnels de santé libéraux. Cela permettra d’améliorer les relations avec la médecine de ville. L’hôpital a des marges de progrès considérables sur ce point. Dès l’entrée à l’hôpital, il faut préparer la sortie, prévoir un médecin, un kiné, le portage des repas à domicile…
Aujourd’hui bien souvent, on ne sort plus guéri ou convalescent de l’hôpital, mais on a bénéficié de soins techniques qui permettront de guérir une fois rentré chez soi, ou dans un établissement de convalescence.
Vous suggérez de permettre aux médecins qui le veulent de quitter leur statut actuel pour être payés à l’acte. Les syndicats vont crier à la privatisation de l’hôpital !
Ils feraient mieux de crier à la mort de l’hôpital public ! Depuis longtemps, les praticiens s’en vont. Ou bien ils abusent du secteur privé à l’hôpital. Par ailleurs, nous ne touchons pas au statut du personnel non-médical. Même là où il y a des sureffectifs, le turnover élevé suffit à régler le problème.
Vous proposez que la nouvelle Haute Autorité de la concurrence examine les rachats de cliniques pour éviter que de grands groupes ne se trouvent en situation de monopole local. N’est-ce pas trop tard ?
Nous sommes déjà au bord du monopole dans certaines régions. Mais on peut imaginer que l’autorité impose des échanges : si vous voulez acheter telle clinique, vous devez vendre telle autre dans une autre région où vous êtes très dominant. Ce n’est pas une querelle idéologique : les Capio, Générale de santé et autres Blackstone ne sont pas des «affreux», mais que se passe-t-il le jour où ils veulent vendre parce que leurs cliniques n’atteignent pas la rentabilité à deux chiffres qu’ils attendent ? Nous proposons aussi d’encourager les investisseurs à long terme à entrer au capital des cliniques, comme la Caisse des dépôts, certains assureurs ou banques mutualistes, ou de faciliter le portage par des médecins.
Avez-vous éliminé certaines idées pour ne pas faire trop de vagues ?
J’ai fait ce que je pensais possible et utile. Nous avons reçu des centaines de contributions, mené six débats en province et auditionné plus de 200 élus, syndicalistes, professionnels de santé hospitaliers et libéraux, responsables médico-sociaux et usagers. Je n’ai pas cherché le consensus à tout prix ; j’ai plutôt essayé de faire naître les convergences, de les forcer parfois. Je ne me suis pas bridé et je crois que nous nous sommes tous affranchis des corporatismes, des habitudes qu’on rebaptise «acquis». Les élus, par exemple, ont accepté l’idée que le président de la communauté hospitalière de territoire ne soit pas forcément un maire. Notre commission propose même qu’il puisse être une personnalité qualifiée. Je n’ai voulu faire ni une œuvre de cartographie ni un audit comptable… ni un rapport de plus !
Arrêter la fuite des médecins vers le privé et créer un pilote
09/04/2008
La reconversion des services hospitaliers doit se poursuivre, estime le rapport, qui refuse de fixer un objectif chiffré : tout doit partir d’une analyse fine des besoins au niveau local. Voici les principales propositions de la commission Larcher.
Regroupements. Chaque «territoire de santé» est délimité par les acteurs locaux. Les hôpitaux publics s’y trouvant sont incités à s’y regrouper en une «communauté hospitalière». Seules ces communautés bénéficient d’un nouveau statut, affranchi de beaucoup de pesanteurs (code des marchés publics…). Pour établir une cohérence avec le secteur médico-social, des conventions sont signées entre les agences régionales de santé et les conseils généraux (en charge du handicap, des maisons de retraite…).
Pilotage. Dans les CHU et les communautés hospitalières, un conseil de surveillance et un directoire remplacent les actuels conseils d’administration. Le conseil de surveillance regroupe élus locaux, représentants du personnel et des médecins hospitaliers, personnalités qualifiées, usagers, médecins libéraux. Grande nouveauté, c’est lui qui choisit le directeur, qui ne sera plus forcément issu de l’École de la santé de Rennes et pourra même venir du privé. Le ministère de la Santé, aidé par des cabinets de recrutement, et l’agence régionale de santé (ARS) valident ce choix. Révocable, entouré d’un directoire essentiellement composé de soignants, le directeur est le véritable manager de l’hôpital. Les médecins sont nommés par le directoire, avec validation de l’ARS, et non plus par le ministre. S’ils sont mal évalués par leurs pairs, ils peuvent être placés «sous statut de recherche d’emploi» : une révolution !
Rémunérations. Pour enrayer la fuite des médecins vers le privé, ils peuvent renoncer à leur statut où «ils sont payés le même montant qu’ils travaillent peu ou beaucoup, qu’ils prennent des responsabilités ou pas, qu’ils en bavent ou pas», résume Gérard Larcher. Ils peuvent alors être payés, tout ou partie, en fonction de leur activité ou de leurs responsabilités (enseignement…). Ce choix est réversible. En outre, des médecins libéraux peuvent être embauchés dans le public à temps partiel, en CDI, payés à l’acte (ce système remplace les actuelles vacations en CDD payées forfaitairement à la demi-journée). Plus généralement, le personnel est intéressé au niveau d’activité ou aux résultats financiers.
Fermetures, reconversions. C’est le sujet le plus sensible pour le grand public mais il est loin de constituer le cœur du rapport. Les textes actuels «permettent de procéder aux transformations nécessaires de lits inutilisés en place d’hébergement médico-social». Ils doivent être utilisés pour «centrer la mission de l’hôpital sur la phase aiguë» de la maladie et développer des structures en aval (réadaptation, gériatrie…) qui permettent de désencombrer les urgences. Attention, met en garde le rapport, «cette politique volontariste doit éviter une approche uniforme» (fixer des ratios de reconversions s’appliquant partout en France) et «préférer une identification fine des besoins».
Lien ville-hôpital. Chaque malade hospitalisé se voit attribuer un médecin référent dans l’établissement, chargé des relations avec la famille et le médecin traitant. Des messageries sécurisées permettent des échanges de courriels avec les médecins de ville.
Cliniques privées. Elles peuvent opter pour un contrat de service public : en échange de certaines obligations (urgences, accueil des précaires, modération des dépassements d’honoraires…), elles reçoivent des subventions. Leur rachat est soumis à la future autorité de la concurrence.
Recherche et enseignement. Des équipes atteignant une taille critique sont constituées par interrégions. Elles reçoivent des labels dont dépend leur financement. Des fondations associant CHU et entreprises privées peuvent être créées.