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article de la rubrique Big Brother > psychiatrie
date de publication : mercredi 24 mars 2010
A l’affût du “fait divers” le plus insupportable, les responsables politiques nous martèlent le discours sécuritaire à longueur d’onde. Il s’agit de nous convaincre que le “malade mental est dangereux” et qu’il importe avant tout d’en protéger la société.
Une réforme de la psychiatrie publique sera présentée dans les prochaines semaines en Conseil des ministres [1]. Elle devrait entériner la plupart des mesures annoncées par Nicolas Sarkozy lors de son intervention à l’hôpital d’Antony, le 2 décembre 2008.
Dans un entretien récent [2], Roselyne Bachelot précise : « Divers événements dramatiques survenus ces derniers temps attestent la nécessité de mieux encadrer les sorties des établissements de santé et d’améliorer la veille concernant certains patients susceptibles de présenter un danger pour autrui ou pour eux-mêmes ». La circulaire adressée aux préfets, le 11 janvier 2010, par les ministres de l’Intérieur et de la Santé [3], montre la voie : concernant l’octroi de sorties d’essai pour des hospitalisés d’office en psychiatrie, la décision est prise par le préfet, « sur proposition écrite et motivée d’un psychiatre de l’établissement », en fonction de la dangerosité supposée des individus.
La sécurité publique prime sur l’avis médical. Ce qui incite le sociologue Laurent Mucchielli à demander si les psychiatres sont « placés sous surveillance des préfets » [4].
Ci-dessous, après quelques témoignages, un article fait le point sur les projets du gouvernement.
Enquête au coeur de l’univers psychiatrique
par Luc Leroux, La Provence, 17 mars 2010
La schizophrénie frappe 1% de la population. La Semaine d’information sur la santé mentale vise à combattre « la double peine » qui frappe les malades mentaux : une pathologie avec laquelle il faut vivre et le rejet par la société.
Mourir frappé par la foudre et mourir attaqué par un inconnu souffrant de schizophrénie présentent, grosso modo, la même probabilité : un risque sur dix millions ! La Semaine d’information en santé mentale tourne, cette année, autour du regard que la société porte sur ses « fous » : « Accepter les différences, ça vaut aussi pour les troubles psychiques ».
Patients, parents, médecins vont, partout en France – à Marseille, un colloque « Folies et Médias » se poursuit aujourd’hui -, participer à une campagne de « déstigmatisation » de la maladie mentale. De récents faits divers retentissants ont fait du schizophrène meurtrier l’archétype du danger qui menacerait notre société. « Les questions de la folie et de la maladie mentale ne sont plus traitées que comme des faits divers », regrettent les médecins.
Les psychotiques que nous avons rencontrés, en milieu fermé au pavillon 10 de l’hôpital Édouard-Toulouse à Marseille, ou bien ceux vivant cahin-caha dans la ville, témoignent tous de cette « double peine » à laquelle ils sont assujettis : la maladie et le rejet. Ils assurent en souffrir. « Je ne suis pas né avec la maladie », se défend ainsi David, 32 ans, qui souffre d’une pathologie relevant « du domaine de la schizophrénie ». Et la seule violence que ce jeune Ch’ti venu à Marseille pour se noyer dans la foule d’une grande ville exerce, c’est contre lui-même. « Je me mutilais le visage, les bras, je me suis fais beaucoup de mal. Maintenant, j’ai un bon traitement. »
En France et à l’étranger,des enquêtes montrent que les malades sont plus souvent victimes qu’auteurs de crimes. Un patient souffrant de schizophrénie a ainsi trois fois plus de risque d’être victime d’une agression violente qu’un individu appartenant à la population générale. Et parmi les dix mille suicidés recensés chaque année en France, 90% présentaient des troubles mentaux. Pour les malades, le risque de suicide est douze fois plus élevé.
« C’est le dernier tabou à lever dans notre société », considère le Dr Dolores Lina Torres, psychiatre, chef de secteur au centre hospitalier Édouard-Toulouse. Son service prend en charge plus de 1200 patients dont vingt-six à l’hôpital. Avec une perspective : offrir au patient le confort maximal pour qu’il puisse vivre avec sa maladie, l’aider à conserver son travail lorsque c’est possible. La schizophrénie touche 1% de la population et frappe aveuglément toutes les couches de la société.
Le plus dur est d’accepter la maladie mentale, surtout à vingt ans, cette période de la vie ouverte sur l’avenir d’où la maladie semble exclue. Comment expliquer les angoisses ravageuses et les souffrances majeures que vivent les patients atteints de formes sévères ? Il faut, selon les spécialistes, s’imaginer confronté en permanence à une situation de risque de mort imminente.
