Quotas. Selon le rapport que s’est procuré «Libération», les experts sont sceptiques.
CATHERINE COROLLER
Nicolas Sarkozy pourrait regretter d’avoir confié à Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel et gaulliste historique, la mission de réfléchir au «cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration». Les treize sages de sa commission ont bouclé vendredi leur rapport, que Libération s’est procuré avant qu’il ne soit officiellement remis à Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, le 11 juillet. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs conclusions ne sont pas politiquement très correctes. Dans sa lettre de mission, Hortefeux leur demandait d’étudier «deux domaines de la politique d’immigration : la maîtrise des flux – particulièrement les quotas – et la simplification du contentieux des étrangers» (aujourd’hui confié à deux juridictions, administrative et judiciaire). Sur les deux points, les membres de la commission Mazeaud rejettent tout besoin de changement.
Depuis son élection, Sarkozy a martelé sa volonté d’établir des quotas d’étrangers admis à entrer en France. C’est la fameuse immigration «choisie». Sur France 2 en septembre 2007, il souhaitait que soit fixé, chaque année, «un chiffre plafond d’étrangers que nous accueillerons sur notre territoire». Et à l’intérieur, «un quota par profession, par catégorie». Et «naturellement, un quota par région du monde». Ajoutant : « Tous les pays démocratiques le font.»
Sauf que non, justement. « Une politique de quota migratoire global ou par grand type d’immigration n’est pratiquée nulle part en Europe», rétorquent les sages. Et si les voisins de la France ne l’ont pas mise en place, c’est peut-être parce qu’elle est moralement condamnable. Pour la commission, quota est synonyme de «fixation unilatérale et opportuniste de contingents d’entrées». Sur le fond, les sages jugent que «des quotas migratoires contraignants seraient irréalisables ou sans intérêt».
Famille. Sur la question précise et ultra sensible des quotas par nationalité ou région du monde, les fameux quotas ethniques, les sages rappellent le sacro-saint «principe d’égalité» entre tous les citoyens, quelle que soit leur nationalité, garanti par la Constitution et les traités internationaux dont la France est signataire. Ils considèrent toutefois que «les contingents par pays» peuvent être justifiés « par l’intérêt commun du pays d’accueil et du pays d’origine».
Concernant l’immigration familiale, principale porte d’entrée en France, «les pouvoirs publics nationaux ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les flux», expliquent les sages. La Constitution et les traités internationaux garantissant le droit de vivre en famille, le pouvoir ne peut pas s’arroger le droit de fixer le nombre d’étrangers autorisés à entrer en France, chaque année, à la suite d’un regroupement familial ou d’un mariage mixte. Par ailleurs, s’agissant de l’immigration de travail, «des quotas [par branche ou par métier, ndlr] sont envisageables au niveau national ou européen, mais ne sont pas indispensables à la maîtrise du flux». «d».
Enfin, une politique de quotas n’a pas de sens pour l’immigration irrégulière. Et risque même de l’encourager : «L’affichage d’un contingent pourrait avoir, paradoxalement, un effet incitatif.» Pour faire sauter les verrous législatifs, Brice Hortefeux avait demandé aux experts d’étudier l’opportunité d’une révision constitutionnelle. «Unanime», la commission invite «les pouvoirs publics à ne pas s’engager dans cette voie».
«Trois soucis». A l’autre question qui lui était posée, l’unification juridictionnelle du contentieux de l’entrée et du séjour des étrangers, la commission répond par la négative. Lourde puisqu’exigeant une révision constitutionnelle, elle aurait pour résultat un doublement de la charge de travail des magistrats chargés de ces dossiers. Débordant le cadre qui lui avait été fixé, la commission formule «un certain nombre de recommandations». En fait, il s’agit d’une véritable politique d’immigration alternative «inspirée par trois soucis : la transparence, la simplicité et la solidarité». Autant de qualités qui manquent à la politique plus idéologique que pragmatique de Sarkozy ? Pour les sages, il faudrait favoriser les va-et-vient entre le pays d’origine et la France «qui sont souvent dans l’intérêt de tous», y compris du migrant. Une r évolution qui va à l’encontre des «politiques conduites pendant une trentaine d’années». «Une meilleure maîtrise de l’immigration doit être recherchée par des voies empiriques et multiformes, en étroite concertation avec nos partenaires européens» et avec les pays d’origine, disent-ils. Et cela, suivez leur regard, «plutôt que dans des recettes radicales purement nationales» ou des «remèdes spectaculaires mais illusoires».