PARIS, 15 juillet 2008 (APM) – Un rapport de l’Institut Necker, révélé mardi dans Les Echos, dénonce la « faillite » de la recherche médicale dans plus de la moitié des CHU.
Pour établir son constat, l’Institut Necker, dirigé par Philippe Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Necker, a étudié les 40.000 publications de 2000 à 2006 dans 2.000 journaux internationaux, des 5.500 professeurs et maîtres de conférence hospitalo-universitaires et des 1.850 chercheurs des 350 unités Inserm et CNRS implantées dans les 32 CHU français.
Pour « éviter toute critique », l’institut a pris en compte le nombre de fois où un article publié est cité par la communauté des chercheurs.
L’analyse a porté sur trois niveaux: le niveau de base des publications dans 2.000 journaux, un premier niveau d’excellence dans les 100 meilleurs journaux et un troisième d’excellence dans les 10 meilleures publications.
L’enquête « révèle l’extraordinaire disparité d’un CHU à l’autre. Un paysage extraordinairement contrasté. Le meilleur et le pire », résume Philippe Even en introduction de son rapport.
« Avec seulement 38% des chercheurs universitaires Inserm et CNRS et malgré deux facultés marginales (Paris-Ouest et Bobigny), Paris produit 50% des articles » dont « 57% de ceux qui paraissent dans les 100 meilleurs journaux et 73% de ceux que publient les 10 meilleurs », observe-t-il globalement.
LES CHU REPARTIS EN QUATRE GROUPES
Pour procéder à leur classement, les auteurs ont répartis les 32 CHU en quatre groupes, du meilleur ou moins bon (A, B, C et D), sur la base de deux indicateurs quantitatifs et qualitatifs.
Le groupe A réunit Paris 5 (Necker, Cochin et Broussais), Paris 6 (Pitié-Salpêtrière et Saint-Antoine) et Paris 7 (Lariboisière, Saint-Louis, Bichat et Beaujon), soit « 20% des hospitalo-universitaires, 40% des chercheurs Inserm et CNRS qui y sont implantées et 60% des publications d’excellence ».
« L’université Paris 5 (où Necker devance très largement Cochin et l’HEGP) est de loin le premier CHU de France », commente Philippe Even.
« Avec 15 fois plus de chercheurs que les derniers CHU, il est 100 fois supérieur à eux, en terme d’impact global de ces publications, ce qui tient non seulement à sa taille, mais plus encore à la qualité de ses chercheurs, universitaires ou Inserm ».
Le groupe B réunit huit CHU « encore de grande qualité » qui sont Lyon, Lille, Marseille, Paris 12-Créteil, Toulouse, Paris 11 (Bicêtre, Paul Brousse et Antoine Béclère) ainsi que Nantes et Nice, représentant 30% des effectifs et 35% à 45% des publications scientifiques.
« Très loin derrière » arrive le groupe C avec dix CHU qui représentent 25% des effectifs « mais seulement 10% à 15% » de la production scientifique. Il s’agit de Strasbourg, Bordeaux, Montpellier, Rouen, Angers, Grenoble, Rennes, Paris 13-Bobigny, Dijon et Paris-Ouest.
Philippe Even note que les facultés de plusieurs grandes villes sont présentes dans ce groupe alors qu’elles sont pourtant au premier rang de la recherche biologique mais effectuée hors des CHU, comme Strasbourg ou « à un moindre degré Montpellier et Grenoble ».
Le groupe D « ferme la marche, très loin derrière les autres, avec tous les petits CHU des villes moyennes » (Besançon, Caen, Reims, Brest, Saint-Etienne, Limoges, Poitiers et Amiens) qui n’ont « à l’évidence pas le niveau requis », ainsi que les CHU de trois grande villes, Nancy, Tours et Clermont-Ferrand.
S’agissant des trois derniers CHU, Philippe Even considère qu’ils « relèvent véritablement de la réanimation mais semblent ne pas en avoir pris conscience », leur situation n’étant pas nouvelle.
L’auteur estime que le « succès » de Paris et des CHU de quelques grandes villes est dû au fait que ces établissements ont « voulu et su attirer les chercheurs de l’Inserm et du CNRS sur leur campus, ce que n’ont pas voulu ou su faire la moitié au moins des CHU ».
