Le projet de loi . La ministre de la Santé bouleverse l’hôpital public pour en faire une entreprise privée comme les autres, et place la gestion du système de soins sous la tutelle étroite de l’État.
Roselyne Bachelot, dont le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires » était présenté hier en Conseil des ministres (mais ne sera pas débattu au Parlement avant janvier 2009), ne ménage pas sa peine pour tenter de rassurer l’opinion sur ses intentions. Depuis des semaines, la ministre de la Santé martèle : « Je ne fermerai aucun établissement », « je veux garder absolument le tissu hospitalier de notre pays » et « en aucun cas, évidemment, m’attaquer à l’hôpital de proximité ». S’il lui arrivait d’avaliser la fermeture d’une maternité ou d’un bloc chirurgical, ce serait seulement pour « garder une qualité des soins »…
L’expérience concrète faite par de nombreux usagers en lutte pour défendre des services hospitaliers menacés les amène à douter très sérieusement de la sincérité du discours. Une lecture attentive du projet Bachelot conduit à penser que, dans un contexte de sous-financement chronique des établissements (les deux tiers sont en déficit), il s’agit, au motif de les remettre « à l’équilibre », de transformer radicalement leur mode de gestion en leur faisant endosser une logique purement marchande.
Public, privé : la confusion organisée
Le titre I du projet prévoit que des « missions de service public » (permanences des soins, urgences, etc.) pourront être assurées par le secteur privé à but lucratif, avec des fonds publics. Les cliniques, selon toute probabilité, choisiront les activités qu’elles jugent les plus rentables.
Une gouvernance d’entreprise pour l’hôpital public
Le mode de gestion de l’hôpital est chamboulé, et calqué sur celui de l’entreprise privée. Il aura à sa tête un directeur au rôle de patron, doté des pouvoirs essentiels (nomination des personnels, ordination des dépenses et des recettes, politique sociale, organisation du travail, et même, est-il précisé, latitude pour mettre en oeuvre un intéressement aux résultats en guise de rémunération, comme dans le privé…). Pilotant un directoire, dont il nomme tous les membres, ce boss n’est responsable que devant le directeur de l’agence régionale de santé (ARS), nouvelle structure bureaucratique mise en place pour organiser le système (voir plus loin). Remplaçant l’actuel conseil d’administration, présidé par le maire de la commune, un conseil de surveillance est mis en place, sous l’étroit contrôle du directeur de l’ARS. Autre innovation significative, le directeur pourra être recruté dans le privé. Et, au motif de rendre l’hôpital plus « attractif », il aura toute latitude pour recruter des médecins libéraux, dont la rémunération comportera « des éléments variables en fonction d’engagements particuliers et de la réalisation d’objectifs quan- – titatifs et qualitatifs ». Une manière d’ouvrir la voie au productivisme, à la course aux actes, et à la sélection des patients, selon des critères de rentabilité. Dans cette même optique, l’organisation interne de l’hôpital se décline en pôles, dirigés par des chefs nommés par le directeur qui leur fixe « des objectifs de résultats ».
Des communautés de territoire
Dans le but affiché de « favoriser les coopérations » est créée une nouvelle structure, la communauté hospitalière de territoire (CHT), qui pourra fédérer plusieurs établissements. Cette communauté pourra décider des transferts de compétences et d’autorisations d’activités de soins et d’équipements, entre ses membres. En clair, la CHT sera l’outil idéal pour mettre en oeuvre restructurations et fermetures de sites jugés non rentables. En particulier, les reconversions des « petits » hôpitaux en structures dédiées aux personnes âgées et aux soins de rééducation, comme le réclame Mme Bachelot.
Les ARS, nouveau bras armé de l’État dans la santé
Se substituant aux actuelles ARH (agences régionales de l’hospitalisation) qui ont pouvoir de vie ou de mort sur les structures de soins, sont créées les agences régionales de santé (ARS) dont les pouvoirs sont étendus à l’ensemble du système de soins, ambulatoires et hospitaliers, ainsi qu’aux services médico-sociaux. Un conseil de surveillance présidé par le préfet de région, un directeur nommé en Conseil des ministres et qui a la haute main sur l’évolution du système hospitalier, le redéploiement de services, d’activité, d’équipements, qui peut exiger de différents établissements publics de coopérer, entre eux ou avec le privé, etc. Bref, l’ARS a tout le profil d’une préfecture sanitaire, donnant à l’État le pouvoir de gérer le système hors de tout contrôle démocratique. La Sécu est mise hors jeu, et si une « conférence régionale de santé » pourra émettre des avis, son rôle sera purement consultatif. Plus qu’une authentique décentralisation, une déconcentration du pouvoir central est ainsi programmée.
Accès aux soins : pas de vraies garanties
De nouvelles dispositions sont prévues pour obtenir une meilleure régulation de l’installation des médecins (numerus clausus variable, par spécialité et par région, en fonction de la démographie et des besoins). Rare point positif, le projet prévoit de « limiter les refus de soins » opposés par les médecins et les dentistes aux patients en CMU (la Sécu pourra prendre des sanctions financières). Mais aucune mesure véritable contre les dépassements d’honoraires.
Yves Housson – L’Humanité