Dépêche MHP du 17 novembre : commentaire de la loi HPST

ANALYSE DE LA LOI « HOPITAL- PATIENT- SANTE — TERRITOIRE »
Dr G HASSID. Dr MP LEMONNIER. Dr F.PARAIRE. 23/09/08

Organisation de la médecine sous la férule de l’ETAT. Dépecage des hôpitaux. Contrats individualisés des médecins payés à la performance. Mise en place d’une offre de soins par territoires. Voici le contenu du projet de loi «Hôpital, Patients , Santé, Territoire »

I – LES ARS.

L’avant projet de loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires »
(H.P.S.T.) concerne toute la médecine, tous les médecins, tous les patients. La médecine hospitalière, libérale, et le médico-social. Elle va de paire avec le projet de loi de financement de La Sécurité sociale 2009. Elle est indissociable d’une prochain projet de loi concernant les CHU, l’enseignement de la médecine et la recherche.

L’élément central de cette loi est la mise en place d’ARS, les Agences
Régionales de Santé. Ces ARS devront gérer un budget indépassable, un ORDAM (Objectif Régional des dépenses de l’Assurance maladie.) Ce budget concernera les dépenses de TOUTES les activités de santé d’une région, hospitalières, ambulatoires, et médico-sociales. Le Directeur de l’ARS nommé en Conseil des ministres aura tous les pouvoirs pour faire appliquer ce budget. Pour ce faire il passera des contrats d’objectifs et de moyens :

– avec l’hôpital : des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) qui seront déclinés à tous les nouveaux niveaux institués, les communautés hospitalières de territoires, les établissements les constituant, les pôles et finalement les médecins hospitaliers.
– avec les médecins de ville : des contrats d’amélioration des pratiques
professionnelles, avec un paiement des médecins à la performance, c’est à dire pour l’application de ces contrats dont le but est strictement
financier, comptable, d’application de ces SROS ambulatoires.
De même les médecins hospitaliers seraient rétribués par une part variable de rémunération qui serait fonction de leur engagement dans l’application de ces SROS hospitaliers qui seraient déclinés en budgets de communautés hospitalières, d’établissements puis de pôles.

Pour ce faire, l’application de ces objectifs strictement comptables, d’économies, le statut juridique des établissements hospitaliers serait
modifié. Les restructurations voulues par cette loi des établissements
hospitaliers se feraient par la mise en place de Groupements de Coopération Sanitaires (G.C.S) dont la vocation serait de constituer des réseaux de santé. Ils pourraient sous l’autorité du directeur général de l’ARS regrouper des établissements de santé de droit public, de droit privé, médico-sociaux, des médecins libéraux, et d’autres organismes et
professionnels de santé concourant aux soins.

Ces budgets définis et gérés au niveau des régions sous l’autorité du
directeur de l’ARS qui sera le représentant de l’Etat, correspondront aux
activités de soins faites au niveau des territoires. Chaque territoire
devant définir un projet régional de santé devant répondre « aux besoins de la population de leur territoire ». Ainsi le budget de la Sécurité sociale disparaîtrait, les droits des patients tels qu’ils existent et sont définis dans le Code de la Sécurité sociale aussi, à savoir : « Chacun cotisant selon ses moyens et étant soignés selon ses besoins »
Un panier de soins se substituerait aux droits des patients à être soignés selon les nécessités que réclame leur état de santé.
Ainsi serait organisé une inégalité de l’accès aux soins selon les
territoires car il y aurait une disparité de ces projets régionaux de santé
et de leurs budgets.

Toute la médecine serait organisée au plan régional et non plus national. Ainsi il y aurait des Numerus clausus selon les régions, une « démographie médicale » organisée selon les régions, avec un Examen Classant National (ECN) définissant l’accès aux spécialités selon les régions, « une liberté d’installation » selon les régions. Il en résulterait finalement encore plus de fermetures de lits et d’hôpitaux, une disparité géographique dans les possibilités d’ accès aux soins des spécialistes et des médecins généralistes de ville.

II – DISPARITION DE L’HOPITAL PUBLIC

Les soins aux patients, appelés missions de service publique, sont confiés indifféremment aux hôpitaux publics, aux cliniques et aux hôpitaux privées participant au service publique ( PSPH), sur la base de contrats d’objectifs et de moyens qui fixent des objectifs quantifiés d’ d’activité de soins. En cas de non respect, il est prévu une sanction financière pouvant atteindre 1% des recettes de l’ hôpital.
Un établissement de santé peut être un centre hospitalier, une communauté hospitalière de territoire ou un groupement de coopération sanitaire. Une communauté hospitalière de territoire , regroupement de plusieurs hôpitaux publics , vise à la mutualisation des moyens et peut être imposée aux hôpitaux par le directeur de l’ARS. Les groupements de coopération sanitaire réunissent dans une même entité établissements publics et privés.

