Article des Echos du 16 février 2010 : Les contraintes budgétaires sèment le trouble à l’hôpital

Sur fond de restructurations, la tension monte d’un cran sur le terrain. Car les économies concernent aussi les effectifs qui pèsent jusqu’à 70 % du budget d’un hôpital.

Douze naissances en cinq heures. En vingt ans de carrière à la maternité de Lagny située à Marne-la-Vallée, Caroline n’avait jamais connu le rush de ce début février. « Nous n’avons que cinq salles d’accouchement, certaines femmes ont dû accoucher dans des chambres ou des salles d’admission. A trois sages-femmes, il a fallu se débrouiller, appeler des médecins, faire en sorte qu’elles n’accouchent pas en même temps », se souvient-elle. Trois sages-femmes de jour, deux de nuit. Cet effectif n’a pas bougé depuis plusieurs années tandis que le nombre de naissances a crû de 100 par an en moyenne. Les locaux sont prévus pour 2.200 accouchements par an. Il y en a eu 2.720 l’an dernier. A bout de nerfs, les 30 sages-femmes de Lagny réclament des postes supplémentaires. En vain.

Alors que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a bouclé, mercredi dernier, le premier volet du plan Hôpital 2012, avec l’attribution d’une enveloppe de 883 millions d’euros pour moderniser certains établissements, nombre d’hôpitaux publics, dont les comptes sont dans le rouge, ont entamé de grandes manoeuvres pour faire des économies. En 2008, le déficit atteignait toujours la coquette somme de 575 millions d’euros pour les hôpitaux publics (contre 760 estimés en 2007). Et en septembre, un rapport de la Cour des comptes a épinglé leur gestion, pointant des écarts de coûts « surprenants » entre les établissements. « Equilibrer le système, c’est le sauver ! », martèle-t-on au ministère.

Partenariats public-privé

Partout, des regroupements d’hôpitaux, la mutualisation de services ou des partenariats public-privé sont envisagés. Partout, les directeurs réfléchissent à faire sortir les patients le week-end ou le soir, pour fermer des services et réaliser des économies de personnel tout en augmentant le taux d’occupation des lits.

Ainsi, à l’hôpital de Provins, le service chirurgie de 50 lits, jadis scindé en 25 lits d’orthopédie et 25 lits de chirurgie viscérale, s’est réorganisé : la moitié des lits sont désormais consacrés aux hospitalisations à la semaine, l’autre, à la prise en charge courte (urgences), ce qui permet de fermer des lits aux heures creuses. Résultat : 104 jours d’hospitalisation en moins et cinq postes supprimés. Mais ce n’est pas tout : un GIE réunit une machine de radiologie et une équipe d’imagerie médicale à l’échelle locale. Quant au personnel sanitaire de l’hôpital, il partagera son temps entre l’hôpital public et la clinique privée voisine de Saint-Brice. Un bâtiment de la clinique se dressera sur son site et le bloc opératoire rénové sera commun. S’y croiseront salariés du privé et fonctionnaires.

Car, à l’heure des restrictions budgétaires, les économies concernent aussi les effectifs, qui pèsent jusqu’à 70 % du budget d’un hôpital. Une contrainte avec laquelle il faut désormais jongler. A la tête des établissements de Saint Omer et de Calais, Philippe Blua a entrepris d’ouvrir de nouveaux services à effectifs constants : « Nous renforçons le nombre de postes dans les nouvelles spécialités : urologie, neurologie, et ophtalmologie à Saint Omer », raconte ce dernier, par ailleurs président du Syndicat national des cadres hospitaliers. Et pour maintenir la qualité de soins : « Il faut renforcer la mobilité des agents, par exemple, entre deux ou trois services de médecine. Appeler des équipes internes en renfort. Orienter les effectifs vers les services au moment du pic d’activité. Avec le personnel, parfois ça tire un peu. »

Des changements qui nécessitent de nouveaux modes de management. « Une infirmière peut être déplacée au pied levé dans un autre service, ce qui est très déstabilisant et peut mettre ses patients en danger, admet Patrick Lorson, le directeur du centre hospitalier de Dreux, qui vient d’équilibrer son budget en 2009. Si on n’aborde pas cette réforme avec une gestion du personnel différente on n’y arrivera pas. » D’où sa volonté d’associer à ses démarches un corps médical, qui n’échappe plus aux objectifs chiffrés. « La loi HPST nous pousse à prendre des décisions conjointes avec eux et les oblige à entendre, à donner leur avis, mais aussi à s’impliquer », poursuit Patrick Lorson.

