La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) vient d’être adoptée par les deux Chambres après d’ultimes modifications apportées par le gouvernement. Qu’en restera-t-il dans quelques années ? Sans doute la bonne idée d’une gestion territoriale régionale de la santé, intégrant prévention, soins et action sociale, regroupés au sein des Agences régionales de santé (ARS).
Toutefois, les ARS portent en elles, dès leur naissance, deux dangers : leur lourdeur bureaucratique et leur politisation. Disposant des pleins pouvoirs, les directeurs des ARS sont en effet des préfets sanitaires, nommés et révoqués en conseil des ministres et choisissant eux-mêmes les directeurs des hôpitaux – hormis ceux des centres hospitalo-universitaires (CHU) nommés également en conseil des ministres. Aucun contre-pouvoir n’est mis en place (les concessions du gouvernement n’ont été que de façade), et surtout, pas une seule fois la loi HPST ne fait référence au « service public hospitalier ». Ce dernier a disparu, au nom de la « convergence public-privé ».
Cette approche idéologique et financière a été privilégiée, sans que soient pris en compte deux éléments essentiels. La France est le pays d’Europe où la part du montant des financements publics de soins versée à l’hospitalisation privée à but lucratif est la plus élevée. Second élément : le déséquilibre financier de notre système de santé a des explications structurelles connues : l’accroissement des besoins et des demandes de soins de la population à tous les âges de la vie, l’augmentation du nombre de patients atteints de maladies chroniques, le coût croissant des nouveaux médicaments et des dispositifs médicaux innovants.
Au lieu d’organiser une véritable concertation et d’expliquer aux usagers-citoyens les enjeux et la nécessité de faire des choix partagés qui sont d’authentiques sujets de société, le gouvernement a esquivé le débat. Les discussions menées à l’Assemblée nationale et au Sénat ont été, de ce fait, réduites, jusqu’à la dernière minute, à des enjeux de pouvoir entre gestionnaires et médecins. Spectacle pitoyable autour d’une question qui nous concerne tous. Après une reculade immédiate sur la question des dépassements d’honoraires, source d’une aggravation de moins en moins tolérable de l’inégalité de l’accès aux soins, le gouvernement privilégie une logique assurantielle où chacun paiera en fonction de ses risques et de ses revenus, ce qui ne fera qu’accroître l’inégalité.
Tout était inscrit pour que ce désastre survienne, car on ne peut réformer l’hôpital qu’en associant l’ensemble des ministères et des institutions concernés, suivant le remarquable exemple donné par le professeur Robert Debré en 1958. Aujourd’hui, deux projets s’opposent, sous l’oeil intéressé du ministère de l’économie : celui du ministère de la santé, centré sur la gestion de l’hôpital et qui n’offre aucune perspective de progrès médical, et celui du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui prône l’intégration du soin, de la recherche et de l’enseignement au sein des CHU, têtes de pont d’un véritable élan régional de progrès de la médecine. Or, quel que soit le modèle, il se heurtera au mur d’une enveloppe budgétaire nationale insuffisante pour maintenir le fonctionnement des hôpitaux publics et les investissements nécessaires. La répartition injuste des moyens basée sur une tarification à l’activité (T2A) conduit à la mise en déficit systématique de 50 % des hôpitaux publics, et à leur recul inéluctable au profit de l’hospitalisation privée, avec une augmentation du coût restant à la charge des patients.
A l’automne, le budget de la santé, et donc celui des hôpitaux, sera discuté. Désormais, c’est le directeur de l’hôpital, nommé dans les conditions que l’on a vues, qui arrêtera le budget prévisionnel, en particulier en termes d’emplois. Les commissions médicales des hôpitaux, représentant les médecins de l’hôpital, n’auront plus à se prononcer. Pas d’arbitrage, mais le risque certain d’arbitraire. Nous revendiquons « le juste soin au juste coût », et par conséquent le contrôle public de l’efficience des dépenses. A l’inverse, nous n’acceptons pas le développement généralisé du marché de la santé, avec la recherche du profit maximum pour quelques-uns et les difficultés croissantes d’accès aux soins pour beaucoup d’autres. Cela heurte nos convictions et nos engagements de médecins, et conduit à transformer les personnels de santé en contractuels payés à l’acte et soumis aux seules règles de la rentabilité. Le système français de santé, jusqu’alors pris en exemple, va radicalement changer. Nos concitoyens souhaitent-ils vraiment ce changement-là ?
Professeurs Paul Barrière (Nantes), Arnaud Basdevant (Paris), Athanase Bénétos (Nancy), Pierre Bourgeois (Paris), Marie-Germaine Bousser (Paris), Laurent Brochard (Créteil), Alain Bron (Dijon), Philippe Chanson (Bicêtre), Dominique Chauveau (Toulouse), Michel Claudon (Nancy), Philippe Descamps (Angers), Charles Duyckaerts (Paris), Gilles Edan (Rennes), Alain Fischer (Paris), François Fourrier (Lille), Dominique Franco (Paris), René Frydman (Clamart), Alain Gaudric (Paris), Eliane Gluckman (Paris), Bertrand Godeau (Créteil), André Grimaldi (Paris), Eric Hachulla (Lille), Edouard Kieffer (Paris), Frédérique Kuttenn (Paris), Olivier Lyon-Caen (Paris), Jean-Paul Marie (Rouen), Christophe Marguet (Rouen), Xavier Mariette (Paris), Philippe Mathurin (Lille), Philippe Menasché (Paris), Vincent Meininger (Paris), Alain Mercat (Angers), Noël Milpied (Bordeaux), Bernard Moyen (Lyon), Dominique Musset (Clamart), Patrick Niaudet (Paris), Jean-François Pinel (Rennes), Pierre Pollak (Grenoble), Jean-Christophe Richard (Rouen), Bruno Riou (Paris), José Sahel (Paris), Laurent Sedel (Paris), Jean-Paul Soulillou (Nantes), José Timsit (Paris), Dominique Valla (Paris), Bruno Varet (Paris), Jean-Paul Vernant (Paris), Bernard Vialettes (Marseille), Philippe Vinceneux (Colombes).
Article paru dans l’édition du Monde, le 03.07.09