Les services disparaissent au sein des pôles avec un chef de pôle ayant
toute autorité sur les médecins et personnes. Il est tenu à une obligation
de résultat en matière de respect du contrat d’ objectif et de moyens
Le directeur « patron de l’ hôpital » recrute les médecins sur la base d’un
contrat individuel de gré à gré, de durée limitée et réévalué régulièrement. La rémunération du praticien dépendra du respect de son contrat avec une part variable du salaire pouvant aller jusqu’à 70% de la part fixe. Il s’agit là d’une perte de l’indépendance professionnelle du praticien, de l’éclatement de son statut conduisant à la précarisation de sa situation. Il est facile d’imaginer les conséquences dramatiques pour les patients : la mutualisation des moyens aboutirait à encore plus de fermeture de lits , les listes d’ attente vont s’étendre. Où seront soignés les malades les plus graves, les personnes âgées avec de nombreuses pathologies et dont le retour à domicile est aléatoire, les cancéreux en rechute dont les traitements sont extrêmement onéreux, les malades les plus démunis, les mal logés, les isolés qui ne pourront pas sortir rapidement. Tous ceux qui étaient pris en charge par l’ hôpital public dont la mission est de soigner tous les malades indépendamment de la gravité de leurs pathologies et de leur statut social

III- PROJET DE LOI « HPST » : FIN DE LA MEDECINE LIBERALE +
LIQUIDATION DE LA CONVENTION MEDICALE NATIONALE = ETATISATION PROGRAMMEE DE LA MEDECINE DE VILLE

Cette équation redoutable ne relève pas de la science fiction et peut
très bien résumer à elle seule le sort peu enviable qui est réservé à la
médecine de ville dans le titre II du projet de loi « Hôpital, Patients,
Santé et Territoires » et curieusement intitulé : « Accès de tous à de soins de qualité ». Tout médecin, lecteur et analyste objectif du texte de loi, ne pourra être que consterné sur ce qui attend l’exercice libéral et sur le verrouillage sévère qui va s’abattre sur lui. En effet, la médecine de ville est de fait placée sous une double tutelle par le pouvoir démesuré octroyé aux Agences Régionales de Santé (ARS) nouvellement créées :
– tutelle administrative étatique puisque le directeur de chaque ARS est appelé à devenir l’interlocuteur de chaque praticien qui dépendra donc directement de lui
– tutelle scientifique par la protocolisation des soins négociée financièrement de gré à gré entre les médecins et les directeurs d’ARS dans le cadre des « contrats d’amélioration des pratiques professionnelles » mettant en avant les critères médico-économiques dans la formation et l’activité des praticiens. Les conséquences prévisibles de ce dispositif sont gravissimes : perte de l’indépendance des médecins dont l’éthique et la déontologie sont bafouées, disparition à terme de la Convention Médicale Nationale qui est vidée de sa substance, neutralisation du rôle des syndicats médicaux. Quant aux patients, ils seront les victimes de ce système qui aboutira, à coup sûr, à un rationnement et à une dégradation de la qualité des soins qu’ils sont en droit d’attendre de leurs médecins.

Trois mesures capitales de cette loi concernant la médecine de ville suscitent des interrogations et des inquiétudes légitimes :
– la création de « niveaux de soins »
– le contrôle de la Formation Médicale Continue qui devient évaluative
– la mise à l’écart de la Convention Médicale et à terme la remise en question de l’existence de la Sécurité Sociale

Les « niveaux de soins » : déclinés d’emblée dans l’article 14 inaugurant le titre II, ils sont le type même de l’aberration technocratique. Non contente de découper arbitrairement la géographie de l’offre de soins, cette loi institue une hiérarchisation des soins en 2 «niveaux de recours » en fonction de la qualification de ceux qui les dispensent. Mais, il ne faut pas se laisser tromper par les apparences. Le premier recours comprend « tous les professionnels de santé » : donc médecins et non médecins et un second recours dit « d’expert » (spécialiste, établissement,…) ne nécessitant pas d’hospitalisation qui ne pourra être
atteint qu’après être passé obligatoirement par la premier. A quoi
faudra-t-il s’attendre ? La réponse est claire :
– à la disqualification de l’acte médical conséquence du transfert de compétences qui ne dit pas son nom et qui se fera du médecin vers les paramédicaux au détriment de la qualité de soins dus aux malades
– à la fin définitive de l’accès direct aux soins de diverses spécialités comme la gynécologie, l’obstétrique, la pédiatrie,…
– à la prédéfinition des soins qui devront appartenir à un « panier » et être dispensés par des médecins engagés dans des protocoles individuels avec objectifs économiques.

