STRASBOURG – Le Parlement européen a supprimé mercredi la faculté laissée aux Etats membres d’autoriser une durée hebdomadaire du travail supérieure à 48 heures, une possibilité largement utilisée au Royaume Uni et appliquée par certains secteurs d’activité dans 14 autres pays.
Le Parlement européen a rejeté une proposition visant à autoriser l’augmentation de la durée légale du travail au-delà des 48 heures hebdomadaires actuellement en vigueur dans l’UE. (Reuters/Fabrizio Bensch)
L’amendement clé, qui supprime dans un délai de trois ans cette dérogation (« opt out » en anglais) permise dans une directive sur le temps de travail de 1993, a été adopté par 421 voix contre 273 et 11 abstentions.
Les eurodéputés ont également décidé, contre l’avis des gouvernements des Vingt-Sept, que les « temps de garde », période d’inactivité passée sur le lieu de travail, devaient être intégralement compris dans le temps de travail.
Plusieurs milliers de salariés avaient manifesté mardi à Strasbourg à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES) pour inviter le Parlement à limiter strictement le temps de travail.
Ce vote en seconde lecture, qui nécessitait une majorité qualifiée de 393 députés à Strasbourg, laisse augurer d’une procédure de conciliation très aléatoire avec le Conseil des ministres de l’Union européenne.
Il torpille l’accord sur la révision de la directive de 1993 auquel étaient difficilement parvenus les Vingt-Sept le 10 juin dernier sous présidence slovène.
L’Espagne et la Grèce avaient voté contre tandis que la Belgique, Chypre, Malte, le Portugal et la Hongrie s’étaient abstenus.
La France, jusqu’alors favorable à la suppression de la dérogation mais elle-même engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy dans une démarche d’allongement de la durée du temps de travail, s’était ralliée au compromis, privant les opposants d’une minorité de blocage.
L’accord, tout en réaffirmant la limitation de la durée du travail à 48 heures hebdomadaires en moyenne trimestrielle ou annuelle, maintenait la possibilité de dérogation en fixant un plafond à 60 voire 65 heures à certaines conditions.
RESPECT DE LA VIE DE FAMILLE
« Il n’y a pas de majorité au Conseil pour supprimer l’opt out », a prévenu la secrétaire d’Etat française à la solidarité, Valérie Létard, en s’exprimant lundi devant le Parlement.
Elle a estimé que la directive révisée constituait un progrès en instaurant « un plafond de 60 ou 65 heures selon les cas contre 78 auparavant ».
Lancée en 2004, la révision de la directive sur le temps de travail est devenue particulièrement urgente après un arrêt de la Cour de justice européenne.
Les juges de Luxembourg ont estimé en 2005 que le temps de garde « inactif » des médecins, pompiers et autres agents de sécurité devait être considéré comme du temps de travail, même si ces personnes dormaient en attendant une mission.
Faute d’accord européen, il devenait impossible de contourner cet obstacle juridique et certains Etats membres risquaient de se révéler incapables de financer le fonctionnement de leurs hôpitaux ou de leurs services de police.
Gardienne des traités, la Commission européenne aurait été obligée d’attaquer en justice les Etats membres – tous, à l’exception de l’Italie et du Luxembourg – qui ne considèrent pas le temps de garde inactif comme du temps de travail.
Le projet de directive établissait donc une distinction entre le temps de garde « actif » où l’employé est prêt à effectuer une mission et le temps « inactif » où il est au repos sur son lieu de travail.
« C’est la première fois que l’Europe ferait un pas en arrière dans le domaine social », avait estimé mardi à Strasbourg John Monks, secrétaire général de la CES.
Le rejet de la position du Conseil a été rendu possible à Strasbourg grâce aux voix d’une partie importante de la droite qui a refusé une extension du temps de travail au nom du respect de la vie familiale et du refus du dumping social.
Les conservateurs britanniques ont en revanche défendu l’opt out jusqu’au bout.
« Beaucoup de gens choisissent de travailler plus longtemps pour offrir une vie meilleure à eux-mêmes et à leur famille et les politiciens devraient les aider plutôt que de leur mettre des bâtons dans les roues », déclarait à la veille du vote Philip Bushill-Matthews dans une version d’Outre Manche du « Travailler plus pour gagner plus ».
Gilbert Reilhac, édité par Yves Clarisse