Paroles de malades : «On souffre, il ne faut pas que les gens aient peur»
Assis au soleil à fumer une cigarette sur la terrasse du pavillon 10, ou dans les canapés de la salle télé, ils parlent de leur maladie.
Antoine, 53 ans
« Je suis paranoïaque, j’ai des pathologies lourdes à cause d’une enfance malheureuse. Mon père, policier, était alcoolique, ma mère me tapait dessus. Il n’y a pas de secret. Mais il n’y a pas de honte à être malade mental, c’est la nature qui est responsable. On vit dans un monde à part, fait de chimères qu’on a créées. Les malades souffrent, ils ont des angoisses, des idées fixes. Mais il ne faut pas que les gens aient peur, tous ne sont pas agressifs et l’agressivité n’est pas faite exprès. Ici, j’ai mes compagnons, il y a beaucoup de solidarité, d’affection. Monsieur le journaliste, il faut que les lecteurs soient au courant car c’est un sujet tabou. »
Éric, 36 ans
« Moi, je suis schizophrène parano. Je suis allé à l’hôpital la première fois à 19 ans, j’avais peur de mourir. Quand je suis tombé malade, je ne comprenais plus rien, je me sentais quelqu’un d’autre, de plus fort… C’était à cause du shit et de l’alcool. Ça me faisait dire : « Moi, je suis moi, arrêtez de dire que je suis quelqu’un d’autre. » J’ai voulu planter mon frère avec un couteau mais je me suis dit : « Si je le fais, ce serait con et en plus, j’aurais plus de frère. » En arrivant ici, je voulais tout casser, j’ai fait des conneries que je voulais pas. J’ai démonté la porte du pavillon 11 mais quand on se sent possédé par une force qui veut qu’on boive du café, on arrive à le faire. Ici, au début, on s’ennuie, on a envie de partir. Après, on ne voit plus le temps passer car on est habitué à attendre. On prend patience et on fume car on n’a que ça à faire. »
Frédéric, 35 ans
« Il y a quatre mois, j’ai demandé à revenir, j’étais pas bien chez moi. Je préférais l’hôpital, sinon c’était l’Unité pour malades difficiles où, là, c’est très fermé, quelque chose d’assez costaud. La maladie, ça crée un vide, beaucoup de colère. Quand ça vient, ça me contrarie, mais pour passer à l’acte, faut vraiment qu’on ait été à l’extrême. En tout, j’ai passé six ans à l’hôpital, avec des chutes et des rechutes. Mon problème, c’est l’impulsivité, j’évite les affrontements. Quand vous avez une étiquette psy, vous n’êtes plus un citoyen comme les autres, mais perçu comme quelqu’un qui a apporté du danger à autrui. Quand on est passé par la psychiatrie, on n’a plus le droit à l’erreur. »
Encore une loi sécuritaire pour la psychiatrie
par Martin Terrier, Bastamag [5], 11 mars 2010
Le gouvernement va présenter très prochainement une large réforme de la psychiatrie publique. Une circulaire accroit notamment le pouvoir du préfet sur des décisions d’ordre médical, au détriment du personnel de santé. Un pas de plus dans une logique sécuritaire, au mépris du soin.
Une réforme de la psychiatrie publique sera présentée dans les prochaines semaines en Conseil des ministres [6]. Elle devrait entériner la plupart des mesures énoncées par le Président de la République lors de son intervention à l’hôpital d’Antony, le 2 décembre 2008. Un discours prononcé après un fait divers tragique : un patient schizophrène, hospitalisé d’office dans l’établissement de Saint-Egrève, près de Grenoble, s’enfuit et agresse mortellement un passant. Les mesures proposées sont essentiellement coercitives : ouverture de quatre Unités pour malades difficiles (UMD) supplémentaires, renforcement des conditions de sécurité dans les établissements existants, création de centaines de lits sécurisés et durcissement des conditions d’application des sorties d’essai. Figure également un temps initial d’hospitalisation limité à 72 heures – telle une garde à vue d’évaluation sanitaire – ou encore la procédure pour le moins improbable de « soins ambulatoires sans consentement ».
Quand le préfet décide des sorties de l’hôpital
Cette réforme à venir est d’ores et déjà introduite par des décisions et textes annexes. Elle est une refonte de la loi relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation [7]. Les budgets publics envisagés en décembre 2008 aux fins de la construction de nouvelles UMD ont été crédités dès début 2009. Quant aux législations préalables, la circulaire du Code de la santé publique parue le 11 janvier dernier donne d’emblée le ton.
