Ce qui est préservé, ce qui va changer
Que restera-t-il de l’hôpital public tel qu’il fonctionne aujourd’hui, si le plan de réforme que souhaite Nicolas Sarkozy est appliqué à la lettre dès l’automne prochain ? A quels changements les médecins hospitaliers doivent-ils s’attendre concernant leurs conditions de travail et leur statut ? Tentative de mise au point après le discours fleuve sur la santé que le chef de l’Etat a prononcé jeudi dans les Vosges.
SANS JETER aux oubliettes les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 qui ont lancé tout un train de réformes dont la mise en oeuvre pour certaines débutent à peine, Nicolas Sarkozy, en déplacement à Neufchâteau, dans les Vosges, a présenté une vision bien à lui de l’hôpital public. Vision qui, si elle se concrétise, bouleversera l’organisation de l’offre de soins et le fonctionnement interne des hôpitaux.
L’objectif est affiché sans fard : zéro déficit en 2012. Sans leur verser un centime de plus, Nicolas Sarkozy attend des hôpitaux une mue sans précédent. La réforme qu’il porte, il s’y attend, essuiera des critiques. «L’avenir de l’hôpital est en cause», insiste-t-il.
Faire de l’hôpital un établissement à caractère industriel et commercial eût été trop explosif : l’hôpital restera public. Sont également conservées, la tarification à l’activité (T2A) et la relance des investissements hospitaliers. Une précision cependant : les 10 milliards d’euros d’investissements prévus par Hôpital 2012 iront «en priorité (…) aux établissements qui acceptent de se mettre en réseau», a averti le président de la République.
Sur d’autres points, le chef de l’Etat entend pousser plus loin la situation actuelle. Parfois même, faisant siennes la plupart des propositions de Gérard Larcher, il préconise une remise à plat complète de l’institution. Ainsi de la gouvernance hospitalière, qui devrait connaître un sérieux lifting. L’organisation en pôles est maintenue, mais le conseil exécutif et le conseil d’administration devraient disparaître. A leur place, un directoire qui décide, et un conseil de surveillance qui veille aux équilibres financiers. Les pouvoirs sont redistribués. Propulsé président du directoire, seul «patron» à bord, le directeur «décide et assume». Le président de la CME deviendrait numéro deux du directoire. Et le maire se verrait retirer la présidence de fait du conseil de surveillance.
Dans cette nouvelle configuration, les futures agences régionales de santé (ARS) tiendront un rôle clé, puisqu’elles auront le pouvoir de changer d’affectation les directeurs d’hôpital. Ce sont elles aussi qui nommeront tout à la fois les directeurs d’hôpital et les praticiens sous statut.
A la clé pour les 40 000 médecins des hôpitaux – auxquels le président a assuré que la réforme ne se ferait pas contre eux –, de multiples retombées. Notamment une évaluation renforcée de leur activité, associée à une rémunération plus incitative. Mais comment financer l’augmentation de la part variable pour les PH statutaires, et les revenus des contractuels censés se rapprocher des honoraires du secteur libéral ? De cela, Nicolas Sarkozy n’a pas parlé, d’où un vent de scepticisme parmi les médecins qui l’ont écouté jeudi dernier (voir aussi ci-dessous le point de vue du Dr Pierre Faraggi).
De même, Nicolas Sarkozy s’est-il gardé d’évoquer la mobilité professionnelle qu’implique son projet de recompositions hospitalières. L’avenir, dit-il, est aux hôpitaux multi-sites, que Gérard Larcher a baptisés « communautés hospitalières de territoire ». Ce n’est pas dit tel quel, mais cela semble implicite, médecins et soignants auront à naviguer d’un site à l’autre au gré des besoins. «Mutualiser les moyens est indispensable, mais c’est là l’un des écueils majeurs de la réforme car il y aura des résistances», commente un patron d’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH).
D’autres acteurs du monde hospitalier se demandent si les communautés hospitalières de territoire, présentées comme une évolution essentielle, ne constituent pas en fait un retour en arrière, en ce qu’elles rappellent les anciennes assistances publiques. Mais, pour Nicolas Sarkozy, le scénario présenté est le bon. «Dans un même territoire, chaque hôpital doit cesser de vouloir tout faire», insiste-t-il. L’Elysée s’attend à la création de quelque 300 communautés si les 1 000 hôpitaux acceptent de se regrouper. Il faudra faire passer la pilule auprès des directeurs et des maires, car si les entités juridiques sont trois fois moins nombreuses, eux aussi, de fait, seront moins nombreux en poste.
