L’application de la T2A « injuste, inégalitaire et incohérente »
La FHF dénonce l’asphyxie budgétaire des hôpitaux publics
La Fédération hospitalière de France tape du poing sur la table : on est en train d’organiser la faillite des hôpitaux publics, dénonce son président, Claude Evin. Deux mécanismes sont, selon lui, à l’oeuvre : au sous-financement chronique du secteur s’ajoutent aujourd’hui des modalités d’application perverses de la tarification à l’activité (T2A).
« L’étranglement financier touche désormais tous les hôpitaux », déplore Claude Evin(S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »)COMME TOUS LES ANS, est-on tenté de dire, la Fédération hospitalière de France (FHF) s’alarme de la situation budgétaire des hôpitaux publics. A ceci près que l’exercice se double cette fois-ci d’accusations aussi peu voilées que très argumentées de mauvaises intentions des pouvoirs publics à l’égard du secteur. «On organise la faillite des hôpitaux publics», explique le président de la FHF et ancien ministre de la Santé, Claude Evin, qui n’hésite pas à évoquer un «sous-financement délibéré de l’hôpital».
La FHF estime que, pour 2007, le déficit global du parc hospitalier public avoisinera les 800 millions d’euros – en 2006, le « trou » était de 700 millions et, en 2005, année où la politique des reports de charges était encore possible, ceux-ci étaient de l’ordre de 500 millions d’euros. Elle insiste aussi sur le fait qu’aucun établissement n’est plus épargné : «L’étranglement financier touche désormais tous les hôpitaux, déplore Claude Evin, y compris les plus vertueux qui auraient dû, logiquement, bénéficier de la T2A [tarification à l’activité, NDLR].»
Car la FHF constate que des mécanismes pervers sont en jeu dans la mise en oeuvre de cette T2A. Et qu’ils se révèlent catastrophiques, introduits sur le terreau moins nouveau d’un ONDAM hospitalier [objectif national des dépenses d’assurance-maladie] «insuffisant». A ce sujet, la Fédération met les points sur les « i ». Le décalage constaté entre les charges des hôpitaux et la réalité de l’ONDAM a imposé aux établissements «un effort d’économies de 1,3milliard d’euros depuis 2005», calcule son délégué général, Gérard Vincent – pour la seule année 2008, cet effort est de 400 millions, selon la FHF. Un malheur n’arrivant jamais seul, des transferts financiers viennent en cours d’exercice ponctionner ces trop courtes enveloppes, accuse la FHF qui rappelle que, en 2006, 191 millions d’euros sont ainsi passés de l’escarcelle des hôpitaux publics à celle des cliniques privées (événement épinglé en septembre dernier par le rapport de la Cour des comptes) et que, en 2007, 200 millions d’euros ont été transférés des budgets hospitaliers vers la médecine de ville. En dehors de ces mouvements, la FHF regrette que les bases de référence ne soient pas les mêmes pour l’ONDAM des soins de ville et pour l’ONDAM hospitalier. «En 2008, résume Gérard Vincent, les dépenses des soins de ville doivent augmenter de 1,9% par rapport à 2007 mais ce pourcentage part de la dépense constatée en 2007; cela signifie que l’ONDAM de la ville sera en réalité en hausse de 5,85%. A l’inverse, les dépenses des établissements de santé sont présentées en hausse de 3,18% en 2008 mais, en réalité, elles vont augmenter de 2,95%, l’enveloppe de départ étant débasée via les 200millions d’euros transférés l’an dernier à la ville.»
Pour ne rien arranger, les mesures salariales négociées en décembre par la fonction publique – et qui ne sont pas prises en compte dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2008) – viennent encore grever les budgets, explique la FHF : «A elles seules, elles consomment l’évolution tarifaire de +0,43% arrêtée pour 2008», calcule Gérard Vincent.
Des tarifs amplificateurs d’inquiétude. L’inquiétude des hospitaliers publics est démultipliée avec la T2A. Si la FHF continue à adhérer au principe de cette réforme – «Il s’agit d’un mode de tarification plus intelligent que le budget global», répète Claude Evin –, elle en conteste aujourd’hui violemment des «modalités d’application de plus en plus injustes, inégalitaires et incohérentes.»
Au banc des accusés : la régulation prix-volume (les tarifs baissent quand les volumes augmentent) qui, d’une part, joue à 100 % pour l’hôpital public mais pas pour les cliniques privées (où les honoraires des médecins ne font pas partie des tarifs) et qui, d’autre part, vaut pour l’ensemble des tarifs MCO, alors que les augmentations de volume sont «surtout constatées sur les activités exploratoires et de petites chirurgies (endoscopie, dermatologie, ORL…) essentiellement assurées en secteur privé». La FHF s’indigne en outre de l’existence de «tarifs opaques et insuffisants» (voir tableau) : «Ils sont pour certains inférieurs au prix de revient calculé par le ministère de la Santé, s’étonne Gérard Vincent. Dans ces cas précis, l’hôpital perd de l’argent chaque fois qu’il fait une activité.» Quant aux incohérences, la FHF les illustre avec l’exemple de la chirurgie ambulatoire, dont le développement est encouragé, notamment dans les SROS (schémas régionaux d’organisation sanitaire), par les pouvoirs publics. Or «pour une même pathologie, les tarifs en hospitalisation classique diminuent de 0 à 30%; les mêmes tarifs en chirurgie ambulatoire ne font l’objet d’aucune hausse tarifaire», ce qui conduit la Fédération à évoquer une «fausse incitation».
Surtout, la prévision d’activité en volume sur laquelle se base la T2A (+ 1,7 % cette année) impose aux établissements, pour être « payés », des seuils qui ne correspondent «pas à (une) réalité» que la FHF chiffre plutôt à + 0,4 %. Avec des conséquences pratiques dramatiques : «Si les hôpitaux ne font pas 1,7% d’activité en plus, ils plongent. La mécanique est inflationniste. Mais on ne peut pas indéfiniment augmenter l’activité, sauf à faire des actes inutiles», met en garde Gérard Vincent.
Le phénomène n’a rien d’anecdotique. Directeur général du CHU de Bordeaux, Alain Hériaud transforme son établissement en cas d’école : en 2007, il était presque à l’équilibre, dans le rouge pour 1 million d’euros « seulement » pour un budget de 820 millions, mais, si les règles tarifaires de 2008 avaient prévalu, le déficit à Bordeaux aurait été de quelque «8millions d’euros».
L’impasse. Les hôpitaux arrivent aujourd’hui au bout de ce qu’ils sont capables de faire : «Ils ont tout mis en oeuvre pour retarder au maximum les conséquences de ce sous-financement, mais toutes les solutions sont désormais épuisées», fait valoir Claude Evin, qui rappelle aussi que, quand les fonds de tous les tiroirs ont été grattés, ne demeure plus comme variable d’ajustement que le reste à charge pour l’usager – entre 2005 et 2006, celui-ci aurait augmenté de 12,7 % puis encore de 16,8 %, entre 2006 et 2007.
Dans cette situation d’«impasse», la FHF demande «un plan gouvernemental de résorption des déficits», une précision «du champ d’action de la T2A» et une revalorisation dans ce mode de tarification de «la part des missions d’intérêt général».
KARINE PIGANEAU