Le premier ministre, François Fillon, a annoncé, jeudi 6 mai, un gel des dépenses publiquespour les trois prochaines années. Il avait annoncé la veille cinq milliards d’euros d’économies sur les niches fiscales. Ces mesures de rigueur visent à réduire le déficit des comptes publics, dans le cadre du programme de stabilité présenté par la France à l’Union européenne – qui prévoit un déficit public inférieur à 3 % du PIB en 2013. Pour Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français de la conjoncture économique, ces annonces remettent en cause l’organisation de la fonction publique, tout en posant des questions sur les priorités du gouvernement et l’organisation de l’Union européenne.
Que faut-il attendre de la cure d’austérité annoncée ?
Il faut bien considérer quelles seront les conséquences de l’utilisation de certains leviers pour arriver aux résultats voulus. Le gel des dépenses de l’Etat, qui ne seront plus indexées à l’inflation, devrait selon moi pouvoir faire économiser entre 4 et 5 milliards d’euros par an. Ce n’est pas négligeable. Mais Matignon a aussi annoncé une diminution de 10 % des dépenses de fonctionnement de l’Etat sur trois ans. Il faudra pour cela soit accentuer le non-remplacement des fonctionnaires, soit revoir à la baisse leurs grilles des salaires. A mon avis, ce sera un mélange des deux.
Cela pose des questions de fond sur l’organisation, le fonctionnement et les objectifs des principales branches de la fonction publique : à savoir l’éducation nationale, l’intérieur et la défense, qui concentrent 80% des fonctionnaires. Et au-delà, il y aura forcément des répercussions sur la croissance du pays, avec plus de chômage et un pouvoir d’achat à la baisse pour une partie de la population.
Un réexamen prochain des dépenses d’intervention a également été évoqué…
Dans le contexte de crise, couper dans ce type de dépenses s’annonce très complexe. Les dépenses d’intervention de l’Etat (150 milliards d’euros d’engagements autorisés en 2009), ce sont principalement des aides à l’emploi, des aides sociales (allocations et subventions), des aides économiques… Qui sont les seuls amortisseurs publics face à la situation actuelle, à savoir un marché de l’emploi sclérosé et des difficultés accrues chez les populations précaires. Diminuer ses aides se traduira forcément par plus de pauvreté.
Tout le problème vient, selon moi, d’un mauvais diagnostique de sortie de crise de la part du gouvernement. On est encore en plein dedans, tant au niveau économique que social ! L’Etat est en train de s’attaquer à de gros morceaux (retraites, protection sociale…) pour réduire ses déficits. Mais ces réformes ne pourront passer que si l’effort national est supportable pour tous, à l’heure où beaucoup de Français sont loin de connaître la reprise qu’on entend partout. Il est obligatoire d’actionner d’autre leviers que la réduction des dépenses de fonctionnement et d’intervention, dans un soucis de justice : je pense notamment à l’augmentation générale des impôts.
Pensez-vous que l’objectif de réduction du déficit français à 3 % du PIB en 2013 est tenable dans une telle situation ?
Honnêtement, non, puisque le programme de stabilité présenté à l’Union européenne se fonde sur une croissance à 2,5 % par an : on en est loin. Mais le problème concerne surtout le sens de cette politique européenne de réduction globale des déficits publics. Le risque est bien de voir, en France et en Europe, s’installer la récession, si cet objectif prends le pas sur les politiques de croissance et d’emploi. C’est la voie sur laquelle semble s’engager la France, avec une rigueur qui s’annonce inédite depuis 1949. Notre économie est pourtant solide, et l’urgence est moindre que pour d’autres pays de la zone euro. Mais l’organisation institutionnelle de l’Union européenne force chaque membre à jouer le même jeu que son voisin en dépit de ses spécificités, sous peine de clash et de fissures dans la sacro-sainte unanimité. Les marchés l’ont bien compris et spéculent sur les comportements des plus faibles à cause, entre autres, de ce système.
propos recueillis par Michaël Szadkowski