EXISTENCE CONTESTABLE DE PLUSIEURS CENTRES
L' »échec » en matière de recherche de plus de la moitié des CHU est lié, selon lui, à la « multiplication » de ces établissements en France, pour des raisons d’aménagement du territoire sans le souci de former « des masses critiques de cerveaux et de moyens techniques ».
C’est ainsi que « de petits centres n’ont plus aucun sens aujourd’hui à Amiens, Caen, Brest, Besançon, Saint-Etienne, Poitiers, Reims ou Limoges », la recherche étant devenue une « ‘big science’ exigeant des moyens techniques très lourds ».
Philippe Even pointe aussi la « médiocre qualité de la formation scientifique » des médecins empêchant les étudiants d’accéder à des outils de recherche, tels qu’une machine PCR, un cytomètre de flux, un séquenceur ou encore un microscope confocal.
Il dénonce aussi la « façon scandaleuse » dont se déroule la sélection des universitaires.
Alors que théoriquement, les titulaires sont recrutés à la suite de concours nationaux ouverts à tous, sur la base des postes publiés au Journal officiel, les candidats sont en fait préparés localement sans mobilité, pendant cinq à dix ans puis nommé sur des postes créés spécifiquement pour eux, explique Philippe Even.
Il stigmatise aussi le « simulacre » de validation effectué par le Conseil national des universités (CNU) auprès des candidats et prévient qu’il publiera en octobre un rapport « désastreux » sur cette instance.
Enfin, la quatrième cause de l’échec de la recherche dans certains CHU est liée à « l’état d’esprit de trop d’universitaires », qui se montre « passif et conformiste (…) ».
Il constate que 90% des 1.800 MCU-PH « ne publient à peu près rien de qualité et seulement 50% des PU-PH le font, dont 20% seulement à un certain niveau de qualité internationale, la seule qui compte », estime-t-il.
« Globalement, plus des deux tiers des hospitalo-universitaires ne publient donc guère et ces pourcentages sont bien plus élevés dans les facultés des groupes C et D », dénonce-t-il tout en remarquant que des disparités existent aussi entre certains campus du groupe A.
Philippe Even conclut son rapport en déplorant l’absence de grandes innovations françaises en matière de traitement médicamenteux ou de techniques médicales.
« Hormis la demi-synthèse de deux des 30 anti-cancéreux majeurs, due à Pierre Potier à Gif-sur-Yvette (Essonne), à partir de produits naturels identifiés ailleurs, pas un vrai médicament utile français qui vaille depuis 30 ans, mais seulement quelques faux médicaments inutiles, tels que le clopidogrel [Plavix*, Sanofi-Aventis/Bristol-Myers Squibb] ou le rimonaban [Acomplia*, Sanofi-Aventis] », martèle-t-il.
« Nous sommes certes les plus grands fabricants de médicaments d’Europe mais non les inventeurs des médicaments que nous produisons et exportons », regrette-t-il.
« De même, hormis de très rares percées cliniques (…), nous n’avons rien inventé depuis les hétérogreffes de valves cardiaques dans les années 1970 qui ont valu la médaille Lasker à Alain Carpentier ».
A la fin de son rapport, Philippe Even salue nommément onze chercheurs qui ont su « s’élever au plus haut niveau » ainsi que « quelques dizaines d’autres », tout en remarquant qu’ils restent des « exceptions ».
Ce « triste » bilan « impose une étude plus approfondie et un « véritable livre blanc de la médecine universitaire et de la recherche médicale », conclut-il.
L’Institut Necker avait déjà publié, en juillet 2007, un rapport sur la recherche biomédicale en France, rappelle-t-on (cf dépêches APM COKGN001 et APM COKGN002). Philippe Even précise que le classement global qui était présenté à cette occasion est « sensiblement différent » dans la mesure où il incluait les grandes structures extra-universitaires (instituts de biologie, grands centres anti-cancéreux, Ecole normale supérieure de Paris et Lyon, CNRS, CEA).
(« Faillite et carences de la recherche médicale universitaire », Institut Necker, 11 pages et 7 tableaux)http://www.lesechos.fr/medias/2008/0715//300279833.pdf