Article du Quotidien du médecin du 15 décembre 2009 : La dégradation des comptes de la Sécu – Éric Woerth : « il faut faire des choix »

« Nous devrons accélérer nos efforts de réforme une fois la crise derrière nous », prévient Éric Woerth. Dans un entretien au « Quotidien », le ministre du Budget affiche son objectif ambitieux de limiter l’évolution des dépenses maladie sous la barre des 3 % « pendant plusieurs années ». Cela passera notamment par « des mesures fortes » pour ajuster les prix des médicaments et les tarifs. L’assurance-maladie sera recentrée sur les dépenses « les plus utiles médicalement ». Affirmant qu’il faut « faire des choix », il cite trois dossiers : la répartition Sécu/complémentaires, la productivité des hôpitaux publics et les ALD.

Le déficit du régime général devrait s’élever à 30 milliards d’euros par exercice dans les trois prochaines années. Peut-on s’interdire encore la hausse des prélèvements obligatoires??

ÉRIC WOERTH – Le déficit du régime général devrait se stabiliser autour de 30 Md€ pour les trois prochaines années malgré les efforts de maîtrise des dépenses sans précédent que nous faisons pour tenir l’ONDAM [objectif national de dépenses d’assurance-maladie]. Je tiens à souligner ce point : pour la première fois depuis 1997, nous allons quasiment respecter l’ONDAM, à 3,4 %. La crise masque cet effort mais c’est essentiel pour l’avenir de notre système de santé. Pour revenir à des niveaux de déficits plus soutenables, les hausses d’impôts ne sont pas l’option que je privilégie. Je le rappelle, nous sommes déjà le cinquième pays au monde pour le poids des prélèvements obligatoires et la Sécurité sociale est financée à 70 % par des prélèvements sur les salaires, donc sur l’emploi !

LES HAUSSES D’IMPÔT NE SONT PAS L’OPTION QUE JE PRIVILÉGIE

Nous pouvons difficilement aller plus loin sans handicaper notre économie. Nous devrons donc accélérer nos efforts de réforme une fois que la crise sera derrière nous. Je suis convaincu qu’avec des réformes de structures fortes, nous pouvons avoir une progression de l’ONDAM en dessous de 3 %, pendant plusieurs années. Nous devrons également traiter la question des retraites grâce au « rendez-vous 2010 » annoncé par le Président de la République.

Qu’attendez-vous de la commission députés/sénateurs qui doit se mettre en place pour traiter la dette??

Le déficit cumulé de la Sécurité sociale sur 2009-2010 devrait atteindre 61,5Md€ en tenant compte du déficit du fonds de solidarité vieillesse. Il faut donc dès maintenant commencer à réfléchir à une solution pérenne car on ne pourra pas demander à l’ACOSS [Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, la banque de la Sécu] de porter cette dette en 2011 comme nous le faisons en 2010. Ce sera le rôle de la « Commission de la dette sociale » qui se réunira au printemps 2010. Elle remettra ses conclusions en juin 2010 pour que ses recommandations puissent être prises en compte dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011. À ce stade, aucune option n’est privilégiée. Faut-il passer uniquement par la CADES [caisse d’amortissement de la dette sociale] ou peut-on imaginer une intervention de l’État ? Si l’on décide de recourir à la CADES, doit-on augmenter sa durée de vie ou en rester aux textes actuels qui prévoient son extinction en 2021 ? Une recette nouvelle doit-elle être mobilisée ou peut-on procéder par des redéploiements de ressources comme pour la reprise de dette de l’an dernier ? Les questions sont nombreuses et il appartiendra à la commission d’y répondre. Mais je voudrai insister sur un point très important. Le schéma qui sera retenu devra tenir compte de la priorité accordée par le Gouvernement à la croissance et à l’emploi. Cela signifie qu’il devra être adapté à la situation de l’économie fin 2010 et qu’il faudra également tenir compte du poids des prélèvements sociaux qui pèsent aujourd’hui sur le travail.

Comment comptez-vous contenir durablement l’ONDAM sous la barre des 3 % ? N’est-ce pas une contrainte trop forte ?

