PARIS, 3 décembre 2008 (APM) – Les psychiatres sont nombreux à réagir aux annonces du président de la République, Nicolas Sarkozy, faites mardi sur l’hospitalisation en psychiatrie, en critiquant une orientation sécuritaire de son discours.Le président de la République a annoncé des mesures de renforcement de la sécurité dans les hôpitaux psychiatriques (plan de sécurisation de 40 millions d’euros, création d’unités fermées, création de 200 chambres d’isolement, création de quatre unités pour malades difficiles pour 30 millions d’euros, malades dangereux équipés de dispositifs de géolocalisation) et a dévoilé des premières orientations du projet de loi qui réformera la loi du 27 juin 1990 sur les hospitalisations sous contrainte (soins sans consentement en ambulatoire, autorisation de sortie des patients décidée par le préfet après avis médical collégial) (cf dépêche APM SNLL2005).Deux annonces sont accueillies avec satisfaction, car répondant à des demandes de longue date, la création de 160 lits d’unités pour malades difficiles (UMD) supplémentaires -qui permettront de réduire le temps d’attente pour accéder aux cinq structures actuelles- et la création de soins sans consentement en ambulatoire, demandée par les acteurs de la psychiatrie dans leur document commun de décembre 2006 sur la réforme de la loi du 27 juin 1990.Interrogés par l’APM, le président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), le Dr Pierre Faraggi, le président du Syndicat des psychiatres de secteur (SPS), le Dr Norbert Skurnik, le président du Syndicat des psychiatres d’exercice public (Spep), le Dr Angelo Poli, et le Dr Jean-Charles Pascal, chef d’un service de l’Etablissement public de santé Erasme d’Antony (Hauts-de-Seine) visité mardi par Nicolas Sarkozy, approuvent ces deux mesures.Les quatre psychiatres se félicitent aussi de la portée symbolique de la première visite d’un président de la République dans un hôpital psychiatrique et de l’hommage qu’il a rendu au travail des soignants en psychiatrie.En revanche, la tonalité sécuritaire du discours du président de la République a choqué les psychiatres. »Ce discours est catastrophique, il a une vision exclusivement sécuritaire », a déclaré à l’APM Pierre Faraggi, président du SPH. « Nous pensions que le président de la République parlerait de l’organisation des soins en psychiatrie. Mais il n’a parlé que de fermeture dans les services, ce qui sera complètement contre-productif pour les patients ». »Pour sécuriser les soins, il faut des moyens humains, c’est-à-dire des soignants présents dans les service en plus grand nombre, des psychiatres et des infirmiers bien formés. Or les moyens humains sont allés en diminution de 10% depuis dix ans. Il faut aussi retrouver des lits d’hospitalisation avec un taux d’occupation de 80 à 85%, pas à 105% comme actuellement ». »Le GPS accroché au patient qui sonne quand il s’en va est une proposition tellement caricaturale. Le patient qui va mieux a besoin de retrouver une part d’autonomie, de ne pas toujours être sous le regard des soignants. Il y a une part de prise de risque mais il faut un environnement thérapeutique vivant et avec des soignants. » »Nicolas Sarkozy est entré dans le sujet comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, comme un bulldozer, ce n’est pas adapté à la discipline et à la difficulté de ces sujets », conclut Pierre Faraggi.Angelo Poli déplore un discours prônant un « ré-enfermement des hôpitaux psychiatriques ». « On a l’impression qu’il veut reconstruire des murs à l’intérieur de l’hôpital. Quant au bracelet électronique, je vois mal comment il s’appliquerait et c’est totalement contraire à la logique des soins. »Même constat pour la vidéosurveillance. « Les patients qui arrivent délirants pensent être observés en permanence, nous donnerions une réalité à leurs fantasmes. »Le président du Spep remarque que Nicolas Sarkozy « réagit comme l’homme de la rue » en concevant une réforme « à partir d’un événement ». Il ajoute que les préfets risquent d’accorder peu de sorties d’essai. « Si j’étais préfet, je ne prendrais aucun risque, je ne laisserai sortir personne. »Le Dr Olivier Boitard, président du Comité d’action syndical de la psychiatrie (CASP, regroupant huit organisations de psychiatres publics et privés), critique dans un communiqué « la méconnaissance des réalités de la psychiatrie ». »Les malades décrits comme ‘potentiellement dangereux’ sont avant tout des patients qui ont besoin de soins et qui ne peuvent progresser que dans un climat de confiance avec une levée progressive des contraintes qu’impose au départ leur état de santé. Inverser brutalement cette évolution en imposant des mesures répressives et en limitant les sorties d’essai et les sorties définitives ne peut être qu’un facteur aggravant de violence le plus souvent vis à vis d’eux-mêmes et parfois envers autrui. » »La première protection des soignants face à un malade chez qui se déclenche une crise d’agressivité subite est la présence, voire l’intervention d’autres patients qui ne sont pas dans un rapport conflictuel avec le personnel. Changer ce climat, c’est instaurer un rapport de force qui ne peut engendrer (…) que davantage de violence. »En dehors de l’augmentation des UMD, « les mesures envisagées, sans aucune concertation avec les professionnels, les représentants des patients et des familles, constituent des atteintes graves à la liberté individuelle et aboutissent à l’inverse de l’effet proclamé: l’augmentation de la violence dans les institutions et le milieu social ».
