L’affaire risque de faire grand bruit dans le petit monde de la santé au travail. Le 19 octobre se tenait, devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (tass) de Nanterre, le procès en faute inexcusable opposant le constructeur Renault et la veuve de l’ingénieur du Technocentre de Guyancourt qui s’était suicidé le 20 octobre 2006 en se jetant d’une passerelle. Or, l’entreprise au losange a utilisé, pour sa défense, les résultats d’une autopsie psychique réalisée par un médecin psychiatre, dans le cadre d’une expertise menée par le cabinet Technologia. Une expertise lancée à la demande conjointe du CHSCT et de la direction de Renault.
Comment le contenu de cette autopsie psychique, qui relève clairement du secret médical, s’est-il retrouvé entre les mains de l’employeur ? Tout simplement parce que le médecin psychiatre qui a réalisé cet acte médical, le Dr Stéphanie Palazzi, a consigné les informations recueillies dans une note présentée oralement au CHSCT de Renault et à la direction, en décembre 2007. Une note que Renault a produite comme pièce de sa défense devant le tass de Nanterre, après que le procureur de la République ait exigé sa communication aux parties.
Un maximum de précautions déontologiques
La technique des autopsies psychiques est normalement utilisée dans le cadre de travaux de recherche et ses résultats sont plutôt destinés à être exploités statistiquement sur un ensemble de cas. Mais, dans certains pays, cette technique est déjà utilisée par des compagnies d’assurances et des avocats dans le cas de litiges portant sur des contrats d’assurance-vie.
L’objectif d’une autopsie psychique est de comprendre tant les circonstances que l’état d’esprit de la victime au moment du suicide. Elle se focalise sur le profil psychologique de la victime. Ce type de méthode comprend une reconstruction du style de vie, des comportements et des événements de vie de l’individu. Elle s’appuie donc sur le recueil d’informations dans l’entourage du défunt. Pour toutes ces raisons, la pratique des autopsies psychiques doit être entourée d’un maximum de précautions déontologiques, visant à protéger l’image du défunt vis-à-vis de sa famille et de ses proches.
Sur le site du ministère du Travail, une note intitulée « Conduite à tenir en cas de suicide d’un salarié sur le lieu de travail » recommande, lorsqu’une autopsie psychique est réalisée, de « suivre les recommandations de l’Inserm et de confier cette enquête à un médecin, psychiatre ou psychopathologue, afin de s’assurer du respect des règles de déontologie ». Or, parmi les recommandations de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, on retiendra notamment l’agrément d’un comité d’éthique, qui doit particulièrement veiller à garantir le respect de la personne suicidée, tout comme le respect et la santé des personnes interrogées. En outre, le Code de déontologie médicale précise que le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. De plus le respect que doit le médecin à la personne ne cesse pas de s’imposer après sa mort.
A l’évidence, les autopsies psychiques réalisées chez Renault par le médecin psychiatre pour le compte de Technologia n’ont pas respecté ce cadre déontologique très strict et très contraignant.
Ironie de l’histoire, la note de recommandations figurant sur le site du ministère du Travail est cosignée, entre autres, par Stéphanie Palazzi, le médecin même qui a mené les autopsies psychiques chez Renault, et par Jean-Claude Delgènes, le patron du cabinet Technologia !
Interdire les autopsies psychiques
L’affaire risque de ne pas en rester là. D’ores et déjà, l’association ASD-pro (association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels) – à laquelle appartient la veuve de l’ingénieur de Renault – demande, dans une alerte mise en ligne sur son site, que les autopsies psychiques soient interdites dans le contexte des suicides professionnels. « Que vient faire une analyse psychologique de la victime dans le cadre d’une expertise sur les conditions de travail ? », écrit notamment l’association. « Là où elles se réalisent, avec ou sans le consentement syndical via le CHSCT, il faut dénoncer ce processus qui ne peut aboutir qu’à un ralentissement d’une dynamique de prévention réelle du risque psychosocial. »
Une chose est certaine : ces techniques, que Technologia se propose également de mettre en œuvre à France Télécom, risquent d’être détournées par les directions d’entreprises pour se dédouaner d’une éventuelle mise en cause de leur responsabilité devant les tribunaux. Il n’est pas évident que cela soit du goût des organisations syndicales qui risquent de passer pour les dindons de la farce. Enfin, il sera également intéressant de connaître la position du Conseil national de l’ordre des médecins sur cette affaire, dont il risque d’être saisi dans un avenir proche.