Nous sommes parvenus avec Roselyne Bachelot depuis deux ans à une augmentation maîtrisée des dépenses d’assurance-maladie et, sans la crise, nous aurions ramené l’assurance-maladie à l’équilibre en 2012 ou 2013. Mais la crise nous oblige à changer d’échelle et à augmenter nos efforts d’économie et de réforme. Un ONDAM inférieur à 3 % pendant plusieurs années, c’est possible si l’on s’en donne les moyens. Nous sommes le deuxième pays au monde pour l’importance des dépenses de santé, le premier pour les dépenses publiques de santé.

LES ALLEMANDS ONT RÉUSSI, POURQUOI PAS NOUS ?

Nos indicateurs de santé sont bons mais pas tellement meilleurs que ceux d’autres pays qui dépensent moins que nous, je pense aux pays scandinaves ou au Japon par exemple. Nous avons donc des marges importantes pour améliorer l’efficacité de notre système de santé. Les Allemands ont réussi à le faire dans les années 2000. Grâce à des réformes de grande ampleur, ils ont diminué la part des dépenses de santé dans le PIB entre 2003 et 2007 et ramené l’assurance-maladie en excédent. Pourquoi pas nous ? Il faut jouer principalement sur deux leviers. Le premier, c’est le renforcement de l’efficacité du système de soins. Cela passe par une profonde réforme de l’organisation des soins que la loi hôpital de Roselyne Bachelot va nous permettre de mener. Mais cela passe également par des mesures fortes sur plusieurs années pour ajuster les prix des médicaments et les tarifs de certaines professions de santé pour les fixer à un niveau qui reflète leur efficacité médicale et leur coût. Le second levier, c’est de recentrer progressivement l’assurance-maladie sur les dépenses les plus utiles médicalement. Pour conserver les formidables atouts de notre système de santé, comme la prise en charge à 100 % des patients en ALD, il faut faire des choix. Lesquels ?

Pour réussir, il faudra que nous apportions des réponses précises à quelques grandes questions autour desquelles nous tournons depuis plusieurs années. Jusqu’où souhaitons-nous aller dans l’évolution de la répartition entre la Sécurité sociale et les complémentaires et le rôle donné aux complémentaires en matière de gestion du risque ? Quel effort de productivité voulons-nous demander aux hôpitaux publics ? S’agissant des ALD, comment concilier une meilleure prise en charge médicale des malades chroniques et la soutenabilité financière du système en nous reposant sur les avis médicaux rendus par la Haute de Autorité de Santé ?

Vous souhaitez que l’hôpital public améliore sa performance. Comment ?

L’hôpital est un service public dont on peut être fier. La qualité et le dévouement de ses personnels sont exemplaires. Je suis convaincu que l’on peut encore améliorer ses performances dans l’intérêt des malades. Beaucoup d’études, je pense au dernier rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, montrent qu’il y a des écarts très importants entre établissements.

ÉCONOMIES : LA CRISE NOUS OBLIGE A CHANGER D’ÉCHELLE

Un exemple : pour le même nombre de passages aux urgences, il faut à certains hôpitaux cinq fois plus d’infirmières et d’aides soignantes qu’à d’autres.

La loi HPST va nous permettre de moderniser la gestion de l’hôpital en favorisant les regroupements d’établissements et en rendant plus efficace la gouvernance des hôpitaux. Mais je crois d’abord aux actions de terrain. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé avec Roselyne Bachelot de lancer, en 2010 et 2011, 150 « contrats de performances » avec certains hôpitaux pour améliorer leur efficacité et la qualité des soins. Les gestionnaires d’hôpitaux recevront l’appui de consultants pour les aider à atteindre leurs objectifs. Un projet pilote en cours au CHU de Nancy produit déjà des résultats : l’attente aux urgences a par exemple été réduite de 16 %. C’est la preuve que l’on peut faire des économies tout en améliorant la qualité du service rendu aux malades. Et ce sont bien les équipes opérationnelles qui sont à la manœuvre et qui ont permis la réussite de ce projet.

Propos recueillis par CYRILLE DUPUIS