Article de L’humanité du 1er juin 2010 : Eloge d’une éthique hospitalière de la folie

TRIBUNES & IDÉES

par FRANCK CHAUMON PSYCHANALYSTE

Chef de service psychiatrique et psychanalyste, Guy Dana combat au quotidien contre l’isolement sécuritaire et plaide pour une approche solidaire de la souffrance psychique.

Quelle politique pour la folie ? de Guy Dana. Éditions Stock, 290 pages, 20 euros.

Le discours dominant sur la folie est une caricature de la raison néolibérale. Urgence, risque zéro et rentabilité sont les maîtres mots pour faire taire la folie ou la laisser errer sur les trottoirs de nos villes. Nul doute qu’il faille résister, et l’auteur lui-même s’y emploie, qui est signataire de l’Appel des 39. Mais cela ne suffit pas, il faut rendre compte de la complexité vivante des pratiques qui continuent, malgré tout, d’affronter la question.

L’immense mérite du livre de Guy Dana tient précisément au fait qu’il ne cède en rien sur l’exigence de la pensée pour soutenir l’enjeu d’une hospitalité pour la folie. L’idée que la folie a nécessairement affaire à la politique est ici soutenue au nom d’une pratique psychiatrique référée à la psychanalyse. Il convient d’en saluer l’événement, car il est rarissime que la réponse psychiatrique comme telle soit articulée et pensée du point de vue de la psychanalyse. C’est même à ma connaissance le premier livre qui prétend donner à la pratique de secteur sa dignité de dispositif structural de réponse à la psychose.

Dans une première partie, l’auteur, dans un style très personnel, donne à entendre quelque chose de l’expérience de la psychanalyse et rend sensible à une esthétique de la parole, du silence, de l’espace entre les mots qui constitue l’expérience même de l’analysant. Il l’oppose au discours contemporain de la langue normée, des paroles imposées et du calcul.

La seconde partie de l’ouvrage aborde frontalement la question d’une politique de la folie, c’est-à-dire d’une organisation de l’espace et du temps dans la cité qui puisse faire trame d’une véritable thérapeutique des psychoses. Il s’agit de savoir en quoi les dispositifs du «  secteur  » peuvent opérer comme une architecture trouée, liant des espaces hétérogènes, mettant au travail une pluralité des offres de subjectivation. De l’hôpital au Cattp, du CMP à l’accueil hôtelier les lieux, traversés selon une certaine temporalité, structurent la grammaire d’un parcours, toujours singulier. Une méthode et une éthique s’en déduisent  : c’est la singularité d’un parcours qui est recherchée. Le temps n’est pas celui des protocoles et de la rentabilité immédiate, mais de trajectoires de vie, de créations subjectives.

Il faut donc du temps, de la pluralité (soit de la politique), une ouverture à l’événement, donc au risque. Il est heureux qu’un tel livre paraisse aujourd’hui, dans cette période noire où l’on voit la France se couvrir de cellules d’isolement et de camisoles de force  ! Guy Dana montre que l’éthique de la psychanalyse objecte au discours libéral, et permet de soutenir l’hypothèse d’une hospitalité pour la folie qui affine à l’utopie démocratique, contre toutes les langues de bois.

(*) Retrouvez une version enrichie de ce texte sur www.humanite.fr