En dépit de parts de marché qui se tiennent mieux que prévu face à la concurrence des cliniques, la plupart des établissements ont voté des budgets 2008 en déficit. Et commencent à supprimer des emplois.
La règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, en vigueur dans la fonction publique d’Etat, ne concerne pas les hôpitaux, pour lesquels le gouvernement n’affiche aucun ratio. Pour autant, après les fortes augmentations d’effectifs liées notamment aux 35 heures, certains gros établissements commencent à s’attaquer à l’emploi (lire ci-dessous). Pour Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France, c’est la conséquence directe de « l’asphyxie financière programmée des hôpitaux ». Selon la FHF, il faudrait supprimer l’équivalent de 20.000 postes pour équilibrer les budgets, mais le gouvernement comme les élus locaux soutiennent rarement les directeurs d’établissement sur ce sujet.
Fin 2007, les établissements publics cumulaient 730 millions d’euros de déficit net (dont la moitié pour les seuls CHU), selon un nouveau bilan de la fédération, établi hier. « On sera entre 800 millions et 1 milliard d’euros de déficit fin 2008, prévient Yves Gaubert, délégué général adjoint. Le problème, c’est que, cette fois, les établissements n’ont plus de réserves. » Voilà pourquoi, sur le terrain, les discussions entre les hôpitaux et les agences régionales de l’hospitalisation (ARH) sont souvent tendues. Les conseils d’administration ont voté des prévisions de budget pour 2008 souvent en fort déséquilibre (lire ci-dessous). Les agences accordent des aides aux hôpitaux engageant des restructurations, « ce qui équivaut à des suppressions de postes », traduit Yves Gaubert.
Possibles excédents
Pour 2009, la FHF évalue à 4,15 % la hausse nécessaire des crédits pour les hôpitaux, et ce sans mesure nouvelle sur les dépenses (plans de santé publique, par exemple). Le ministère de la Santé rétorque que les déficits ne sont pas inéluctables, puisque, avec les mêmes règles tarifaires, certains établissements dégagent des excédents. A la fin 2007, le bilan de la FHF fait état d’un cumul d’environ 100 millions d’euros de profits pour les hôpitaux bénéficiaires. Selon nos informations, le centre hospitalier Pierre-Nouveau (Cannes) et celui de La Rochelle ont réalisé des excédents d’environ 4 millions l’an dernier, devant Bourg-en-Bresse (3,5 millions), Villefranche-sur-Saône (2,5) ou encore Cahors et Mont-de-Marsan (plus de 2 millions).
Autre fait notable, plus inquiétant : le déficit global des hôpitaux s’accroît, bien que l’activité du public face au privé se tienne mieux que prévu. La FHF doit publier prochainement une étude montrant qu’en matière d’hospitalisation complète le public a vu ses parts de marché progresser dans tous les secteurs entre 2002 et 2006 : de 1,3 % en médecine, de 7 % en obstétrique et, plus surprenant, de 3 % en chirurgie (à 42,2 % de part de marché). En ambulatoire (hospitalisation de jour), les cliniques confortent à l’inverse leurs positions sur la chirurgie (à 73,2 % de part de marché) et la médecine, des secteurs plus rentables, souligne la FHF.
ÉTIENNE LEFEBVRE
Les principaux établissements peinent à sortir du rouge
– Caen. Avec un déficit prévisionnel d’exploitation pour 2008 de 8,2 millions d’euros, pour un budget de 439 millions, le CHU de Caen relève timidement la tête. Au 31 décembre 2007, le déficit atteignait 12,1 millions. Un plan de retour à l’équilibre prévoit la suppression de 250 postes d’ici à 2012. A l’intérieur de l’établissement, la situation sociale est tendue. « Nous avons même monté une petite cellule de crise pour épauler un agent quand il est à bout », explique Martine Moricet, secrétaire de SUD-santé au CHU.