De quoi s’agit-il ? Le Code la santé publique (article L3211-11) définit les conditions des sorties d’essai dont peuvent bénéficier les patients hospitalisés sous contrainte (hospitalisation d’office ou hospitalisation à la demande d’un tiers). Cette sortie d’essai constitue un outil médico-social majeur pour les équipes soignantes : c’est le moyen le plus pertinent pour évaluer progressivement l’amélioration de la santé du patient et ses potentialités de retour graduel à la vie sociale. Mais les conditions d’application de ces sorties d’essai viennent donc d’être largement restreintes dans une circulaire signée conjointement par Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, et Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. Une décision qui subordonne comme jamais la santé publique à une dynamique sécuritaire.
Le psychiatre qui fait la demande d’une sortie d’essai est appelé à argumenter sa requête avec force détails. Et la décision restera du seul ressort du Préfet qui dispose au minimum de 72 heures pour rendre avis. Il est invité dans ledit texte à « apprécier les éventuelles conséquences en termes d’ordre et de sécurité publics » et à « évaluer au regard d’éléments précis et objectifs les conséquences éventuelles de la mesure ». Autant dire une forte responsabilisation, sinon une pression politico-législative, qui risque fort de dissuader nombre de préfets d’accorder la sortie sollicitée. Ce qui entraînera un cortège d’effets désastreux : engorgement de services déjà saturés et réduction de l’offre de soins, rupture de contrat thérapeutique, résignation des équipes et des patients devant des projets avortés…
Pas de recours possible pour le personne médical
On comprend mieux encore le caractère régressif et liberticide de la même circulaire à la lecture de cette précision : « Au regard de la jurisprudence administrative actuelle la sortie d’essai constitue une mesure relevant du traitement hospitalisé. Son acceptation ou son refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Un recours dirigé contre elle est donc irrecevable ». En clair, l’équipe médicale ne pourra contester un éventuel refus du préfet d’autoriser une sortie d’essai, encore moins le patient (qui garde cependant le droit de faire appel à son hospitalisation). Pour le psychiatre Pierre-Yves Dennielou, il y a donc bien un « excès de pouvoir potentiel » contre des citoyens qui seront demain « retenus par ces décisions sans recours » [8]. L’administration préfectorale devient donc partiellement juge du type de traitement dont peut bénéficier un patient. Une pente excessivement dangereuse.
Une même et vive inquiétude est ressentie par la grande majorité des professionnels. Le Collectif psychiatrie via le Groupe des 39, initiateur l’an dernier de l’appel contre la « nuit sécuritaire », tente de fédérer ces réactions. « Par la rédaction de cette circulaire, l’Etat stigmatise les équipes de soin, jugées laxistes ou incompétentes, s’autorise à restreindre les droits des patients et poursuit le chemin de leur ségrégation », dénonce un communiqué de « L’appel des 39 ». 30.000 signatures ont été rassemblées jusqu’ici, mais sans qu’elles puissent infléchir une politique sécuritaire comme jamais la psychiatrie publique n’en a connue. Quelle régression en effet que de devoir rappeler, comme ne cesse de le faire aujourd’hui Guy Baillon, psychiatre et figure tutélaire du secteur psychiatrique, que « ni les lois, ni les murs ne soignent la folie, ce sont les hommes » [9] : ce qui était devenu une évidence pour tous depuis des décennies ne l’est plus.
Notes
[1] Voir la présentation de Guy Baillon : http://www.mediapart.fr/club/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/040310/un-pays-se-juge-la-place-qu-il-promet-de-do
[2] Soins Psychiatrie, Vol 31, N° 267 – mars-avril 2010 : http://www.em-consulte.com/article/246807
[3] La circulaire du 11 janvier_2010 :
• téléchargement : http://www.cgtlaborit.fr/UserFiles/File/Circulaire_11_janvier_2010_HO_sorties.pdf,
• présentation par Pierre-Yves Dennielou, le 2 février 2010 : http://www.mediapart.fr/club/blog/pierre-yves-dennielou/020210/une-psychiatrie-sans-democratie,
• communiqué du 3 février 2010 de l’Union syndicale de la psychiatrie : « Paranoïa sécuritaire ».
[4] Lire sur le site de Laurent Mucchielli : Les psychiatres placés sous surveillance des préfets ?.
[5] Article repris sous licence Creative Commons.
[6] Dans un volet spécifique hors la loi cadre « Hôpital, patients, santé et territoires ».
[7] Loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006076063&dateTexte=20100323
[8] Mediapart, le 2 février 2010 : http://www.mediapart.fr/club/blog/pierre-yves-dennielou/020210/une-psychiatrie-sans-democratie
[9] Mediapart, 19 février 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/050210/une-psychiatrie-sans-liberte