PARIS (AFP) — Le fichage des personnes hospitalisées d’office, auquel Nicolas Sarkozy avait renoncé en 2007 dans sa loi sur la prévention de la délinquance, est à nouveau envisagé après le meurtre d’un étudiant à Grenoble, ce qui suscite les inquiétudes des professionnels.
Le chef de l’Etat a demandé jeudi une réforme de l’hospitalisation psychiatrique après le meurtre la veille d’un étudiant poignardé par un homme échappé d’un hôpital à Grenoble.
L’Elysée a demandé à trois ministres (Santé, Intérieur, Justice) « une réforme en profondeur du droit de l’hospitalisation psychiatrique » visant à « améliorer la surveillance des patients susceptibles de représenter un danger pour autrui, dans le cadre notamment de la création d’un fichier national des hospitalisations d’office ».
Quand il était ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy avait fait adopter début 2007 la loi de prévention de la délinquance. Ce texte comportait à l’origine un volet santé mentale qui prévoyait de renforcer le rôle des maires dans les procédures d’hospitalisation d’office et, déjà, de créer un fichier national des patients hospitalisés d’office en psychiatrie.
Devant le tollé suscité par un tel projet parmi les professionnels de la psychiatrie, qui dénonçaient notamment un « retour en arrière » et un « amalgame entre les malades et les délinquants », M. Sarkozy avait retiré le volet santé mentale de son texte.
L’idée a ressurgi jeudi et pour la magistrate Hélène Franco, du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), ce « vieux serpent de mer qui ressort des cartons » est « une nouvelle stigmatisation d’une population déjà en très grande difficulté ».
Le professeur de santé publique Antoine Lazarus voit dans « la logique des fichiers la volonté de traiter les malades comme des délinquants ».
Ce responsable du Groupe multiprofessionnel des prisons, qui réfléchit à l’état de la détention en France, souligne « le nombre mineur de malades mentaux auteurs de meurtres (moins d’une dizaine par an) par rapport au nombre de crimes de sang (entre 600 et 1.000) ».
« Sous prétexte de sécurité, on oublie leur statut de malade », déplore le Pr Lazarus, auquel l’idée d’un fichage rappelle « le marquage du fou dans l’Ancien Régime ».
Héritière du « placement d’office » instauré en 1838, l’hospitalisation en psychiatrie est régie par la loi du 27 juin 1990.
La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a subordonné l’hospitalisation d’office, mesure administrative prise par le préfet, à trois conditions: l’existence d’un trouble mental, la nécessité de soins et une atteinte grave à l’ordre public.
L’avocate Aissa Boumaza, auteur d’une thèse sur « Hospitalisation psychiatrique et droits de l’Homme », critique « un fichage gravement attentatoire aux droits fondamentaux des personnes malades », qui de fait « existe depuis plusieurs années auprès de chaque préfecture, mais sans base légale ».
Hélène Franco déplore une « instrumentalisation de l’opinion » contre une « population qui a davantage besoin de prise en charge et de soins ».
Le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Jean-Pierre Dubois, dénonce pour sa part l’attitude de Nicolas Sarkozy « qui, à chaque occasion, saute sur les faits divers pour jouer sur les peurs et attiser les réflexes populistes et la démagogie ».