Face à la perspective de suppression de plus de 1000 emplois en 2010 au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le personnel hospitalier est inquiet, et les médecins tout autant.
Mardi 15 décembre, plusieurs dizaines de professeurs, menaçant de démissionner de leurs fonctions administratives, devaient se retrouver pour une assemblée générale à la Pitié-Salpêtrière à Paris, à l’appel de syndicats de médecins, de radiologues ou de chirurgiens, et du Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP).
Tous s’opposent à des suppressions de postes qu’ils jugent arbitraires et au plafonnement des emplois. Les syndicats de personnel soignant appellent pour leur part à un rassemblement devant le siège de l’AP-HP (Paris, 4e arrondissement), vendredi 18 décembre.
« L’INSTITUTION EST MENACÉE »
Pour le professeur Pierre Coriat, président de la Commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP, instance de représentation des médecins, « l’institution est menacée ». Pourtant modéré et réputé favorable aux restructurations, le professeur Pierre Coriat a fait grand bruit en annonçant, en novembre, qu’il démissionnerait de la présidence de la CME si les suppressions d’emplois n’étaient pas justifiées d’un point de vue médical. Il estime qu’elles font courir des risques sur l’offre et la qualité des soins.
Sa décision a été suivie d’un mouvement inédit de menaces de démission de leurs fonctions administratives de 31 présidents de comités consultatifs médicaux (CCM), dans les 37 hôpitaux de l’AP- HP. Selon le MDHP, qui a mené la contestation contre la loi Bachelot au printemps, 118 chefs de pôle (67% d’entre eux) et 423 chefs de service (plus de 50%) ont signé une menace de démission. Au total, 895 professionnels se disent prêts à rendre leur tablier.
Difficile de taxer les pétitionnaires d’immobilisme. Comme Pierre Coriat, se retrouvent dans l’initiative des professionnels investis dans la gestion des hôpitaux et de tous bords politiques. Ils ne sont opposés ni au principe des économies et des suppressions d’emplois, ni aux restructurations.
« GESTION COMPTABLE DES EMPLOIS »
Ces médecins sont en revanche très attachés au service public, qu’ils estiment menacé par des réductions d’effectifs inappropriées, ou par la perspective d’une convergence des systèmes de financement entre secteurs hospitaliers public et privé.
« La tension actuelle vient de l’intervention permanente du ministère de la santé, de son obsession idéologique pour la gestion uniquement comptable des emplois », juge le député (PS) Jean-Marie Le Guen, président du conseil d’administration de l’AP-HP. Une critique qu’il n’est pas le seul à formuler.
Le signal d’alarme a déjà été partiellement entendu: sur proposition de la CME, un accord a été trouvé avec la direction de l’AP-HP et le ministère de la santé, début décembre, réduisant de 138 à 51, le nombre de postes de médecins supprimés en 2010.
Mais les menaces de démission persistent. « Certes les emplois de médecins sont importants, mais pour les soignants, dont nous manquons déjà, ce sont des milliers d’emplois dont la suppression est envisagée dans les prochaines années », relève le professeur Olivier Lyon-Caen, chef du service de neurologie à la Pitié-Salpêtrière.
La CME proposera un compromis en janvier 2010, qui fera correspondre offre de soins et réduction d’effectifs. « Je n’envisage pas que nous arrivions à 1000 postes », prévient M. Coriat.
MALAISE DES SALARIÉS
Les syndicats des personnels soignants pointent, eux, le malaise des salariés, confrontés en 2009 à des réductions d’effectifs. « Rendre 1000 postes en 2010, c’est impossible, tout le monde a déjà des retards de congés », affirme Marie-Hélène Durieux, déléguée Sud-Santé à l’hôpital Tenon (20e arrondissement de Paris).
« Les gens craquent. Absentéisme, maladies longue durée… Tous les indicateurs sociaux sont au rouge », explique Olivier Cammas, de l’USAP-CGT. Il observe une montée des actions locales pour manque d’effectifs, comme ces derniers jours à Tenon et Ambroise-Paré (Boulogne-Billancourt).
Si l’année 2010 fait peur, les suivantes également. Il est prévu la réduction annuelle de 1000 postes de personnel soignant jusqu’en 2012 et plus. Pour revenir à l’équilibre, l’AP-HP doit dégager, d’ici à 2012, 300 millions d’euros, soit 100 millions par an. 20% pourront venir de recettes supplémentaires, mais 80% passeront par une baisse des dépenses, dans lesquelles les salaires représentent 70%. La direction s’appuiera sur les départs naturels. Tous les ans, le mastodonte AP-HP enregistre 6000 départs, sur un total de 90000 salariés.
SITUATION EXPLOSIVE
Un plan stratégique 2010-2014 est aussi en cours, qui suscite les craintes. Les 37 hôpitaux vont se transformer en onze groupes hospitaliers. Les rapprochements permettront des économies, notamment en supprimant des doublons entre hôpitaux. Mais ils engendreront forcément beaucoup de mutations… et certainement des conflits. « Il va falloir accompagner ces mouvements de personnel. Il y aura une information forte à construire », reconnaît Benoît Leclercq, le directeur général.
Chacun sait que la situation est vite explosive dans le vaisseau amiral des hôpitaux français, qui réalise 4 millions de consultations par an, 1 million d’hospitalisations, et qui accueille, en plus de 75% de Franciliens, de nombreux malades de province et de l’étranger.
Malgré son statut, l’AP-HP ne sera pas épargnée par les restructurations hospitalières: le gouvernement pointe régulièrement les problèmes d’efficience de l’hôpital public, y voyant un levier pour réduire le trou de la « Sécu ».
Le sujet est politiquement sensible. Dans l’entourage de la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, on assure qu’il n’y aura pas de « saupoudrage technocratique » des suppressions de postes. Si restructurer à marche forcée paraît compromis, l’objectif final demeure néanmoins.
Laetitia Clavreul