Recueilli par ERIC FAVEREAU
Jamais depuis vingt ans ne se sont autant multipliées les chambres d’isolement et les mesures de contention (immobilisation) pour les malades
mentaux. Hier rarissimes, ces chambres fermées existent aujourd’hui dans tous les services.
En décembre 2008, un collectif «La nuit sécuritaire» s’était élevé contre le plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, lancé par Nicolas Sarkozy
aprés le meurtre d’un jeune par un malade mental, échappé de l’hôpital psychiatrique de St Egréve, près de Grenoble. Une pétition s’en était suivie.
Samedi, à Montreuil, le collectif organise une journée de débats sur le thème: «Quelle hospitalité pour la folie ? Non, au retour des gardiens de fous, au grand renfermement, à l’abandon, au tri, à la mise à l’écart» (1).
Nous avons demandé l’avis de Jean-Marie Delarue, conseiller d’Etat, qui est depuis un an contrôleur général des lieux de privation de liberté, poste
créé par l’actuel gouvernement, sur la question de l’enfermement des malades.
Y a-t-il une explosion des mesures d’enfermement et des mesures de contention dans les hôpitaux psychiatriques, aujourd’hui?
Il n’y pas de données générales et globales. Nous, devant cette question, nous faisons comme d’habitude, nous avons visité plus d’une vingtaine
d’établissements psychiatriques. Des visites approfondies sur plusieurs jours. Et le premier constat que l’on a pu faire, c’est que l’on avait du mal à
faire la distinction entre les patients hospitalisés sous contrainte et ceux hospitalisés libres. Nous avons ensuite examiné la manière dont ils sont
enfermés en matière de respect des droits, de leur liberté de mouvement, d’accès aux cultes ou au courrier. Au départ, nous n’avions aucun a priori.
Et finalement?
En matière d’isolement et de contention, nous avons été frappés par la grande variété des pratiques entre les établissements, mais aussi à l’intérieur d’un même lieu. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes, puisque les gens sont hospitalisés en fonction de leurs lieux géographiques, et donc ne choisissent pas. Ils peuvent, ainsi, tomber sur des lieux avec des pratiques très variées… En même temps, il ne faut pas tout regarder en fonction de l’isolement. D’autres éléments peuvent poser problème. Comme, dans certains endroits, cette mise systématique en pyjama pendant quelques jours des patients, pour qu’ils ne fuguent pas. Dans des endroits, le courrier est systématiquement ouvert et lu. Le droit à l’intimité existe, il n’est pas toujours respecté.
Mais l’isolement, alors?
Nous avons analysé trois facteurs: la fréquence, la durée, et enfin la traçabilité. Sur la fréquence, ce que l’on peut dire, c’est que c’est une pratique relativement répandue, et elle l’est de plus en plus, mais pas toujours dans les lieux où on l’attend.
Sur la durée, ensuite. Normalement, la prescription puis la durée, puis enfin la sortie de la chambre d’isolement se font sur décision d’un psychiatre. Il peut y avoir de brèves phases d’isolement – juste quelques heures – le temps d’un répit thérapeutique, nous dit-on. Cela peut se comprendre. Mais nous avons constaté des durées longues, très longues de plusieurs semaines. Et nous avons vu aussi des isolements sans fin. Comme dans ce service de psychiatrie d’un hôpital général où un malade est enfermé dans une chambre avec un seul matelas, à moitié nu. Il est là depuis des années…
Et la traçabilité?
Là encore, c’est très variable. Il y a parfois des registres bien tenus, mais souvent ce n’est pas le cas, et même parfois, il n’y a aucune trace. Enfin dans les établissements où il y a des registres, il n’y a aucune analyse de ce qui s’est passé, aucune évaluation. Encore plus troublant, la présence de plus en plus systématique de vidéosurveillance dans ces chambres d’isolement. Le personnel met en avant que cela leur permet d’intervenir à bon escient, mais pour nous, cette violation de l’intimité est problématique.
Et concernant les détenus envoyés par le préfet en hôpital psychiatrique sous le régime de l’hospitalisation d’office ?
On les met à l’isolement, mais sans consigne thérapeutique. Ces patients se retrouvent enfermés, sans télé, ni sortie, ni cigarettes. La plupart s’en
plaignent. En général, le personnel soignant est attentif, mais les psychiatres sont peu présents.
Les malades se plaignent de quoi?
Ce qui revient, presque tout le temps, c’est qu’ils ne voient pas assez le psychiatre. Puis, l’ennui. Le grand ennui. C’est d’ailleurs un point commun de tous ces lieux, privatifs de liberté.
Au final, vous en ressortez avec quels sentiments?
D’abord, ce qui est problématique, c’est la grande divergence des pratiques et la non-évaluation de ce qui se fait. Ensuite, nous avons rencontré des problèmes de respect de la dignité, quand l’enfermement n’est justifié par aucune indication claire, quand le patient n’a pas de courrier. Tout individu a droit à une vie privée.
Nous avons vu des endroits dans des états lamentables.
Un nouvelle loi?
Cela ne paraît pas l’urgence. Il nous semble que certains maires prennent un peu trop de facilités avec les hospitalisations d’office. Et ensuite, il
faudrait préciser les recours, ou plus exactement préciser la manière dont les gens sont informés des recours possibles. Enfin, cela ne serait pas
inutile que les avocats soient un peu plus présents lors des hospitalisations d’office…
(1) De 9h à 18h, à la maison de l’arbre et de la parole errante 9, rue François Debergues, Montreuil.