Pas de mesure concrète sur l’attractivité
Pour le Dr Norbert Skurnik (SPS), « le message politique, symbolique et sociétal de Nicolas Sarkozy n’est pas bon ». « En convoquant le ban et l’arrière-ban des psychiatres, nous pensions qu’il y avait des espoirs mais le malentendu reste total ». »Tout ce que la psychiatrie moderne a apporté, c’est l’ouverture sur la cité. Le président de la République ne parle que de dangerosité et propose de tout boucler, au motif qu’il y a un accident tous les deux ans sur une population de 600.000 personnes. On revient à une situation d’avant 1789 où tous les déviants devaient être enfermés. » »Il y a quelques malades psychiatriques problématiques mais, dans leur immense majorité, les schizophrènes sont plus victimes de violences que criminels eux-mêmes. Il faut les protéger. »Il souligne que la liste des psychiatres et des infirmiers agressés ou tués par des patients est longue mais ni les psychiatres ni les infirmiers ne demandent de mesure d’enfermement.Norbert Skurnik relève également que le chef de l’Etat a mentionné la nécessité de relancer l’attractivité de la profession sans annoncer aucune mesure concrète.Le Dr Jean-Charles Pascal fait part de ses réactions contrastées. « Dans la première partie de sa visite dans l’établissement, Nicolas Sarkozy a montré qu’il était investi, sa volonté de dialogue mais ensuite plusieurs points du discours qu’il a prononcé sont problématiques ».Il s’interroge sur les personnes autorisées à consulter le futur répertoire national des hospitalisations sur les hospitalisations d’office. « Le fichier existe déjà, il est consultable par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales et certaines Ddass s’oppose aux demandes de consultation des préfets. » La décision de sortie d’essai prise collégialement l’étonne aussi, en se demandant quel serait le rôle du psychiatre libéral et du cadre infirmier consulté.Le Dr Pascal relève aussi que plusieurs mesures énoncées par le président de la République sont celles demandées par le ministère de l’Intérieur (cf dépêche APM HMLKP004)
Les psychiatres vent debout contre Nicolas Sarkozy
Egora – le 3 décembre 2008 Huit organisations de psychiatres * dénoncent les mesures annoncées mardi par le Président de la République relatives aux hospitalisations sous contrainte, estimant qu’elles témoignent « d’une méconnaissance des réalités de la psychiatrie » et qu’elles ne peuvent être « qu’un facteur aggravant de violence ».Dans un communiqué, syndicats et associations rappellent que « les malades décrits comme « potentiellement dangereux » sont avant tout des patients qui ont besoin de soins et qui ne peuvent progresser que dans un climat de confiance avec une levée progressive des contraintes qu’impose au départ leur état de santé. » Ils soulignent qu’en dehors de l’augmentation des unités pour malades difficiles, les mesures envisagées « sans aucune concertation avec les professionnels, les représentants des patients et des familles, constituent des atteintes graves à la liberté individuelle et aboutissent à l’inverse de l’effet proclamé : l’augmentation de la violence dans les institutions et le milieu social ».Le Syndicat des psychiatres d’exercice public, le Syndicat des psychiatres des hôpitaux, le Syndicat des psychiatres de secteur et l’Union syndicale de la psychiatrie ajoutent leurs voix à la grogne générale et fustigent de leur côté « une approche exclusivement sécuritaire de la psychiatrie qui apparaît comme une régression inacceptable pour une organisation des soins qui a fait ses preuves et n’a pas à rougir de ses résultats ». Pour les Drs Marie Napoli, Norbert Skurnik, Angelo Poli et Pierre Farragi, le problème majeur tient à l’augmentation constante de l’activité de psychiatrie et à l’érosion de moyens. « La qualité, l’efficience et la sécurité des soins pour les usagers depuis l’admission jusqu’à la sortie ne peuvent se décréter, elles reposent sur des organisations institutionnelles stables disposant de moyens et d’effectifs suffisants, ce qui n’est plus le cas actuellement », proclament-ils.*Syndicat des psychiatres des hôpitaux ; Syndicat universitaire de psychiatrie ; Union syndicale de la psychiatrie ; Syndicat des psychiatres français ; Syndicat national des psychiatres privés ; Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi publics et privés ; Association française pour la formation en psychiatrie ; Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.