Article du Quotidien du médecin du 1er septembre 2008 : loi Bachelot

Renforcer le rôle du médecin traitant ; conforter les directeurs d’hôpital, nouveau statut pour les futurs médecins hospitaliers ; mise en place des agences régionales de santé ; nouvelles règles de représentativité syndicale ; organisation de la FMC, politique de prévention… la loi Patients, santé et territoires, dite loi Bachelot, doit être discutée avant Noël par les députés. « Le Quotidien » en présente aujourd’hui les grandes lignes, même s’il est vrai, comme tient à le préciser la ministre de la Santé, que tout n’est pas encore complètement bouclé. Mais les orientations principales sont désormais connues.

Le détail de l’avant-projet de loi

IL AURA fallu plus de temps que prévu aux services de Roselyne Bachelot pour accoucher de l’avant-projet de loi Patients, santé et territoires.

Matignon a veillé au grain tout l’été. Plusieurs versions se sont succédé, raccourcies sur injonction du Premier ministre. La plus récente, en date du 22 août, circule sur Internet. Quatre titres, 41 articles, 115 pages. « Le Quotidien » en présente les grandes lignes ci-dessous. Cette version, précise toutefois Roselyne Bachelot, n’est pas validée. Vendredi, de nouveaux ajustements ont été apportés à l’occasion d’une réunion interministérielle.

Place maintenant à un mois de concertations en tout genre – entretiens bilatéraux avec les syndicats, séminaires… Il n’y a pas une minute à perdre pour tenir les délais. «Le calendrier initial est maintenu», s’emploie à répéter le gouvernement. La présentation en conseil des ministres, initialement prévue le 24 septembre, est toutefois décalée à la mi-octobre. Viendra ensuite la seconde mi-temps, avec le passage au Parlement. Les députés médecins, 41 à siéger sur les bancs de l’hémicycle, ne manqueront pas de relayer les attentes des médecins libéraux et hospitaliers. Le projet de loi Bachelot risque fort d’être en partie dénaturé par la pluie d’amendements prévisible. À moins que le gouvernement n’opte pour la voie de l’ordonnance pour certains titres techniques. Mais l’exécutif, conscient que les parlementaires vivraient mal cette option, préférera peut-être se la réserver pour des enjeux d’une autre ampleur – comme la présence française en Afghanistan, ou la relance de la croissance. «Le président de la République et le Premier ministre souhaitent un maximum de débat parlementaire», affirme-t-on dans l’entourage de François Fillon. Nicolas Sarkozy, pas plus tard que ces jours-ci, a assuré qu’il mènerait la réforme hospitalière à son terme.

Le spectre d’un remaniement ministériel n’est pas exclu au printemps prochain. Roselyne Bachelot ne s’en cache pas, elle veut aller vite. Il lui faudra tenir compte de l’agenda parlementaire surchargé. «Au mieux, la loi ne paraîtra pas avant mars prochain, pronostique un professeur de médecine proche de l’UMP. Jusqu’au conseil des ministres, cela devrait pas trop mal se passer. C’est au Parlement, en fin d’année, que les lobbies vont se réveiller et que cela va cogner en tout sens. Difficile de dire ce que dira la loi au final.»

Delphine CHARDON


PDS : amendes sévères pour les médecins refusant les réquisitions

L’avant-projet de loi consacre également un article à la permanence des soins. Sans surprise, et comme le conseillait déjà le rapport Grall de septembre 2007, l’organisation de la permanence des soins serait ainsi confiée aux futures agences régionales de santé (ARS). Aux termes de l’article 11 de ladite loi, les médecins libéraux assurant la régulation des appels de PDS bénéficieraient désormais de la même couverture en matière de responsabilité civile ou administrative que celle offerte aux salariés de l’établissement siège de SAMU auquel ils sont rattachés.

En revanche, côté réquisitions, la note est salée. Le projet de loi ropose en effet de doubler l’amende requise en cas de refus d’obtempérer à une réquisition, pour un montant fixé par le projet de loi à 7 500 euros.


