Par Christine Tréguier | journaliste | 13/06/2008 | 08H38
« Le Naufrage de BE1D »… Ce pourrait être un titre de film, où Xavier
Darcos jouerait le rôle du bon Commandant, sauvant ce qui reste du
navire BE1D (Base Elèves du premier degré). Un film où le Commandant
Darcos admettrait, au terme de quatre années de lutte acharnée, que
les collectifs « Non à Base Elèves » ont eu raison de se mobiliser
contre ce fichier. Où il annoncerait depuis le gaillard d’avant, qu’il
fait stopper les machines et évacuer le navire avant qu’il ne sombre
totalement. Sauf que nous ne sommes pas dans un film, mais dans la
réalité, saisie en direct dans un communiqué, ce jeudi 12 juin à
19H23: Darcos va « expurger » la Base Elèves de tout ce que les mutins
demandaient depuis le début.
A 20 H 23, la FCPE et la LDH de Toulon commencent à faire circuler un
communiqué titré « Darcos expurge à nouveau la « base élèves » de données personnelles ». Ce que les militants y lisent est tellement énorme qu’ils doutent et hésitent à crier victoire. On n’est pas le 1er
avril, mais sait-on jamais. Mieux vaut vérifier. Problème, à 21
heures, le Ministère est fermé, les syndicats d’enseignants et de
parents d’élèves aussi. Rien de plus. Les militants s’interrogent.
A bureau de la LDH Toulon, François, épuisé et toujours à son poste,ne
sait que penser. Son téléphone sonne. C’est un ami journaliste, mis au
courant une demie heure plus tôt qui le rappelle. L’info semble
véridique, et le communiqué apparaît dans la base Pressed. L’agence,
qui a enquêté et détaille la nouvelle ainsi :
« M. Darcos assure que « la nouvelle version de cet outil ne fera plus
apparaître la profession et la catégorie sociale des parents, ni la
situation familiale de l’élève, ni l’absentéïsme signalé pas plus que
les données relatives aux besoins éducatifs particuliers ».
Quatre ans de bagarres
Le Ministère de l’éducation nationale, qui a lancé l’expérimentation
de ce fichier en 2004 dans la plus grand opacité, bloque des quatre
fers depuis quatre ans pour faire la lumière sur les visées réelles de
ce fichier. Il se heurte depuis le début au refus des enseignants, des
directeurs d’écoles, des parents et des défenseurs des libertés
publiques de renseigner une telle base de données. Pour eux Base
Elèves peut trop aisément se transformer d’outil de gestion des
établissements en un mouchard au service d’autres objectifs, fixés par
la loi prévention de la délinquance, ou par ceux de la loi Borloo sur
l’égalité des chances. Une version soft de la précédente, estiment
certains, contenant sous des vocables rassurants des mesures
similaires de repérage précoce et de prévention/répression des jeunes
délinquants, des élèves et, par leur truchement, des familles à
problèmes. Base Elèves a également souffert d’une sécurisation
insuffisante, révélée par les enseignants, qui ne semble que
théoriquement et partiellement résolue aujourd’hui.
Depuis quatre ans, les collectifs demandent donc au Ministère de
l’éducation nationale et à la CNIL de régler ces problèmes et à défaut
d’abandonner Base Elèves, de supprimer les données potentiellement
dangereuses -nationalité, absentéisme, besoins particuliers de suivi
de santé ou de scolarité pour les élèves en difficulté. En octobre
dernier, sous la pression des écoles , Darcos avait supprimé les
références à « la nationalité, la date d’entrée sur le territoire, la
langue parlée à la maison et la culture d’origine ». Ce qui avait donné
lieu en mai à une nouvelle déclaration auprès de la CNIL. Malgré cela,
les collectifs restaient plus mobilisés que jamais.
Darcos dit aujourd’hui « attacher une attention personnelle à la mise
en place effective et rapide de ces décisions ». Outre les nouvelles
suppressions de données, l’arrêté en cours de rédaction aura « une
valeur normative forte » et précisera « l’interdiction de collecter une
quelconque donnée relative à la nationalité et l’origine raciale ou
ethnique des élèves et de leurs parents ou responsables ». Et il n’y
aura pas non plus d’utilisation des données précédemment collectées.
Pourquoi un tel revirement?
Le plus étonnant dans ce revirement est sa motivation. Selon le
communiqué, il fait suite à « un courrier de jeudi adressé à la
fédération de parents d’élèves PEEP » (Fédération des Parents d’Elèves
de l’Enseignement Public, penchant plutôt à droite, contrairement à la
FCPE) répondant à ses demandes. Le gouvernement céderait donc à la
pression de la droite et non de la gauche dans cette affaire. Ce qui
amène à deux hypothèses: soit le gouvernement navigue à vue, soit la
FCPE et les collectifs avaient tellement bien vu les dangers de ce
fichier, que mêmes les syndicats plus proches du pouvoir ne pouvaient
que se rallier à leurs positions. Mais Darcos a pu aussi se laisser
convaincre par le fait que des parents avaient annoncés leur intention
de « dormir dans l’école de leurs enfants, lors de la « nuit des écoles »
(nuit devendredi à samedi).
Une chose est certaine ce jeudi soir: les collectifs peuvent se
féciliter d’avoir maintenu la pression.