Le principe du médecin traitant est conforté, transformant le
médecin de premier recours, le plus souvent généraliste en « acteur pivot » du système, en réalité véritable gate-keeper distribuant des tickets d’accès « de façon ponctuelle » aux soins de second recours dispensés par des professionnels médecins ou non. Tout ce dispositif est donc strictement balisé. Il est placé sous l’autorité des tout-puissants directeurs d’ARS qui seront chargés d’appliquer pour la médecine de ville un Schéma Régional d’Organisation des Soins (SROS) « ambulatoire » organisant et contrôlant en particulier la démographie médicale libérale et dont la ministre de la Santé assure « qu’il ne sera en aucun cas opposable ». Cela n’est guère suffisant pour dissiper les inquiétudes et les menaces qui pèsent sur la liberté d’installation des médecins libéraux.

Ce projet de loi HPST contient deux autres mesures qui constituent des
moyens de pression économique inacceptables sur les médecins de ville puisqu’elles ont un impact direct sur deux moments cruciaux de leurs parcours professionnel : leur formation (FMC) et leur pratique médicale quotidienne proprement dite qu’ils exercent pour la plupart dans le cadre de la Convention Médicale négociée avec un interlocuteur légal institutionnel : la Sécurité Sociale. L’équilibre de ce dispositif, certes imparfait mais fonctionnel, va donc se trouver bouleversé. Il est évident que la gravité des conséquences de ce projet sur l’avenir de la médecine, en ville comme à l’hôpital, n’a pas été évaluée à sa juste valeur par les promoteurs de la loi. Pourquoi ?

La Formation Médicale Continue : elle devient « évaluative »,
c’est-à-dire axée principalement sur « la maîtrise médicalisée des dépenses de santé financées par la collectivité » selon les termes de l’article 18 du titre II. L’entretien et le perfectionnement des connaissances des praticiens, obligations déontologiques, sont donc supplantés par « l’évaluation des pratiques professionnelles », l’EPP, et son incidence comptable sur les dépenses de santé. Dans ces conditions, il ne faut guère s’étonner de la création d’un Conseil Unique de FMC dans lequel font pour la première fois leur entrée la Haute Autorité de Santé (qui vient de se doter d’une commission d’évaluation médico-économique) et l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie. Un coup fatal est porté à l’indépendance scientifique de la pratique médicale mise au service d’une maîtrise, devenue purement comptable, des dépenses de soins.

L’Existence de la Convention Médicale Nationale et celle de la Sécurité Sociale sont gravement menacées : il faut aller à l’article 24 du titre IV traitant de « l’Organisation Territoriale du système de Santé » et
modifiant le Code de Santé Publique (ce qui n’est pas rien) pour trouver
mention des « Contrats d’Amélioration des Pratiques Professionnelles » que passera individuellement chaque médecin avec le directeur d’ARS dont il relève dans sa région sanitaire ; Ces contrats feront l’objet d’une
rémunération à la performance du praticien en fonction du pourcentage des objectifs fixés qu’il aura atteint. On peut donc en déduire que :
– au mépris de la déontologie médicale, les médecins seront contraints de privilégier le respect d’impératifs financiers aux dépens des données
acquises de la science pour soigner leurs malades
– les engagements collectifs des médecins envers la Convention Médicale pris avec la Caisse d’Assurance Maladie sont supplantés par des contrats individuels passés avec les ARS.
– la Convention Médicale Nationale est reléguée au second plan et rendue pour ainsi dire caduque ce qui est inquiétant pour son avenir
– la Sécurité Sociale entité juridique, créée par le Pacte Social en 1945 pour garantir à tous les citoyens l’accès à la Santé, voit sa disparition programmée puisqu’elle est transformée en trésorier agent payeur du panier de soins au profit des directeurs des ARS qui deviendront à sa place les interlocuteurs des médecins
– la mise à l’écart et la volonté de neutralisation des syndicats médicaux est manifeste avec un rôle représentatif réduit à sa plus simple expression – l’isolement, la disqualification, la perte de l’indépendance et même la précarité seront au rendez-vous pour les médecins
– les malades doivent s’attendre à la perte totale de leur liberté de choix et de décision car ils seront confinés dans un parcours de soins balisé sur le plan géographique et sur le plan financier de la prise en charge par des professionnels de santé eux-mêmes liés par contrat individuel d’objectifs. Cela signifie pour eux une dégradation majeure de l’accès et de la qualité de soins que, paradoxalement, cette loi HPST était censée protéger et améliorer.

