LEMONDE.FR | 11.01.11 | 15h27 • Mis à jour le 11.01.11 | 16h16
L’une des conséquence du projet de loi du député UMP Christian Estrosi est la fin de l’exception de minorité. AFP/ERIC PIERMONT
Abaissement de la majorité pénale à 16 ans, fin de l’excuse de minorité, possibilité pour les parties civiles de faire appel d’une libération conditionnelle et d’avoir accès au dossier du juge des libertés et de la détention… Telles sont les mesures que voudraient mettre en œuvre quelques députés UMP dans un nouveau train de lois sécuritaires.
Alors que le gouvernement semblait lever le pied sur les questions de délinquance depuis l’offensive de l’été contre les Roms, Christian Estrosi et le député du Nord Bernard Gérard s’apprêtent à déposer deux projets de loi, que Le Monde.fr a pu se procurer. L’un vise essentiellement la délinquance des mineurs (.pdf), l’autre se concentre sur la question de la récidive (.pdf). Selon des sources parlementaires, tous deux ont été directement élaborés par les services du ministère de l’intérieur.
Il faut maintenant que Christian Estrosi collecte 58 signatures d’élus pour inscrire ces lois à l’ordre du jour. Ce qui ne semble pas évident, tant les propositions sont caricaturales et provoquent le scepticisme, y compris parmi les députés de la majorité.
FIN DE L’EXCUSE DE MINORITÉ ?
Six lois concernant les mineurs ont été adoptées depuis 2002 : les lois Perben I et II, en 2004, qui ont étendu les possibilités de détention et de garde à vue à partir de l’âge de 13 ans, la loi de 2007 réformant la récidive, une autre sur la prévention de la délinquance réformant l’ordonnance de 1945 la même année, sans oublier la loi de septembre 2010 contre l’absentéisme scolaire, ou encore la loi Loppsi II toujours en cours d’examen.
Ce qui n’empêche pas le maire de Nice, dans son exposé des motifs de la loi, d’évoquer longuement une explosion de la délinquance des mineurs. Pourtant, la proportion des mineurs dans les faits de délinquance est stable : c’est la délinquance en général qui augmente.
Pour cette septième loi en neuf ans, il s’agit de franchir une étape nouvelle en mettant purement et simplement fin à l’exception de minorité, qui est la règle depuis 1906. Allant plus loin que le rapport Varinard de 2008, le projet de loi de Christian Estrosi met fin à cette approche, selon laquelle les mineurs sont jugés devant une juridiction à part, et pénalisés spécifiquement. « C’est complètement fou, s’étrangle Odile Barral, secrétaire du Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et ancienne juge des enfants. Ce serait la fin de la spécialisation de la justice des mineurs, ce qui est sans doute inconstitutionnel et contraire à plusieurs traités internationaux sur les droits de l’enfant. »
Pour Christian Estrosi, cette loi est surtout « en phase avec la réalité de notre temps ». Si elle était votée, elle rendrait automatique, sauf si le juge pour enfant le décide, le renvoi des mineurs de plus de 16 ans devant une juridiction pour adultes. Il serait également mis fin à « l’excuse de minorité » qui faisait que les mineurs n’effectuaient que la moitié des peines. « C’est non seulement inacceptable, mais totalement aberrant sur un plan pratique. Les tribunaux correctionnels ne pourraient pas absorber ce surplus », s’indigne Odile Barral.
« ON RECRÉE DES CHOSES QUI EXISTENT DÉJÀ »
Autre proposition contenue dans le texte de Christian Estrosi : mettre en place une série de « sanctions éducatives », qui pourraient être prononcées en plus d’une peine envers un mineur. Le projet de loi fournit une liste de dix-sept de ces mesures, qui vont du placement d’office en institution, internat fermé ou en « établissement médical », à des travaux d’intérêt général, en passant par la confiscation d’objet ayant servi à commettre l’infraction, comme un scooter par exemple.
« On essaye de recréer des choses qui existent déjà, note Odile Barral. On peut déjà placer des mineurs en institution et leur infliger une mesure éducative, ou encore confisquer l’objet du délit. On n’arrête pas d’inventer de nouveaux ‘machins’ sans se préoccuper des moyens ou de l’existant. »
Le second projet, porté par le député Bernard Gérard, concerne la récidive. Là encore, la question a donné lieu à de nombreux textes, notamment la loi sur les peines plancher de 2007, ou celle sur la rétention de sûreté en 2008. La proposition touche cette fois aux réductions automatiques de peines accordées à certains détenus, qui pourraient être supprimées en cas de mauvaise conduite en prison. La notion de « rétention de sûreté », introduite en 2008 et qui permet de maintenir enfermé un détenu après sa peine, s’il est considéré comme dangereux et susceptible de récidive, serait également renforcée.
« ON RISQUE D’EN ÊTRE AU RÉTABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT »
Surtout, cette proposition de loi cible le juge d’application des peines, responsable des libérations anticipées. « Il arrive que des décisions prises par le juge d’application des peines conduisent à une incompréhension voire à la révolte de nos concitoyens », assure le texte, qui propose que les parties civiles puissent avoir accès au dossier de libération anticipée d’un condamné. Elles pourraient de ce fait interjeter appel d’une libération anticipée.
Une initiative qui choque, une fois encore, les syndicats de magistrats. « On mélange les rôles. Les parties civiles peuvent obtenir réparation en justice, mais les victimes n’ont pas à décider de la peine infligée ni des conditions de libération, ce serait une dérive considérable. Imaginez les risques d’instrumentalisation ! »,dénonce la secrétaire du Syndicat de la magistrature.
Ces propositions de loi peuvent-elles être votées ? Entre membres de la « droite libre », le groupe le plus à droite du parti majoritaire, et ceux qu’on surnomme les « pizzaiolos », députés du Sud-Est proches de Christian Estrosi, ce dernier peut compter sur plus de trente signatures. Il lui faudra convaincre vingt-huit parlementaires supplémentaires pour inscrire la loi à l’ordre du jour. Plusieurs auraient déjà signé.
Du côté du Parti socialiste, on est sceptique. « Tout cela n’a aucun intérêt et n’est réclamé par personne. L’Assemblée meurt de ces initiatives stupides », s’indigne Jean-Michel Urvoas, député du Finistère et spécialiste des questions de sécurité. »Je ne comprends même pas qu’Estrosi arrive à vendre ce genre d’idées. C’est ‘plus à droite que moi, tu meurs’. A ce rythme, d’ici à 2012, on risque d’en être au rétablissement de la peine de mort. »
Contacté, Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, n’a pas encore pu répondre au Monde.fr sur ses intentions quant à ces deux textes. Ses services précisent que les propositions n’ont pas encore été déposées par M. Estrosi.
Samuel Laurent