Prévention et accès aux soins : renforcer le rôle des médecins traitants

Le premier titre du projet de loi Population et prévention contient plusieurs dispositions relatives à la santé publique, telles que l’interdiction des cigarettes-bonbons et de la vente d’alcool aux mineurs. Il réforme le dépistage en milieu scolaire, les conditions d’accès à la contraception, et laisse une place à «l’éducation en santé, l’éducation thérapeutique des patients», sujet sur lequel la ministre attend un rapport rédigé par Christian Saout, président du CISS (collectif d’usagers) et président de la Conférence nationale de la santé.

Le titre II, baptisé « Accès de tous à des soins de qualité », propose globalement «d’organiser l’offre de soins, notamment ambulatoire, dans sa répartition sur le territoire et ses modalités d’exercice et de collaboration en fonction des besoins de santé de la population afin de définir un environnement cohérent à l’hôpital».

Très inspiré des conclusions des états généraux de l’organisation de la santé (EGOS) du printemps dernier, le projet de texte renforce les soins de premier recours et le rôle des médecins traitants (voir aussi les dispositions sur la permanence des soins). Il pose le « principe général de coopération entre professionnels de santé », grâce à une délégation des tâches (protocoles nationaux élaborés par la Haute Autorité de santé) et à la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires.

Un article est d’ailleurs consacré aux missions et aux modalités de création des centres de santé, et au fonctionnement des maisons de santé.

Le texte étend les SROS (schémas régionaux d’organisation des soins) à l’offre de soins ambulatoires libérale. De même, il réoriente le flux des praticiens en formation «afin de compenser les inégalités de répartition des professionnels de santé sur le territoire», et donne un cadre juridique à la télémédecine. Conformément au protocole signé sur les refus de soins à l’encontre des bénéficiaires de la CMU ou de l’aide médicale d’État, le projet de loi prévoit des sanctions contre les professionnels auteurs d’abus en la matière.

En revanche, le titre II du projet de loi ne devrait finalement pas inclure le volet sur la réforme de la biologie médicale.

Agnès BOURGUIGNON


Former les médecins où l’on en a besoin

Pour aboutir à une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire, le gouvernement envisage d’instaurer un numerus clausus de première année en s’appuyant sur les comités régionaux de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). La répartition des postes d’internat devrait à l’avenir s’effectuer par filière de spécialité sur une échelle quinquennale. Un arrêté des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé devrait déterminer pour une période de cinq ans le nombre d’internes à former annuellement par spécialité et par subdivision territoriale, «compte tenu de la situation de la démographie médicale dans les différentes spécialités concernées et de son évolution au regard des besoins de prise en charge spécialisée». Des quotas annuels par spécialité seraient ainsi fixés pour les postes offerts aux épreuves classantes nationales (ECN). Le gouvernement envisage par ailleurs d’augmenter les places de postinternat pour répondre à l’augmentation du nombre d’internes prévisible.


Hôpital : les directeurs confortés, vers un nouveau statut pour les futurs médecins hospitaliers

Quel est le sort réservé à l’hôpital ? Le titre III du projet de loi relatif à la modernisation des établissements de santé pose des jalons.

À ce stade, le profil du futur hôpital ne paraît pas encore bien défini aux yeux de beaucoup. Tout au moins le cap général est-il fixé, conforme aux souhaits de Nicolas Sarkozy.

La carte hospitalière, notamment, devrait évoluer, puisque les hôpitaux publics sont invités à former des communautés hospitalières de territoire. Il devrait donc y avoir des fusions et des regroupements – à supposer que les incitations financières soient au rendez-vous. Au menu figurent aussi le renforcement des filières de soins et l’amélioration de la coordination ville-hôpital.

Les tensions préestivales sont retombées s’agissant de la gouvernance interne. Entendus, les directeurs d’hôpital le sont en partie, puisque les voici consacrés patrons uniques à la tête d’un directoire qui gère, tandis que le conseil d’administration, aux prérogatives limitées, se voit transformé en conseil de surveillance. Manière de mettre sur la touche des élus encombrants. La gestion est assouplie. Les hôpitaux pourront notamment échapper au code des marchés publics pour leurs achats.

