Confédération Générale du Travail (CGT)
Collectif Contre l’Homophobie et pour l’égalité des droits (CCH)
Fédération Syndicale Unitaire (FSU)
Imaginons un réseau Internet Solidaire (IRIS)
Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Syndicat de la Magistrature (SM)
Fédération syndicale Solidaires
La Commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le texte de la proposition de loi sur les fichiers de police, à l’initiative des députés Delphine Batho et Jacques-Alain Bénisti.
Entre autres mesures, la proposition de loi introduit une nouvelle version du fichier Edvige, ou « Edvige 3.0 », qui n’est pas plus acceptable que le fichier « Edvige 1.0 » ou sa proposition de remplacement par le ministère de l’Intérieur, Edvirsp ou « Edvige 2.0 ».
Le texte ignore l’immense mobilisation citoyenne contre ce fichier, et les organisations signataires, membres du Collectif « Non à Edvige », s’interrogent sur les raisons pour lesquelles le collectif n’a pas été auditionné, malgré sa demande.
Pour le reste, en dépit de certaines avancées en vue de l’encadrement et la transparence des fichiers de police, cette proposition de loi demeure insuffisante en matière de contrôle démocratique et de respect des droits et libertés fondamentaux. Certaines de ses dispositions sont extrêmement contestables.
Les organisations signataires s’insurgent contre la tendance globale, manifestée également dans cette proposition, qui consiste à étendre à la petite délinquance des méthodes et outils auparavant réservés aux crimes graves voire aux actes de terrorisme. Cette tendance conduit en outre au contrôle des populations, ainsi qu’à la criminalisation des activités syndicales et autres activités militantes. C’est exactement contre cette situation que se sont élevées plus de 220 000 personnes et près de 1 200 organisations signataires de l’appel « Non à Edvige ».
Les organisations signataires contestent fortement les dispositions et tendances suivantes de la proposition de loi sur les fichiers de police :
– Titre Ier – Modifications de la loi Informatique et Libertés
La principale modification, soumettant à la loi la création de tout fichier de police, est une avancée certaine qui répond à une demande du collectif « Non à Edvige ». Toutefois, les organisations signataires considèrent qu’il faut aller plus loin.
Elles demandent le renforcement du caractère pluraliste et démocratique de la Cnil par le choix des cinq personnalités qualifiées sur proposition des syndicats et des associations de défense des droits de l’Homme.
Elles souhaitent que les propositions de loi fassent l’objet d’un avis de la Cnil au même titre que les projets de loi. Pour les textes réglementaires, elles demandent le rétablissement de l’avis conforme du Conseil d’État en cas d’avis défavorable de la Cnil, et la publication de tous ces avis motivés.
Elles demandent enfin que l’inclusion dans les fichiers de données sensibles, de données génétiques ou biométriques, ou d’une référence au NIR, relève également de la loi.
– Titre II – Contrôle des fichiers d’antécédents judiciaires
Les organisations signataires contestent en préalable que les fichiers de type Stic soient qualifiés de fichiers d’antécédents judiciaires, alors qu’il s’agit de fichiers de police utilisés notamment lors d’enquêtes préliminaires. Tout en notant quelques améliorations dans l’encadrement de ces fichiers, les organisations signataires demandent l’effacement des données dès lors que la procédure se solde par un non-lieu ou un classement sans suite. À défaut, il s’agirait d’établir et d’enregistrer une présomption de culpabilité inacceptable.
Les organisations signataires demandent également l’extension du droit d’accès direct à ces fichiers à toute personne concernée, et pas uniquement les victimes, sachant que le contrôle de la Cnil a montré un nombre phénoménal d’erreurs dans le Stic et leurs conséquences pour les personnes, y compris pour de simples témoins et des victimes enregistrés comme « mis en cause ».
Enfin, l’une des demandes principales des organisations signataires consiste à interdire l’inscription des mineurs dans de tels fichiers qui ne connaissent actuellement aucune limitation d’âge.
– Titre III – Fichiers d’information générale et d’enquêtes administratives
La proposition introduit un fichier de renseignement « Edvige 3.0 » qui demeure aussi inacceptable que ses précédentes versions. Il concerne toujours les enfants à partir de 13 ans. Mais cette proposition va plus loin encore qu’« Edvige 1.0 » et « Edvige 2.0 ».
Certes, elle distingue les finalités de renseignement et de police administrative en exigeant la séparation en fichiers différents, et les organisations signataires se félicitent de voir satisfaite l’une des demandes du collectif « Non à Edvige ». Mais la définition des personnes concernées par « Edvige 3.0 » introduit un mélange pervers des finalités de renseignement et de police judiciaire. En effet, les atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, aussi largement définies, relèvent d’activités de police qui s’appuient déjà sur de nombreux fichiers et pour lesquelles un fichage de ressenti ne peut être considéré comme légitime. S’il était maintenu, le mélange entre les finalités de police et de renseignement conduirait à des atteintes intolérables aux droits fondamentaux, aux libertés, et à l’État de droit.
Les organisations signataires demandent le retour à la rédaction du décret de 1991, c’est-à-dire une limitation aux atteintes possibles à la sûreté de l’État ou à la sécurité publique, par le recours ou le soutien actif apporté à la violence. Cette rédaction ne devrait évidemment pas concerner les mineurs.
– Titre IV – Fichiers de rapprochements en matière délictuelle
Ces dispositions relatives à la délinquance dite à caractère sériel modifient la loi de 2003 sur la sécurité intérieure pour légaliser des fichiers et applications logicielles de police qui sont actuellement utilisés, parfois depuis 2006.
Les mesures proposées visent à étendre à la petite et moyenne délinquance des méthodes et outils utilisés jusqu’ici pour l’élucidation de crimes ou délits sériels graves. Parmi les délits cités, « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui », « les atteintes au respect dû aux morts », « la destruction ou la dégradation d’un bien appartenant à autrui » ou encore « la fausse alerte ».
L’enregistrement de « signes physiques particuliers et objectifs comme éléments de signalement » comporte, dans le contexte de ces dispositions, un risque réel de « délit de faciès ».
Les mineurs sont concernés, à partir de l’âge de 13 ans, dès lors qu’il existe des « indices graves ou concordants » de leur participation à la commission du délit. Il n’y a pas de limitation d’âge pour les victimes.
Les organisations signataires émettent des doutes sérieux sur la capacité de ces fichiers et applications à respecter les droits et libertés fondamentaux. Elles considèrent comme très contestable la proportionnalité et donc la légitimité et la légalité des mesures proposées eu égard aux objectifs affichés. C’est pourquoi elles rejettent le Titre IV dans son ensemble.
– Titre V – Fnaeg
L’article unique de ce titre vise à restreindre le champ des prises d’empreintes génétiques, lorsqu’elles ne doivent pas donner lieu à inscription dans le fichier Fnaeg mais simplement permettre le rapprochement avec des données présentes dans ce fichier. Il s’agit d’un retour à une version antérieure à la loi de 2003 sur la sécurité intérieure.
Pour limitée qu’elle soit, cette modification est la bienvenue. Toutefois, les organisations signataires souhaitent que les finalités et l’utilisation du Fnaeg deviennent plus restrictives, dès lors que cette proposition de loi entend réviser les mesures relatives à ce fichier.
Pour les organisations signataires, ces restrictions doivent porter sur : la liste des crimes et délits visés par ce fichier, par un retour à la rédaction de la loi de 2001 sur la sécurité quotidienne ; la durée de conservation des données dans le Fnaeg ; et l’introduction d’un âge minimum pour la collecte d’empreintes génétiques.