Michel Antony : « Les élus ne peuvent plus nier la réalité »
Ce sont leurs 13e rencontres. Les comités de défense des hôpitaux de proximité se retrouvent demain à Die, dans la Drôme. Pour Michel Antony, président de leur Coordination nationale, les menaces de fermeture dépassent désormais largement le cercle des petits établissements ruraux isolés.
LE QUOTIDIEN – Vous organisez demain une 13e édition de vos rencontres nationales. La problématique des hôpitaux de proximité a-t-elle changé depuis que vous avez investi ce sujet ?
MICHEL ANTONY – Hélas non. La loi Bachelot n’est pour nous que la pointe d’un iceberg vieux de quinze, vingt ans. Moi-même, je suis président d’un comité créé en… 1982 pour défendre une maternité de proximité ! L’idéologie dominante, non seulement n’a pas changé, mais on continue à l’appliquer sans tenir compte de l’acquis historique. Les effets nocifs des fusions ou des regroupements d’hôpitaux ont beau avoir été démontrés – cela n’apporte rien au niveau budgétaire, on fait un peu d’économie au plan administratif, l’accès aux soins régresse et on contribue à la désertification de certains territoires –, la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires] accélère le mouvement et simplifie, avec le pouvoir donné aux ARS [agences régionales de santé] et les futures communautés hospitalières de territoire, la manière de procéder pour restructurer.
À quoi ressemble aujourd’hui votre Coordination, qui représentez-vous ?
Nous rassemblons des comités militants qui, par définition, évoluent. En gros, notre noyau dur est constitué d’une centaine de collectifs. On touche entre 250 et 300 localités ou sites hospitaliers. Quand nous avons fondé la Coordination à Saint-Affrique en 2004, nous l’avons fait avec des comités qui existaient depuis vingt ans. Nous étions alors une quarantaine. Depuis la loi Bachelot, nous enregistrons de nouvelles recrues. Et si au démarrage, nous avions une étiquette de « localisme » – je défendais, par exemple, la « Franche-Comté profonde » –, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La région parisienne nous a rejoints (Ivry, Juvisy…), de grandes villes comme Bordeaux sont très actives. Le cas de la maternité de Saint-Antoine, à Paris, est assez emblématique. Il montre que si les menaces de fermeture ont touché d’abord les hôpitaux de proximité isolés, elles touchent maintenant les CHU. Le problème à Saint-Antoine est le même qu’à Valréas : à la campagne comme à Paris, les gens ont besoin d’une structure proche de chez eux.
Avez-vous eu le sentiment que la question des soins de proximité a été bien relayée par les parlementaires dans le cadre, notamment, de l’examen du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) ?
Les élus locaux ne peuvent plus nier la réalité de terrain. Ils entendent les usagers qui râlent, ils savent que des femmes accouchent sur le bord de la route. En 1998, le premier Livre blanc de l’APVF [Association des petites villes de France] sur les hôpitaux émanait d’une poignée de convaincus. Aujourd’hui, le phénomène est patent. Tous les départements voient augmenter l’activité des pompiers, certains s’interrogent sur l’achat d’un hélicoptère… Les parlementaires ont une conscience plus forte du problème, le débat public est plus riche.
Mais cette prise de conscience est une chose, le débat budgétaire en est une autre. Je connais des élus d’une très grande fermeté dans leur circonscription sur la défense des hôpitaux de proximité qui ont quand même voté la loi HPST.
Que représente pour vous l’affaire de Valréas, dans le Vaucluse, où la maternité, fermée par la ministre, a finalement rouvert sur décision de justice ?
Un gros espoir. L’affaire reste à juger au fond mais les défenseurs de la maternité (les personnels du secteur, les élus, les usagers et des professions locales comme les viticulteurs) n’ont pas hésité à accuser la ministre en personne et le tribunal administratif leur a donné raison. Des décisions du même ordre ont été rendues à Lannemezan, à Die, à Carhaix. À Luçon, nous avons gagné en appel et en Conseil d’État ! Chaque fois, nous avons plaidé l’inégalité d’accès aux soins, les spécificités locales, l’obligation de régularité. Et de plus en plus, la justice – peut-être sensibilisé au sujet par la fermeture de ses propres structures – nous suit.
La « lutte contre les dépassements d’honoraires » fait partie des thèmes dont vous allez débattre demain à Die. C’est un problème dans les hôpitaux de proximité ?
Bien sûr. Cela nous concerne d’autant plus que là où le service public est touché, c’est le privé qui prend le relais, avec des dépassements d’honoraires à la clé. Il y a à ce jour une centaine de localités en France où le secteur public de santé n’existant plus, les gens n’ont pas le choix : soit ils vont se faire soigner ailleurs, soit ils paient plus cher.
PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE PIGANEAU