Sujet syndicalement « sensible », le mode de nomination des médecins hospitaliers – national, local ? – ne semble pas encore arbitré. Un nouveau statut contractuel est en revanche bel et bien envisagé pour les recrutements médicaux à venir, avec une part variable de la rémunération basée sur l’activité clinique. Désormais, les médecins devront remplir des objectifs. L’idée est de dynamiser les équipes et de retenir dans le public certains spécialistes (chirurgiens, radiologues…), tout en limitant le recours aux mercenaires. Les praticiens hospitaliers (PH) en poste pourront conserver leur statut, ou demander un détachement pour devenir contractuels.

Du côté des cliniques privées, deux grandes nouveautés, accueillies positivement par le secteur : la possibilité, reconnue de plein droit par le projet de loi, de participer à la formation des étudiants en médecine. Et la possibilité de se voir confier, avec la reconnaissance qui va de pair, la réalisation, au même titre que l’hôpital public, des missions de service public – permanence des soins, urgences, accueil des détenus et des plus démunis, etc.

D. CH.


ARS : rassembler le monde de la santé au niveau régional

Dans l’air du temps depuis un long moment, le principe de la création des agences régionales de santé (ARS) a été confirmé par Nicolas Sarkozy en avril dernier. Le constat de départ était simple, selon le gouvernement : «Les inégalités d’accès aux soins, le cloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital, le vieillissement et le développement de la dépendance, ou encore les difficultés de notre système hospitalier ouvrent des brèches dans la solidarité nationale.» D’où l’idée d’un rassemblement du monde de la santé à un niveau pertinent, celui de la région. Le périmètre de compétence de ces futures ARS, prévu dans le titre IV de la future loi Patients, santé et territoires (PST), devrait ainsi inclure la santé publique, les soins de ville, les soins hospitaliers, ainsi que la partie sanitaire du médico-social. Autant de compétences aujourd’hui dispersées. «Au niveau régional, indiquait déjà Roselyne Bachelot au printemps dernier une partie des services régionaux seront ainsi conjugués aux services sanitaires déconcentrés de l’État, mettant ainsi en cohérence l’organisation des soins et les actions concourant à la maîtrise des dépenses.»

Au niveau exécutif, chacune des ARS devrait avoir à sa tête un directeur général, nommé pour quatre ans par décret pris en conseil des ministres, et serait dotée d’un conseil de surveillance dirigé par chaque préfet de région.

Ce conseil comprendrait des représentants de l’État, de l’assurance-maladie, des usagers, des collectivités territoriales, ainsi que des personnalités qualifiées. Le conseil de surveillance serait notamment chargé de voter le budget de l’agence proposé par le directeur général. Il devrait également être chargé d’émettre un avis sur le projet stratégique de l’ARS et sur les résultats de l’action menée par cette même agence.

De la même manière devrait être mise en place dans chaque ARS une conférence régionale de santé, un organisme consultatif qui concourrait, par ses avis, à la politique régionale de santé.

Enfin, pour ce qui est du pilotage national de ces ARS, il serait créé, auprès du ministre de la Santé, un conseil stratégique de la santé, qui serait chargé du pilotage, de la coordination et de l’évaluation des agences régionales de santé. Quant aux ressources des ARS, elles seraient constituées de fonds publics, d’une contribution des différents régimes d’assurance-maladie et, éventuellement, de contributions des collectivités territoriales.

Dans l’entourage ministériel, on assure que ces ARS verront bel et bien le jour dès 2010. Mais sans attendre, ce serait dès 2009 que pourraient être choisis des responsables régionaux chargés de préfigurer chacune des futures ARS. On laisse également entendre à ce sujet que s’ils accomplissent leur mission, ces responsables provisoires pourraient être par la suite nommés directeurs généraux de ces ARS qu’ils auront contribué à installer.

H.S.R.


Vers une FMC à « visée évaluative »

Tout est à refaire pour la FMC(Phanie)L’avenir de la formation médicale continue obligatoire devrait être tranché dans le cadre de la loi Patients, santé, territoires. Même si, selon une source bien renseignée, il subsiste sur ce dossier de profonds désaccords entre le cabinet du ministère de la Santé, Matignon et l’Élysée. Sur le terrain, les conseils nationaux de FMC (CNFMC), la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Ordre des médecins exercent une lutte d’influence pour conserver ou acquérir de nouvelles prérogatives.

