L’orthographe et le style ont été pris de court sans doute par tant d’efficience : les fautes de frappe et d’orthographe abondent (plus d’une douzaine pour la seule page 29 par exemple). Les métaphores, même très usées, égayent cependant la lecture (p. 28 « Vaisseau amiral de l’hospitalisation, temple de la formation et de la recherche, le CHU coule lentement » ; forcément si l’on charge trop la barque…), ou stimulent l’attention par leur côté énigmatique (les hôpitaux « assurent aussi la très grande majorité des urgences, bulle temporaire qui nous éclaire violemment sur la gravité de la désorganisation de l’offre de soins » p. 12). Pour la méthode, pas moyen de savoir, puisqu’elle n’est pas exposée, sauf à garder la seule indication repérable, dans la présentation de la liste des personnes auditionnées : « avertissement : les personnes auditionnées ne représentent qu’elles-mêmes et en aucun cas les organismes, institutions, établissements, sociétés ou syndicats auxquelles elles appartiennent ou dont elles sont responsables. » p. 39.
S’y trouvent notamment près d’une vingtaine de dirigeants de grandes entreprises privées (parmi lesquelles des groupes de cliniques, mais aussi le président d’Air France-KLM, celui du CA du groupe ACCOR, ou encore un « directeur d’usine » de Cholet), qui ont donc sans doute donné leur avis à propos de la gouvernance des hôpitaux publics sans tenir compte de leur fonction de chefs d’entreprise. Le contenu du rapport n’est pas très compliqué. C’est un hymne aux bienfaits de la libre entreprise appliquée à l’hôpital public, un credo martelé à coup d’affirmations juxtaposées et jamais démontrées. Résumé : l’hôpital public est une entreprise comme une autre, où une majorité de travailleurs honnêtes souffrent de l’impéritie de leur encadrement et du corporatisme passéiste des médecins qui ne sont pas encore partis vers l’excellence du privé, alors que tout irait bien avec un management d’entreprise privée, mené par un chef, un vrai, avec une rémunération au mérite pour tous, pour atteindre l’objectif d’une « production de soins », protégée par une « éthique de production ». Cette volonté politique de transformer l’hôpital public en entreprise privée lucrative n’est pas nouvelle et, depuis la banalisation, à partir de 2004, du terme de gouvernance, nous l’avons vue exposée dans tous les rapports et discours sur l’hôpital public.
L’intérêt de ce texte est de l’écrire de façon à la fois caricaturale et directe. Il est du coup possible de se demander si son caractère outrancier n’est pas au service de la tactique bien connue du ballon d’essai (faire paraître par contraste le rapport Larcher recommandable) Quelques illustrations, à base de citations regroupées par thèmes, afin d’étayer les propos ci-dessus : 1- soigner des êtres humains est une activité industrielle et commerciale comme une autre :
« La production de soins, cœur du métier de l’hôpital » p. 4 Les nouvelles « communautés hospitalières » sont qualifiées « d’unité opérationnelle adéquate répartie en filiales de tailles différentes aux fonctions diverses » p. 13
L’hôpital doit « enfin penser son action en terme de marché organisé avec d’autres établissements de soins privés comme publics […avec] une rénovation des modes de production sanitaire » p. 6
«Combien [d’hôpitaux] peuvent comparer leurs prix dans une démarche de benchmarking intelligente ? Combien enfin, connaissent-ils réellement leurs parts de marché ? » p. 8
« Quel hôpital pourrait-il vivre aujourd’hui sans produire son propre chiffre d’affaire ? » p. 10
« Est-il possible d’entrevoir l’organisation de l’hôpital sur la base d’un modèle industriel visant à optimiser la qualité du service rendu aux malades et blessés au meilleur prix ? » p. 7
« L’entreprise doit vivre avec ses ressources propres et si son chiffre d’affaire annuel permet de dégager un bénéfice, elle doit le réinvestir dans l’amélioration de ses prestations et dans une participation aux résultats de ses personnels et de ses éventuels actionnaires. Les citoyens d’un territoire de santé recherchent un accès rapide à de bons soins. L’hôpital a donc les mêmes buts et contraintes qu’une autre entreprise qui produit des biens différents » 2- Pour cela il faut oser entreprendre :
« Osons sortir du seul code de la santé pour aller lire le code du commerce » p. 15, ce afin d’y trouver les modèles pour les « Directoires » et les « conseils de surveillance ». Par exemple, les CA actuels ont une composition réductrice « laissant de côté nombre de forces vives entrepreneuriales qui font vivre les régions et seraient prêtes à agir ou conseiller pourvu qu’elles ne perdent pas leur temps dans des réunions où aucune décision importante n’est prise » p. 7
