Une analyse de la décision du Conseil Constitutionnel sur Aide Médicale Etat

Centre de Recherches et d’Études sur les Droits Fondamentaux – Université Paris-Ouest – Nanterre La Défense

Actualités droits-libertés du 16 janvier 2011 par Tatiana Gründler

Les lettres d’actualité droits-libertés du CREDOF sont protégées par la licence Creative Commons

I – DROIT A LA PROTECTION DE LA SANTE (Alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946) :Constitutionnalité des dispositions législatives restreignant l’aide médicale d’Etat

Afin de « responsabiliser les personnes » et de lutter « contre les abus et la fraude » (V. R. Bachelot-Narquin, débat devant l’Assemblée nationale), les parlementaires ont modifié sur deux aspects le dispositif de l’aide médicale d’Etat (AME) qui, depuis l’instauration en 1999 de la couverture maladie universelle, est réservé aux étrangers en situation irrégulière. Après avoir ajouté à la condition de ressources (inférieures à 634 € mensuels pour une personne seule), l’exigence d’une résidence ininterrompue de trois mois en France (Loi du 30 décembre 2003, n° 2003-1312), le législateur impose dans la loi de finances pour 2011 aux personnes bénéficiaires de l’AME, d’une part, un agrément préalable à la dispense de certains soins et, d’autre part, le paiement d’un droit d’entrée. Saisi par soixante députés et soixante sénateurs, le Conseil constitutionnel a conclu le 28 décembre 2010 à la constitutionnalité des dispositions législatives modifiant le régime de l’AME. Si la décision rendue par les juges de la rue Montpensier n’est guère surprenante au regard de la jurisprudence antérieure relative au droit à la protection de la santé inscrit à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, elle donne l’occasion de discuter la pertinence d’une telle réforme de l’AME.

Deux innovations de portée distincte sont soumises à l’examen du Conseil : l’ajout d’une condition pour la prise en charge des frais au titre de l’AME et l’instauration d’un mécanisme permettant de vérifier, au moment des soins, que les conditions exigées pour bénéficier de l’AME sont bien remplies par le patient.

Cette dernière mesure prend la forme d’un agrément demandé à la caisse d’assurance maladie préalablement à la réalisation de certains soins. Le législateur a défini a contrario le champ application de cet agrément. D’un point de vue personnel, tout d’abord, le nouvel alinéa 5 de l’article L.251-2 du code de l’action sociale et des familles dispose que les mineurs en sont exclus. Les parlementaires ont ainsi tenu compte des engagements internationaux de la France, en particulier de la Convention internationale des droits de l’enfant du 26 janvier 1990, ce qu’ils n’avaient pas fait lors de la précédente restriction des conditions d’octroi de l’AME. Alors que le Conseil constitutionnel avait conclu que la loi de finances rectificative de 2003 « n’a[vait] pas privé de garanties légales l’exigence résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (Cons. const. 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003, n° 2003-488 DC, cons. 18), le juge administratif, saisi de la légalité des décrets d’application, considérait pour sa part qu’en exigeant la preuve d’une résidence de trois mois consécutifs en France, sans prévoir de disposition spécifique au profit des mineurs étrangers, la loi était incompatible avec l’article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant relatif à l’intérêt supérieur de celui-ci (CE 7 juin 2006, Association Aides et autres, n° 285576, cons. 15). Du point de vue matériel, ensuite, le législateur exclut du mécanisme d’agrément les « soins inopinés ». L’agrément préalable introduit par la loi de finances pour 2011 s’applique donc aux seuls « soins programmés », pour reprendre la terminologie employée par le juge constitutionnel, dont le coût dépasse le seuil qui devra être fixé par décret en Conseil d’Etat (cons. 35). Un tel dispositif conduit nécessairement, selon les auteurs de la saisine, à retarder le moment de la délivrance des soins et ce, au détriment de l’état de santé du malade. Ils en déduisent une atteinte au droit à la protection de la santé (V. saisine des députés). Toutefois, eu égard à l’application de l’agrément préalable aux seuls soins onéreux et programmés, dispensés aux personnes majeures, le Conseil juge non disproportionnée la conciliation opérée par le législateur entre « les exigences constitutionnelles, d’une part, de bon emploi des deniers publics et de lutte contre la fraude et, d’autre part du droit à la protection de la santé » (cons. 35).

