Si de nombreux professionnels cèdent au nom du « réalisme » ou résistent de façon conservatoire, la défense du service public appelle de nouvelles réponses de résistance démocratique. .
La psychiatrie ne peut se réduire à un cadre d’ « accompagnement » : expertise des troubles individuels, gestion des traumatismes psychologiques (plans sociaux, ruptures de liens familiaux, catastrophes naturelles et industrielles, effets du terrorisme…), réponses médicamenteuses et psychologiques dont les évaluations sont basées sur des critères de distribution (files actives, nombre de pôles d’activité, ratios de soignants, protocoles de soin et d’organisation du travail).
Nous mettons en avant les acquis réels des pratiques soignantes relationnelles comme fondement d’un service public de qualité, des budgets adaptés à ces besoins de psychiatrie et la défense du concept généraliste de prévention qui n’est pas réductible à la notion de gestion des risques. Nous mettons en avant la défense et la sécurité des patients et non l’instrumentalisation du psychiatre comme agent de contrôle social et d’ordre public. L’indépendance professionnelle et le travail de réseau avec les autres champs de la société en sont les conditions. Ceci nécessite le refus d’une politique uniquement fondée sur la planification de la réduction des coûts (réduction des lits, durées moyennes de séjour pensées en termes comptables, travail d’équipe limité à l’addition d’une série de compétences ciblées, spécialisation par symptôme, rationalisation du temps de travail, référence aux théories fonctionnalistes du soin, augmentation de la productivité soignante), véritable pensée unique de l’hôpital-entreprise.
Entrer en résistance et construire des contre-pouvoirs à partir des acquis les plus novateurs du secteur : – l’accès aux soins est libre et gratuit 24h sur 24 dans des structures à proximité des lieux de vie quotidiens, en particulier pour les populations précaires qui se multiplient sous l’effet des politiques néolibérales. – L’utilisation de la contrainte ne peut être que l’échec d’une négociation à engager des soins et non la seule réponse symptomatique souvent appelée aujourd’hui urgence psychiatrique. L’obligation de soin dans ce contexte ne peut être amalgamée à une quelconque dangerosité sociale. Toute nouvelle loi nécessite donc la reconnaissance de la citoyenneté du fou et non sa criminalisation, voire le retour d’une forme d’eugénisme. – Le travail de soin est basé sur la réciprocité dans l’échange avec le sujet en souffrance et son entourage, à partir des situations de crise. Les dimensions du social et du culturel, qui fondent tous les liens sociaux, sont les ressources fondamentales qui permettent le repérage d’une psychothérapie possible. Le réseau de soin n’est donc pas une filière standard prévue d’avance, mais une construction avec le patient et les ressources humaines qui l’entourent. La continuité, le temps à prendre, le rôle des tiers en sont les conditions thérapeutiques. – La psychiatrie est l’affaire de la société et non des seuls professionnels. Sa place dans la politique sanitaire et sociale est donc essentielle. Tous les champs du social, de l’éducation, du monde du travail, de la justice sont concernés. Les associations de patients et des familles sont étroitement associés à la politique de secteur par la médiation de leurs associations, dont la reconnaissance et le financement sont à obtenir ou à confirmer dans le temps. – La psychiatrie est avant tout un service public, en opposition avec les tentatives des gouvernements européens actuels d’en faire un marché privé fondé sur « un niveau de soins selon ses moyens ». Ces points sont autant d’éléments de transition qui participent d’une autre psychiatrie possible qui ne pourra se développer si des financements adéquats et spécifiques selon des critères sociodémographiques ne sont pas au rendez-vous. Ce sont les points clé du paradigme économique actuel qui pèse sur les pratiques et leur avenir et sur les acquis de la protection sociale fondés sur la solidarité et non sur l’assurantiel, et du contexte sécuritaire qui réduit le métier de soignant à être un agent de l’ordre public, un des visages d’une politique de la peur.