C’est donc un véritable séisme qui se prépare pour la médecine de ville à qui l’on tente d’imposer par la législation une étatisation à peine voilée qui, sous prétexte de décentralisation, est déclinée sur le mode régional par la création des ARS dont le directeur, doté de pouvoir exorbitants, sera le grand liquidateur de la médecine libérale, de la Convention Médicale Nationale et, à terme, de la Sécurité Sociale. La santé de nos concitoyens et leur protection sociale sont en danger. Nous avons le devoir d’alerter l’opinion publique et nos Confrères. Nous sommes Médecins, nous avons prêté le Serment d’Hippocrate : nous ne perdrons pas notre Ame…

CONCLUSION

Cette loi est contraire au Code de Déontologie, à nos règles déontologiques au principe qui veut que les médecins ont une obligation de moyens et non de résultats, et qu’ils ne peuvent se soumettre à une logique commerciale.

Cette loi est contraire au principe de l’égalité aux droits aux soins des patients.

Cette loi organise la perte de l’indépendance professionnelle des médecins, en les soumettant non seulement à des contrats d’objectifs et de moyens de nature financière, d’économies, mais aussi à l’intéressement financier des médecins hospitaliers et libéraux à la réalisation de ces contrats.

Cette loi organise aussi la déqualification des actes médicaux qui ne seraient plus faits par des médecins mais qui pourraient être faits par des professionnels de santé, infirmières, kinésithérapeutes, et autres.
Par leur changement de statut les médecins hospitaliers et libéraux
verraient leur situation basculer dans l’individualisation, la précarité, et
verrait la déqualification de leurs actes.

Cette loi correspondrait à un instrument de destruction de la Sécurité
sociale telle qu’elle a été créée en 1945. Elle signifierait la destruction de ce que la civilisation et ses progrès ont fait de l’acte médical lui même, de ce colloque singulier entre le médecin et son patient, basé sur une confiance réciproque, fondement le plus précieux de notre médecine.

Contribution du Dr Salbreux à la réunion des signataires de la lettre à la
population du 20 Sept 2008 concernant le secteur médico social

« Vous avez dit qu’avec cette loi, nous en arriverions irrémédiablement à
trier les malades. C’est exactement cela. Très concrètement « trier » les
malades, aujourd’hui cela veut dire les adresser au secteur dit «
médico-social ». Or, dans ce secteur, il n’y aura bientôt, à cause de la
pénurie de plus en plus grave de médecins que nous connaissons, plus guère de confrères pour y travailler. Or, ce secteur est important en taille : par rapport à l’hôpital, il concerne un patient sur trois. 4000 psychiatres y travaillent à temps très partiel : ce qui revient à dire que sur un total de 14000 psychiatres en France, plus d’un psychiatre sur 4 collaborent au fonctionnement de ce secteur. Plus de la moitié de la pédopsychiatrie, y compris le travail de consultation s’effectue dans les CAMSP, les CMPP, les ITEP, les IME, etc.

Constatant la difficulté d’appliquer à la psychiatrie les principes
directeurs que vous avez évoqués pour la loi « Hôpital, Patients, Santé,
Territoires », le ministère à constitué une commission en juillet dernier qui
a commencé ses auditions le 2 septembre 2008 et doit remettre son rapport en novembre. Nous lui avons exposé le fait que les fermetures de quelques 55 000 places de psychiatrie en une trentaine d’années avait pour conséquence de renvoyer les malades chez eux ou dans le secteur médico-social ou encore de les transformer en clochards ou en délinquants.

Quant à la pédopsychiatrie, étant donné qu’il est impossible de l’exercer en pratique libérale pour des raisons de nomenclature, l’absence de places retombe entièrement sur le secteur médico-social ou encore sur les services de pédiatrie.

Si l’on en croit le ministère de la Santé, il « découvrirait » que ce
secteur fait partie intégrante de la psychiatrie. Pendant ce temps là les
malades psychiatriques qui quittent l’hôpital et le secteur des soins (le
secteur sanitaire) se retrouvent dans la rue, dans les halls de gare, sous
les ponts … ou dans le « médico-social », qui est sensé leur offrir une
alliance de la qualité de vie et des soins, sauf que les soins y sont
devenus inexistants tout simplement faute de médecins pour y travailler.

La solution se résume donc à déplacer des malades vers des lieux d’
hébergement d’où les soins ont progressivement disparu.