Article du Quotidien du Médecin du 30 mai 2008 : Bruxelles va redéfinir le temps de garde

Les médecins salariés européens sont à nouveau inquiets

Le Conseil des ministres européens examinera les 9 et 10 juin un projet de révision de la directive sur le temps de travail des salariés en Europe. Le texte propose de distinguer des plages de travail actives et inactives au sein des gardes. Principales cibles de cette disposition, les médecins hospitaliers de l’Union, qui refusent d’en entendre parler, militent pour que l’idée soit abandonnée.

NOUVELLE ALERTE. Et nouvelle menace d’une « eurogrève » des soins, la première du genre si elle devait avoir lieu. Les médecins salariés européens – ils sont 1,2 million – refusent catégoriquement que leurs gardes ne soient plus considérées comme du temps de travail à part entière.

Le risque, un temps écarté, vient de resurgir car Bruxelles, à nouveau, s’en mêle. La révision de la directive sur le temps de travail figure à l’ordre du jour du Conseil des ministres européens, les 9 et 10 juin. Un article prévoit de distinguer le temps de garde actif et inactif.

Le dossier achoppe depuis des années faute de consensus : le Conseil approuve cette distinction alors que le Parlement européen s’y oppose. La présidence slovène, avant de céder son siège à la France, a décidé de remonter au créneau. Le projet de révision sera-t-il approuvé par une majorité ? Difficile à dire car le jeu des alliances est hermétique. La position de la France, en particulier, n’est pas claire.

Casus belli. Soudés, les médecins s’organisent pour faire pression, dans chaque pays, auprès des ministères de la Santé et du Travail. Les consignes circulent par mail, invitant le lobby médical à peser de tout son poids avant le vote. C’est «sous la pression des médecins européens» que ce même projet, examiné à Bruxelles en décembre 2007 sous la présidence portugaise, avait été ajourné, observe le Dr Claude Wetzel, fer de lance de la contestation médicale au sein de l’Union (« le Quotidien » du 5 décembre 2007).

Pour cet anesthésiste strasbourgeois, président de la FEMS (la Fédération européenne des médecins salariés), le projet de réforme relève du non-sens. «Qui va tenir le registre de nos périodes de travail et de repos?», questionne-t-il. C’est également un casus belli. «En anesthésie, quand un malade est en salle de réveil, je veille, j’attends ses résultats d’examens, expose le Dr Wetzel. Au besoin, je dors pour récupérer, mais je suis sur place, prêt à intervenir. Si une part de mon travail, demain, n’est plus comptée comme telle, je rentrerai chez moi, et mes collègues aussi. Le risque est de mettre fin aux gardes sur place, ce qui serait une menace directe pour la santé des patients.»

À cet argument, les directeurs d’hôpitaux européens en opposent un autre, financier : «Il existe aujourd’hui un flou sur la définition du temps de garde, expose Pascal Garel, secrétaire général de HOPE (la fédération européenne des hôpitaux). Si une directive décide, comme le souhaiteraient les médecins, que le temps de garde est du temps de travail normal, cela multiplierait par deux le coût des gardes. Les hôpitaux ne pourraient pas payer.»

Dans la lutte d’influence qui se joue dans les couloirs de Bruxelles, la fédération HOPE n’est pas en reste. Son discours est rodé : «La directive est un bon compromis, car elle maintient la possibilité, pour les volontaires, de travailler plus de 48heures, poursuit Pascal Garel. C’est nécessaire en période de pénurie médicale. D’autant plus en France où il existe une compétition très forte avec le privé, et où les médecins libéraux ne comptent pas leur temps.»

Dans l’éventualité où Bruxelles déciderait de mettre fin à l’« opt out », cette dérogation qui permet de travailler plus de 48 heures par semaine, les hôpitaux du continent n’auraient d’autre choix que de sortir les médecins du salariat pour continuer à tourner, affirme la fédération HOPE. Mais de cela, bien sûr, les médecins ne veulent pas entendre parler.

Sauf nouvel ajournement, c’est donc le 9 juin que les ministres européens voteront la révision de la directive. Une réunion préparatoire a eu lieu le 28 mai, qui a peut-être donné lieu à des modifications. Le Dr Wetzel compte sur l’entrevue que lui accorde lundi le ministère de la Santé, pour trouver une oreille réceptive. Tout ne se jouera pourtant pas le 9 juin. Pour être adoptée, la nouvelle directive doit ensuite être votée par le Parlement. Il faut aussi que chaque pays accepte de l’appliquer. Le président de la FEMS prévient qu’il ne se contentera pas d’une vague promesse française. «Vu la durée de vie de nos ministres, il faut être naïf pour croire que la France n’appliquera pas ce texte s’il est voté. C’est pourquoi il faut bloquer le projet en amont, au Conseil européen. La position de la France, croit savoir le Dr Wetzel, sera décisive.»

DELPHINE CHARDON

Les autres points de crispation

Le texte que va examiner le Conseil européen propose de modifier les règles du temps de travail. Beaucoup de retombées à la clé pour les médecins salariés des 27 Etats membres, à commencer par la création d’une part inactive dans le temps de garde, à leurs yeux le point le plus inacceptable. S’y ajoutent d’autres inquiétudes. Le calcul du temps de travail hebdomadaire serait annualisé, alors que la base de calcul est aujourd’hui de quatre mois. La FEMS (Fédération européenne des médecins salariés) craint une intensification de la charge de travail sur de courtes périodes. La dérogation autorisant les pays à dépasser le plafond hebdomadaire de 48 heures (« opt out ») serait par ailleurs maintenue, alors qu’elle devait prendre fin. Les salariés volontaires pourraient ainsi travailler jusqu’à 60 heures, voire 65 heures si le pays décide de créer une part inactive durant les gardes. Dernier point qui inquiète la FEMS : le repos de sécurité, au lieu d’être pris dans la foulée de la garde, pourrait être posé dans les 72 heures.

article
http://www.quotimed.com/documentroot/qdm/iss14583/Pag114768/QDM8381_002.pdf

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