Des priorités inconciliables

Toutefois, le dialogue est parfois difficile entre deux mondes dont les priorités semblent s’affronter. « Il faut accroître les recettes en augmentant le nombre de séjours, maîtriser les dépenses en réduisant leur durée. On me demandait 100 % de coefficient d’occupation des lits, je ne faisais pas assez de turnover », raconte Jean-Louis Lejonc, ancien responsable d’un pôle médical, dont la gériatrie, au sein du groupement hospitalier Henri-Mondor – Albert-Chenevier de Créteil. De guerre lasse, ce médecin a renoncé à piloter le pôle, en novembre, décrétant « [s]on incapacité à organiser des redéploiements internes de personnel non médical dans le pôle pour maintenir ouverts tous les lits ». Dans un bureau sans âme, Jean-Louis Lejonc se montre amer : « Il est vrai que l’on a beaucoup gaspillé dans les hôpitaux et qu’il fallait faire quelque chose. Mais l’activité a beaucoup progressé en gériatrie l’an dernier avec 32 % de séjours en plus sur les seuls courts séjours. Il faut 28 infirmières pour les 69 lits ouverts. Nous n’en avons plus que 18. J’ai dû fermer des lits, cela m’a été vivement reproché. »

Reproches aussi à Lagny, où, pour augmenter l’efficacité, Thomas Leludec, qui pilote les établissements de Lagny, Meaux et Coulommiers, n’a pas lésiné : transfert de la cardiologie interventionnelle de Meaux et Coulommiers sur Lagny, services de stérilisation déplacés à Meaux pour éviter de construire un bâtiment (1,5 million d’euros économisés), rapatriement des blanchisseries à Meaux. Mais rien pour soulager la maternité ou les urgences. « La prise en charge des patients se dégrade, les urgences deviennent un service d’hospitalisation avec des malades qui traînent sur des lits faute de place, s’insurge Serge Cottin, secrétaire de la section SUD de Lagny. Pourquoi augmenter la capacité de l’hôpital si on ne peut pas mettre en face le personnel nécessaire ? »

Sur le terrain, la tension monte. L’équation n’est pas simple. « Le plus difficile à gérer, c’est cette contradiction entre la demande d’amélioration de la qualité et de la sécurité et la baisse des moyens. A force, ça tourne à la quadrature du cercle », estime Danièle Lacroix, directrice de l’hôpital de Meulan, qui se dit « dans l’absolue nécessité de réduire les effectifs car l’établissement est très déficitaire ». 40 emplois ont été supprimés sur 900.

Levée de boucliers à l’AP-HP

Mais la levée de boucliers est particulièrement vive à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, vouée à voir ses 37 établissements regroupés en 12 groupes hospitaliers, pour créer « une Assistance publique modernisée qui permette à tous les patients d’accéder à la fois à des soins de proximité et à des soins de pointe », selon les propos du directeur général de l’AP-HP, Benoît Leclercq. Quelque 3.000 à 4.000 postes seront supprimés, dont 1.000 dès 2010. Le but : une économie de plus de 300 millions d’ici à 2012. De quoi susciter l’émoi dans cette structure, qui compte 92.000 salariés. une urgence toutes les 29 secondes, 4.686.000 consultations annuelles et 22.474 lits.

La fronde s’organise. A Armand-Trousseau, centre universitaire de l’enfant renommé mais jugé vétuste, les équipes s’insurgent contre le transfert programmé de la pédiatrie lourde vers les hôpitaux Robert-Debré et Necker. Mené par son président, Noël Garabédian, le comité consultatif médical a contre-attaqué, armé de son propre projet de réorganisation. Ce dernier abriterait dans un même bâtiment des activités cohérentes comme les sur-spécialités, la médecine d’urgence et la recherche, et dans un autre, à construire, la chirurgie et les soins intensifs. Une réorganisation qui supprimerait un lit sur deux. Mais se solderait-elle par des économies majeures, tous les emplois étant préservés ? Le médecin reste de marbre : « Notre but est de réduire la souffrance des malades : nous refusons de céder sur les effectifs. »

TATIANA KALOUGUINE, Les Echos