– Le Havre. L’hôpital du Havre, dont le déficit s’est élevé à 13 millions d’euros en 2007 – pour un budget de 294 millions – et qui pourrait atteindre 24 millions en 2008, a mis au point un plan de retour à l’équilibre pour 2012. Quelque 150 salariés ont déjà accepté de quitter l’établissement avec une indemnité pouvant aller jusqu’à 45.000 euros. 150 autres partant à la retraite ne devraient pas être remplacés, en priorité dans les catégories de non-soignants.
– Lille. Le CHRU de Lille a réalisé un déficit de 15 millions d’euros en 2007, ce qui a entraîné un projet de l’ARH de supprimer 300 postes. Celui-ci a été rejeté vivement par Martine Aubry, maire de Lille, car l’hôpital fait des progrès réguliers : il a économisé 20 millions d’euros depuis quatre ans et il table sur un retour à l’équilibre en 2010. Pour 2008, le déficit prévisionnel est de 9 millions d’euros.
– Lyon. Le CHU de Lyon, le deuxième de France avec quelque 22.000 agents, a échappé in extremis à la mise sous tutelle en votant mi-juin un budget déficitaire de 112 millions d’euros contre 36,58 millions en 2007. Le ministère de la Santé a consenti une aide de 20 millions en contrepartie de mesures d’économies du même montant. La direction a coupé dans les dépenses pharmaceutiques et médicales et limité l’augmentation de la masse salariale, en ramenant au niveau de 2006 le recours aux intérimaires. Par ailleurs, elle a procédé à un premier rééchelonnement du plan d’investissement dont certaines opérations à venir seront redimensionnées.
– Marseille. L’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), troisième CHU de France avec plus de 14.000 salariés, a fini l’année 2007 avec un déficit de 50 millions d’euros, soit un peu plus de 5 % des dépenses d’exploitation. Malgré un plan d’action attendu en octobre, le déficit de cette année devrait être sensiblement le même que celui de 2007. Outre des efforts de gestion, les principales pistes d’économies envisagées passent par une réduction du personnel administratif avec le non-remplacement de départs à la retraite. Pas question en revanche de toucher au personnel soignant, en déficit chronique.
– Nancy. A Nancy, le déficit, de l’ordre de 25 millions d’euros pour 591 millions de dépenses d’exploitation, devrait s’établir à près de 30 millions pour 2008. Le nouveau directeur général va s’attacher à « fluidifier des lits » et à poursuivre le regroupement sur deux sites des activités médicales actuellement éclatées. Il n’est pas prévu de suppressions de postes.
– Nice. Avec un déficit de 36,4 millions d’euros en 2007, le CHU de Nice (plus de 7.000 personnes) a vu ses charges progresser de 13 % ces sept dernières années alors que l’activité a reculé de 4 %. Le plan de redressement présenté au printemps dernier a été refusé par le nouveau maire UMP de Nice, Christian Estrosi, suite à des mouvements de grève du personnel. Ce plan prévoyait une baisse des frais généraux sur trois ans avec des suppressions de postes administratifs par redéploiement des effectifs et non-remplacement de certains départs à la retraite. Pour ce qui est de l’activité de santé, le retour à l’équilibre était prévu sur cinq ans, sans suppressions d’emplois.
– Rennes. Après une perte de 6 millions d’euros en 2007, le CHU de Rennes a prévu un déficit de 10 millions d’euros en 2008 pour un budget total de 500 millions. Afin de parvenir à « un retour à l’équilibre au cours des deux à trois prochaines années », le CHU, réorganise l’ensemble de ses activités de chirurgie. Quelque 7.700 personnes travaillent dans ce CHU où le climat social reste tendu.
– Toulouse. Le CHU de Toulouse (10.000 agents) a enregistré un déficit de 12 millions d’euros en 2007 sur un budget de 800 millions. Le directeur veut réduire celui-ci à 5 millions en 2008, à budget constant, tout en poursuivant plusieurs chantiers de reconstruction pour un coût de 500 millions d’euros de 2005 à 2010. Pour cela, il a pris des mesures d’économies comme la suppression de 100 postes en 2008 dans les services administratifs et de logistique. Le maire de Toulouse, Pierre Cohen (PS), a refusé de voter le budget.