L’adoption par le Congrès américain, le 21 mars 2010, d’une loi sur la santé a été largement présentée comme un « vote historique » vers la mise en place d’une couverture universelle de la population des Etats-Unis en matière de dépenses de santé. En 2008, 46,3 millions de personnes vivant aux Etats-Unis ne bénéficiaient d’aucune assurance santé. L’explosion du chômage n’a pu qu’aggraver la situation : la majorité des personnes assurées le sont par l’intermédiaire de leur employeur et perdent cette couverture essentielle en même temps que leur emploi.
Nous publions ci-dessous la prise de position diffusée le 22 mars 2010 par les responsables de l’association Physicians for a National Health Program (Médecins pour un programme national de santé).
Cette association regroupe 17000 médecins aux Etats-Unis. Elle lutte depuis des années pour la mise en place d’une assurance santé publique, nationale, garantissant à toute la population une couverture complète de ses dépenses de santé. Sa prise de position invite à un peu plus de réalisme dans l’appréciation de la portée de ce « vote historique ». (Réd.)
Nous souhaiterions pouvoir nous joindre aux célébrations marquant l’adoption la nuit dernière par la Chambre des représentants de la loi sur la santé. Mais, en toute conscience, nous ne le pouvons pas. Nous ne pouvons pas nous contenter de voir que l’on propose des aspirines pour soigner un cancer.
Cette nouvelle législation ne va pas éliminer les racines du problème : une industrie de l’assurance privée mue par la recherche du profit. Elle va au contraire enrichir encore davantage ces compagnies d’assurance et renforcer leur pouvoir. Cette loi va contraindre des millions d’Américains à acheter aux assureurs privés de mauvais produits [assurantiels] et elle conduira au versement de vastes montants des deniers publics à ces compagnies.
Le battage médiatique qui a entouré cette nouvelle loi sur la santé est démenti par les faits :
•Environ 23 millions de personnes resteront sans assurance ces neuf prochaines années. Cela aura pour conséquences 23’000 décès par an qui auraient pu être évités [avec une couverture universelle] et une somme incalculable de souffrances.
•Des millions de membres de la classe moyenne seront mis sous pression pour acheter des polices d’assurance santé commerciales. Celles-ci leur coûteront jusqu’à 9,5% de leur revenu, mais ne couvriront en moyenne que 70% de leurs dépenses de santé, les laissant exposés au risque d’être ruinés s’ils sont sérieusement malades. Beaucoup trouveront que de telles polices d’assurances sont trop chères pour qu’ils puissent se les permettre ou trop coûteuses à employer, compte tenu du niveau élevé des franchises et des participations qui leur seront imposées.
•Les compagnies d’assurances privées encaisseront au moins 447 milliards de dollars des contribuables destinés à subventionner l’achat de leurs polices d’assurance. Cet argent renforcera leur pouvoir financier et politique et, ainsi, leur capacité de bloquer toute nouvelle réforme.
•La loi réduira de 40 milliards de dollars l’aide apportée par Medicare [1] aux hôpitaux assurant des services de base accessibles aux non-assurés. Cela menacera les soins dispensés aux millions de personnes restés sans assurance.
•Les personnes couvertes par le biais de leur employeur resteront prisonnières des réseaux de prestataires de soins limités auxquels leur assurance donne droit ; elles feront face à des coûts croissant et à une érosion continue des prestations assurées. Beaucoup, voire la plupart ,devront progressivement payer des impôts sur les prestations dont ils bénéficieront à mesure que le coût des assurances augmentera [2].
•Les coûts de la santé continueront à prendre l’ascenseur, comme l’expérience faite dans l’Etat du Massachusetts [sur lequel la nouvelle loi est basée] l’a largement démontré [3].
•La régulation des assurances tant vantée – à savoir l’interdiction faite aux assureurs de refuser la couverture à quelqu’un sur la base de son état de santé – est criblée de failles, qui sont la conséquence du rôle central que les assureurs ont joué dans la formulation de la loi. Il sera ainsi possible d’imposer aux personnes plus âgées des cotisations jusqu’à trois fois plus élevées que celles demandées aux plus jeunes. De même, les assurances couvrant majoritairement des femmes salariées pourront imposer jusqu’en 2017 des cotisations plus élevées et définies en fonction du sexe.
•Les droits des femmes en matière de reproduction sont encore davantage érodés, suite à l’interdiction faite à ce que des prestations d’assurance couvrent des frais de santé liés à des interruptions volontaires de grossesse.