Tout cet ensemble de mesures vise à assainir les comptes, Nicolas Sarkozy ne s’en cache pas. «On ne peut pas demander à un chef de l’Etat de considérer comme normal que les hôpitaux soient en déficit récurrent.»
L’engagement de Nicolas Sarkozy, qui fait du sauvetage de l’hôpital une affaire personnelle, tranche à l’évidence avec l’attitude de son prédécesseur. Jacques Chirac n’a pas porté directement la politique hospitalière durant ses deux mandats, quand bien même il avait étiqueté « prioritaires » les chantiers du cancer et du handicap.
Ce faisant, Nicolas Sarkozy s’expose. Déjà, les attaques surgissent, y compris chez les partisans du rapport Larcher. «Le volontarisme réformiste du chef de l’Etat est une bonne nouvelle pour l’hôpital, estime ainsi la Fédération hospitalière de France (FHF), mais son manque de prise en compte des problèmes financiers actuels traduit une appréhension défaillante de la situation réelle de notre secteur hospitalier.»
Le cap étant désormais fixé, une nouvelle période de concertation s’ouvre maintenant. Roselyne Bachelot reçoit demain les intersyndicats de médecins hospitaliers. Le débat public va durer cinq ou six mois. La loi qui créera les ARS et qui réformera l’hôpital est annoncée après l’été.
DELPHINE CHARDON
Haro du président sur les dépassements
Lors de l’évocation des contrats de service public, Nicolas Sarkozy a rappelé sa volonté de «responsabiliser» les cliniques et les médecins qui y travaillent, quant à leur investissement dans la permanence des soins. «Je souhaite qu’ils prennent des engagements sur les dépassements d’honoraires, parce que les dépassements d’honoraires posent parfois des problèmes d’accès aux soins, a également indiqué le président de la République. Les tarifs du secteurI doivent être accessibles de droit dans un certain nombre de cas. Et les dépassements, dans les autres cas, doivent être annoncés à l’avance et être la contrepartie de qualifications et de compétences soumises à évaluation régulière. On ne peut pas accepter la loterie des tarifs. C’est une question, pour le coup, d’équité dans l’accès aux soins.»
« Bouée de sauvetage » ou projet « courageux »
SI LE PRÉSIDENT de la République a reçu des louanges dans son propre camp pour les pistes de réforme hospitalière par lui tracées – l’UMP a salué un projet «courageux et nécessaire» –, il a aussi essuyé quelques critiques.
Dans les registres du financement et de l’égalité de l’accès aux soins, le chef de l’Etat n’a pas toujours convaincu. Ainsi, Christian Paul, député socialiste de la Nièvre et grand défenseur des hôpitaux de proximité, a déclaré que l’hôpital méritait «plus qu’une bouée de sauvetage». Martin Malvy, président (PS) de l’Association des maires des petites villes de France, a estimé que le projet de Nicolas Sarkozy était «à très haut risque pour tous (les Français) qui habitent à plus de 30km ou trente minutes d’un CHU ou d’un hôpital départemental» – moins sévère, l’Association des maires de France s’est dite ouverte à la réforme mais attentive à ses conditions d’application.
Pour le PS, la réforme annoncée n’est qu’«un jalon de plus» dans «la démolition de la Sécurité sociale et de la santé pour tous». La CGT a, elle, mis en garde contre des risques de «dérives», comme la «sélection» des patients par l’hôpital en fonction de leur «rentabilité». Quant au Parti communiste, tout comme la LCR, ils ont dénoncé une «privatisation» de l’hôpital public, l’opération se faisant «au forceps», à en croire le premier, et «tous azimuts» selon la seconde.
Pour sa part, la CFTC a regretté que les «préoccupations budgétaires l’emportent sur la nécessité d’assurer les missions du service public hospitalier».Moins sévère que son parti sur la philosophie de la réforme – les propositions du rapport Larcher sont pour lui «consensuelles» –, le député socialiste de Paris et président de l’AP-HP, Jean-Marie Le Guen, a insisté, lui aussi : «L’hôpital public ne doit pas être soumis à des plans de rigueur insupportables et contre-productifs.»
K. P.
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