La seconde mesure contestée modifie de façon plus substantielle le régime de l’AME. Elle consiste en un droit de timbre annuel de 30 €(articles L.251-1 du code de l’action sociale et des familles et 968 E du code général des impôts) que doit acquitter le bénéficiaire de l’AME pour accéder aux soins. Pourtant, le Conseil juge qu’elle « ne remet pas [davantage] en cause les exigences constitutionnelles du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (cons. 36). Sans s’interroger sur l’existence, esquissée par les auteurs de la saisine, d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (loi du 15 juillet 1893 sur l’aide médicale gratuite) relatif à la gratuité des soins pour les plus démunis, qu’ils soient français ou étrangers, le juge souligne, en premier lieu, que les « soins urgents » ne sont pas soumis à une telle contribution et, en second lieu, que son montant est tel qu’il ne pose pas de problème au regard du texte constitutionnel (cons. 36). Un tel raisonnement est classique dans la jurisprudence constitutionnelle rendue à propos du droit à la protection de la santé. Face à un législateur soucieux de participer à la maîtrise les dépenses de santé, le Conseil se contente en effet de formuler des réserves sur le montant des restrictions législatives concernant la prise en charge financière des soins médicaux qui ne doit pas, énonce-t-il, être fixé à « un niveau tel que soient remises en cause les exigences du onzième alinéa » (V. le tarif forfaitaire de responsabilité pour les médicaments génériques, Cons. const. 12 décembre 2002, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, n° 2002-463 DC, cons. 22 ; la participation forfaitaire pour les consultations et actes médicaux, Cons. const. 12 août 2004, Loi relative à l’assurance maladie, n° 2004-504 DC, cons. 19 ; ou encore la franchise médicale, Cons. const. 13 décembre 2007, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, n° 2007-558 DC, cons. 7). Pour autant, le juge n’avait jamais fourni d’indication quant à ce niveau. En considérant qu’un montant de 30 € annuel qui, au moment où il devra être déboursé par le bénéficiaire de l’AME, amputera au minimum le revenu mensuel de celui-ci de 4,73%, n’est pas contraire au droit à la protection de la santé, le juge constitutionnel montre qu’il fait de l’alinéa 11 une contrainte très relative pesant sur le législateur. La conclusion de constitutionnalité résulte du fait qu’en outre, l’accès aux soins urgents n’est pas, selon le juge, soumis, au paiement du droit de timbre. D’une lecture combinée des articles L.251-1 et L.254-1 du code de l’action sociale et des familles, il ressort en effet que lorsqu’un étranger en situation irrégulière ne remplit pas l’ensemble des conditions – désormais au nombre de trois (stabilité de la résidence, plafond de ressources et acquittement du droit de timbre) – ouvrant droit à l’AME (article L.251-1 CASF), les soins urgents, dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître, sont néanmoins pris en charge (article L.254-1 CASF).

Une telle déclaration de constitutionnalité était attendue, le Conseil constitutionnel s’étant contenté dans sa jurisprudence antérieure d’accorder le plus souvent une garantie minimale au droit à la protection de la santé. Mais elle révèle, au-delà de la simple illustration de la faible protection dont bénéficient les droits sociaux devant le juge constitutionnel, l’incapacité du droit à empêcher la mise en œuvre d’une réforme critiquable.

Les réserves suscitées par cette nouvelle restriction du dispositif de l’AME apparaissent à la lecture d’un récent rapport établi conjointement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales. A la demande des ministres de la santé et du budget, la mission a analysé les causes de l’augmentation (+13,3%) des dépenses de l’AME observée en 2009 et s’est plus précisément interrogée sur le rapport bénéfice/coût ainsi que sur les modalités de mise en place du droit d’entrée qu’ils envisageaient alors de faire payer aux bénéficiaires de l’AME. Réfutant la thèse d’une augmentation significative du nombre de bénéficiaires de l’AME en 2009, la mission n’établit par ailleurs aucun lien entre l’accroissement constaté des dépenses au titre de l’AME et une extension supposée des cas de fraude. L’explication du phénomène étudié tient, selon elle, principalement à la meilleure mise en recouvrement des frais hospitaliers. Dès lors, le rapport conclut que la mise en place d’un droit d’entrée pour l’AME n’est pas souhaitable et en souligne au contraire les possibles effets pervers tant du point de vue économique (le renoncement aux soins consécutif à la baisse du niveau de vie des personnes les plus pauvres, bénéficiaires de l’AME, conduira « à une prise en charge plus tardivement et à l’hôpital [dont] il découlera mécaniquement une majoration nette des dépenses totales de l’AME ») que sanitaire(« tout retard au diagnostic peut avoir des conséquences importantes sur la dissémination de la maladie »). Loin de se prononcer en faveur d’une restriction des conditions d’accès à l’AME, la mission proposait que « soit engagée une réflexion sur une correction de l’effet de seuild’ouverture des droits à l’AME »

Si les conclusions du rapport de l’IGF et de l’IGAS sont sans ambiguïté, démontrant l’irréalité des postulats (importance des fraudes, existence d’un tourisme médical,…), sur lesquels repose la récente réforme de l’AME, elles n’ont malheureusement pu enrichir le débat parlementaire. Remis aux ministres commanditaires dès la fin du mois de novembre, le rapport – contrairement aux engagements pris devant les députés par la ministre de la santé et des sports de l’époque (V. les débats devant l’Assemblée nationale) – n’a été rendu public que le 30 décembre 2010, soit deux jours après l’examen du texte législatif par le Conseil constitutionnel.

Cons. const. 28 décembre 2010, Loi de finances pour 2011, n°2010-622 DC.

IGF et IGAS, Rapport « Analyse de l’évolution des dépenses de santé au titre de l’aide médicale d’Etat », novembre 2010.