Il n’était pas inévitable qu’il en soit ainsi. Les mesures positives contenues dans cette loi, comme le renforcement du financement des centres de santé communautaires, auraient pu être mises en œuvre en tant que telles.
De même, l’extension de la couverture garantie par Medicaid [4] – un programme sous-financé, qui assure aux pauvres des soins en dessous des standard – aurait pu être décidée séparément, accompagnée de mesures fédérales pour améliorer la qualité des prestations de ce programme.
Mais, au contraire, le Congrès et l’administration Obama ont chargé les Américains d’un paquet coûteux, comprenant : l’obligation coûteuse de s’assurer individuellement, de nouveaux impôts sur les plans d’assurance dont bénéficient les salariés, un nombre incalculable d’arrangements très avantageux pour les assurances privées et les grandes pharmas et, enfin, le maintien d’un système fragmenté, ne fonctionnant pas, insupportable sur la durée et qui pèse aujourd’hui si lourd sur la santé et sur l’économie.
L’adoption de cette loi correspond à des considérations politiques et pas à celles d’une solide politique de la santé. En tant que médecins, nous ne pouvons pas accepter cette inversion des priorités. Nous recherchons des remèdes ayant fait leurs preuves et qui aident effectivement les patients, pas des placebos.
Un remède [aux problèmes actuels] est bien connu. Tôt ou tard, notre nation devra adopter un système d’assurance santé national et unique, un Medicare amélioré et couvrant toute la population. Seule une assurance unique peut garantir une couverture universelle, complète et accessible à toutes et à tous.
En remplaçant les assureurs privés par un système de financement public et rationalisé, notre nation pourrait épargner chaque années 400 milliards de dollars de coûts administratifs, qui sont autant de gaspillage inutile. Cela suffirait pour offrir une couverture santé à toutes les personnes qui ne sont pas assurées aujourd’hui et pour améliorer la couverture de celles et ceux qui ont déjà une assurance, sans avoir à augmenter d’un seul centime la dépense globale des Etats-Unis pour la santé.
Enfin, seul un système avec un seul payeur permet de disposer d’outils efficaces pour contrôler les coûts : achats en gros, honoraires négociés, budgets globaux pour les hôpitaux, planification des investissements.
Les sondages montrent que deux tiers du public soutiennent une telle approche. Un sondage récent révèle que 59% des médecins américains sont favorables à une action publique pour mettre en place une assurance santé nationale. La seule chose qui manque pour le réaliser, c’est la volonté politique.
Les principales mesures de la nouvelle loi n’entreront en vigueur qu’en 2014. On pourrait conseiller d’attendre pour voir comment ces réformes se développeront. Mais nous ne pouvons pas attendre, ni nos patients. Les enjeux sont trop élevés.
Nous nous engageons à poursuivre notre combat pour le seul remède équitable, financièrement responsable et humain, à notre gabegie en matière de santé : une assurance santé unique et nationale, une version amélioré et valable pour toutes et tous de Medicare. (Traduction A l’Encontre)
1. Medicare est un système national d’assurance maladie, mis en place en 1965 (sous l’administration ddu démocrate Lyndon B. Johnson), garantissant une couverture santé de base à toutes les personnes de plus de 65 ans. Il est principalement financé par une cotisation salariale, prélevée pour moitié sur le salaire versé et payée pour l’autre moitié directement par l’employeur.
2. La plupart des personnes assurées pour leur santé aux Etats-Unis le sont par le biais de leur employeur. Les systèmes de managed care, en particulier les réseaux de soins HMO (Health Maintenance Organization), sont généralisés dans ce cadre : l’assurance ne donne alors accès aux prestations que d’un nombre (très) limité de médecins ou d’hôpitaux (il n’y pas de libre choix du médecin). Par ailleurs, jusqu’à maintenant, les couvertures santé offertes par les entreprises étaient défiscalisées. La loi adoptée prévoit de les imposer à l’avenir à partir d’un certain montant.
3. L’Etat du Massassuchetts a introduit en 2006 une loi rendant obligatoire la conclusion d’une assurance santé. Cette obligation se retrouve au cœur de la loi adoptée le 22 mars 2010.
4. Medicaid, également mis en place en 1965, assure une couverture santé minimale aux personnes dont le revenu ne dépasse pas un certain seuil (en général très bas). Medicaid est géré par les Etats, contrairement à Medicare, qui est fédéral. Les conditions d’accès et le type de couverture varient fortement d’un Etat à l’autre des Etats-Unis.