« Il faut en finir avec les directives venues d’ailleurs qui gèlent toute dynamique de production sous des prétextes de normes et de garanties plus stérilisantes qu’utiles. Il n’y a pas d’entreprise sans risque, ni de management sans responsabilité » p. 24 3- Pour entreprendre, il faut des hommes (pas des « représentants » élus, systématiquement disqualifiés : dans les conseils de surveillance, « préférer des personnes à des représentants qui restent souvent muets car non impliqués directement dans la marche de l’entreprise, ou ne possédant pas la culture nécessaire pour appréhender les enjeux » p. 32)
Des « managers », qu’il faudra très bien payer ; les rémunérations du président et des autres membres du directoire « pourra être supérieure aux grilles actuelles de la fonction publique si un conseil de surveillance veut attirer les meilleurs responsables » p. 33
Des managers si plein de vertus (liste p31) que « la compétence technique n’est pas indispensable » p. 32
Du personnel payé en partie au rendement, pardon à « l’activité », après modernisation des statuts. Car « le statut de fonctionnaire à vie » empêche « d’embaucher ou débaucher » en fonction des besoins, et conduit à « une politique de rebasage injuste pour ceux qui font les efforts d’évoluer et émolliente pour ceux qui vivent de l’aumône étatique » p. 13
Mais il est surtout question des médecins, le reste du personnel étant à peu près absent du rapport. Pour les médecins donc « un « contrat global d’exercice » valable sur le territoire de la communauté hospitalière dont une partie sera rémunérée à l’activité et à sa qualité » p. 5.
L’exemple d’intéressement donné pour les médecins à partir du système du CHU de Liège, permet d’évaluer la rémunération de l’auteur, quand il précise : « le résultat par médecin varie entre 10000 et 20000 euros par an soit un 13e mois ou plus » ( !) p. 14 Et la matière première de la production de soins, les « malades et les blessés » ?
Ils sont d’abord des individus autonomes et mobiles, sans souci mesquin de prise en charge financière ; attention, « les malades iront se faire soigner ailleurs » p. 35 si on ne réforme pas l’hôpital public. Ils sont également des actionnaires : « par analogie avec les actionnaires d’une entreprise privée, ce sont ceux qui au travers de l’assemblée générale investissent dans l’entreprise hôpital. On peut considérer légitimement que les citoyens qui payent leurs impôts et les cotisations sociales jouent le rôle des investisseurs. Au lieu de recevoir des dividendes, les citoyens demandent une qualité de soins à la hauteur des moyens financiers et humains mis en jeu… » p. 18
Mais, en tant qu’usagers, ils doivent savoir garder leur place (comme les petits actionnaires ?) : « les usagers, par les retours d’information des sondages de qualité réguliers, sauront alerter le directoire sur les variations de qualité des établissements » p. 36. 4- Evidemment, tout ce système est contrôlé rigoureusement
Grâce à « l’éthique de production » : « le comité d’éthique [du conseil de surveillance] vérifiera l’absence de dérive mercantiliste de la production de soins » p. 21 et la CME, modifiée, devra « développer une véritable éthique de production, sachant les difficultés de choix auxquelles pourront être confrontées les directions… en cas de dérive productiviste… » p. 25.
Et à l’évaluation, une « évaluation objective donc chiffrée » p. 9. « Pour évaluer, il faut d’abord mesurer. La priorité des priorités est d’équiper les établissements des systèmes informatiques utiles à la collection des données multiples qui, remises en ligne et analysées avec pertinence serviront de base indispensable à la réorganisation du travail des personnels, médecins y compris » p. 12. Il suffisait d’y penser, depuis des années que l’on cherche !
Quand on pense que le comité national d’éthique a émis récemment un avis complexe sur la T2A (n°101), alors qu’il suffit de résumer simplement la situation : « la tarification à l’activité (T2A) a révélé la sous-productivité globale du service public hospitalier que ne peuvent masquer les excuses de la prise en charge de toute la misère de France » p. 6. Mais, au fond, comme tout est dans tout et réciproquement, laissons le mot de la fin à l’auteur, qui écrit en caractères gras, avant sa conclusion générale : « Finalement, le choix des hommes prime sur le mode de gouvernance, expliquant toute la difficulté que rencontrent ceux qui doivent organiser une direction. Des hommes de valeur qui œuvrent ensemble sauront toujours trouver les moyens d’agir efficacement. Des responsables qui ne sont ni à la hauteur de leurs taches, ni collégiaux, failliront quelque soit le système de management adopté » p. 34.
C’est pourquoi nous terminerons ici cette évaluation, sans commenter plus avant les dispositifs préconisés, que le lecteur intéressé pourra trouver dans le texte intégral du rapport ! Le 29 juillet 2008 Claire Gekiere, médecin hospitalier