À Marseille, la fugue de deux malades mentaux ravive la douloureuse polémique sur la paupérisation de cette spécialité en France.
Marseille, envoyé spécial.
« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît. » Cadre de santé au pavillon d’admission de l’hôpital psychiatrique Édouard-Toulouse, Pierre Coulombel cite cette pensée du psychiatre François Tosquellès comme une parade humaniste à la « froide folie médiatique » qui prévaut à Marseille depuis que Joël Gaillard, un malade mental de trente-neuf ans, auteur d’un meurtre à Gap (Alpes-de-Haute-Provence) en 2004, s’est enfui, dans la nuit de vendredi dernier, du pavillon 25. « Cette hypermédiatisation ne facilite en rien la tâche des soignants et tourne au procès de la psychiatrie ouverte alors qu’il faudrait, dans ce genre de circonstances, raison garder », déplore-t-il. L’emballement médiatique autour du « schizophrène à la hache » aurait peut-être même, par effet de contagion, provoqué la fuite, dimanche matin, d’un autre malade hospitalisé dans le même pavillon. Toutefois, ce jeune détenu aux Baumettes a été repris quelques heures plus tard dans Marseille.
Raison garder, c’est d’abord arriver à comprendre, sachant toutefois que le risque zéro n’existe pas en la matière, pourquoi et comment ce schizophrène considéré comme « dangereux » a pu ainsi fuguer au beau milieu de la nuit, après avoir déclenché l’alarme incendie pour faire diversion. En fait, selon un infirmier psychiatrique de cet hôpital, responsable du syndicat SUD santé, « ce malade devait bénéficier d’une permission pour passer Noël avec sa famille ». Permission refusée, au dernier moment, le 24 décembre, par la préfecture, vraisemblablement échaudée par le drame de Grenoble au cours duquel, voilà un mois, un malade mental libéré momentanément par son hôpital avait poignardé un étudiant en pleine rue. « L’évasion », a-t-elle été la réponse de Joël Gaillard à ce veto frustrant ? Toujours est-il qu’il a profité pour ce faire de circonstances matérielles favorables. Cet hôpital a fait l’objet, en effet, d’un plan de restructuration baptisé « projet médical 2005-2009 », suivi d’un « contrat de retour à l’équilibre financier » qui, pour les syndicats, révèle une contradiction entre une exigence de qualité et d’efficacité des soins et une baisse des effectifs. Plus précisément, ainsi que le révèle Cécile Martinez, secrétaire générale du syndicat CGT de cet hôpital, « nous sommes passés dans chaque pavillon de 17 à 14 infirmiers pour 25 malades, aidés par seulement 4 aides-soignants de jour et 2 de nuit, tandis que le nombre de lits d’hospitalisation diminuait considérablement ». Cette taille à la hache dans les effectifs est également dénoncée par Pierre Tribouillard, responsable FO, qui critique aussi « la baisse de la durée moyenne d’hospitalisation qui ne permet pas d’assurer des soins de façon toujours correcte ». À cela s’ajoute, pour Pierre Coulombel, un problème qualitatif, celui de « la formation d’infirmiers en psychiatrie qui, dès leur sortie de l’école, se retrouvent à devoir, sans expérience, contenir la folie de malades en grande souffrance ».
Bref, tandis que la police recherchait toujours, hier après-midi, le schizophrène fugueur tout en protégeant certains membres de sa famille, les personnels d’Édouard-Toulouse attendaient la réaction de Roselyne Bachelot (qui va diligenter une enquête administrative), sans illusion, après les déclarations à l’emporte-pièce du président de la République après l’émotion provoquée par la tragédie de Grenoble. « Basée sur l’enfermement, une folle politique sécuritaire de santé mentale se met en place, qui ramène la psychiatrie cinquante ans en arrière », estime Pierre Coulombel, qui, avec son syndicat, « s’inquiète de plus en plus pour nos libertés publiques et individuelles ».
Philippe Jérôme Article paru le 30 décembre 2008 dans L’Humanité