Quoi qu’il en soit, le sujet fait l’objet d’un long article (n° 16) de l’avant-projet de loi. Celui-ci évoque une nécessaire «simplification» du dispositif et une mise en cohérence de la formation professionnelle continue (FPC). Le ministère de la Santé souhaite «conforter l’obligation de formation continue, dorénavant recentrée sur la formation à visée évaluative» et «engager les praticiens dans une démarche continue d’analyse de leurs pratiques au regard des référentiels validés de bonnes pratiques». Le projet évoque également l’objectif de «rationaliser les circuits de gestion administrative et le financement de la FMC». Un conseil national unique par profession (professions médicales, pharmaciens, auxiliaires de santé…), placé sous l’égide du ministère de la Santé, serait chargé de déterminer les priorités de formation continue. Ces conseils seraient constitués de professionnels concernés, la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM), et remplaceraient les CNFMC actuels. L’ensemble des financements de l’État et de l’assurance-maladie seront regroupés dans un fonds unique afin de garantir une allocation des ressources publiques conforme aux priorités établies par les conseils nationaux. Un décret en Conseil d’État devrait déterminer les modalités d’application du dispositif, la composition du conseil national, le fonctionnement ainsi que l’organisation de la validation de l’obligation de formation médicale continue. À la fin juin, le ministère de la Santé avait clairement indiqué aux syndicats de médecins libéraux que l’on s’acheminait vers la fin de la formation médicale continue (FMC) obligatoire et du système des crédits (« le Quotidien » du 26 juin).

Le barème mis en place par les conseils nationaux de FMC avait pourtant été adopté par le gouvernement et avait fait l’objet d’un arrêté paru au « Journal officiel » du 13 juillet 2006. Il précisait que tous les médecins devaient obtenir 250 crédits sur une période de cinq ans dont 100 pour l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Un rapport réalisé cet été par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’organisation de la FMC aura-t-il une incidence sur la réforme du dispositif ?

CHRISTOPHE GATTUSO


Nouvelle donne syndicale : plusieurs scénarios possibles

La réforme des critères de représentativité va toucher aussi le monde de la santé à travers le projet de loi Bachelot. Le texte prévoit que la reconnaissance de la représentativité syndicale repose essentiellement sur les résultats électoraux enregistrés par chaque organisation de professionnels de santé (10 % des suffrages exprimés au minimum). Un accord conventionnel ne serait pas valide si ses signataires totalisaient moins de 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections.

Le projet de loi instaure en outre de nouvelles unions régionales des professionnels de santé (URPS), appelées à devenir les interlocutrices des futures agences régionales de santé (ARS).

Les cartes seront donc rebattues entre les représentants des médecins libéraux. Reste à savoir selon quelles modalités et quel calendrier. Chez les syndicalistes, on échafaude déjà divers scénarios à partir d’une seule certitude : l’arrivée à échéance de la convention en 2010 obligera en effet le gouvernement à lancer une enquête de représentativité six mois avant auprès des syndicats médicaux appelés à négocier une nouvelle convention, soit à la mi-2009. Le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Michel Chassang, s’attend à des élections anticipées dans les unions régionales de médecins libéraux (URML) «dès l’automne 2009» pour tenir compte des nouvelles dispositions législatives (alors que le mandat actuel des médecins élus aux URML court de 2006 à 2012).

Au contraire, pour le leader de MG-France, l’organisation de nouvelles élections aux URML n’est pas impérative. Selon lui, l’enquête de représentativité qui devrait être lancée au milieu de l’année 2009 pourrait se fonder sur les nouvelles règles de la loi Bachelot, tout en tenant compte des derniers résultats électoraux disponibles, à savoir ceux de 2006. «Il n’y aura sans doute pas de nouvelles élections aux URML avant l’installation des ARS en 2010», pronostique le Dr Martial Olivier-Koehret.

Enfin, un troisième scénario, plus pessimiste, n’est pas exclu si jamais l’adoption de la future loi Bachelot devait être retardée pour cause d’embouteillage parlementaire. Dans ce cas, l’enquête de représentativité de 2009 serait menée, faute de mieux, en fonction des critères actuels.

A.B.