Entertien avec Isabelle Montet, psychiatre
Le projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques », qui doit réformer la loi de 1990 sur l’hospitalisation sans consentement, fait l’unanimité des psychiatres contre lui. Adopté en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, mercredi 2 mars, il sera débattu à partir du 15 mars, date à laquelle une manifestation est déjà annoncée.
Aujourd’hui, les traitements sous contrainte sont cantonnés à l’hospitalisation (d’office ou à la demande d’un tiers). La réforme instaure la possibilité de rendre les soins obligatoires hors les murs de l’hôpital, en cas de « péril imminent » pour la santé du malade. A la suite d’un arrêt rendu par le Conseil constitutionnel fin 2010, qui sanctionnait la loi de 1990, a été ajoutée l’obligation de contrôle de l’hospitalisation sous contrainte, par le juge judiciaire, au-delà de quinze jours d’internement.
La profession reproche au gouvernement le penchant sécuritaire de la réforme. Isabelle Montet, psychiatre à l’hôpital de Clermont-de-l’Oise et secrétaire générale du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, explique pourquoi.
Les psychiatres estiment que ce projet de loi a davantage une vocation sécuritaire que sanitaire. Sur quoi vous fondez-vous ?
Ce qui ressort du texte, c’est l’idée de garantir la sûreté non des malades, mais des non-malades, en insistant sur les prérogatives du préfet (aujourd’hui, il peut interner d’office et donne son accord pour la sortie). Il me semble important de rappeler le contexte.
En 2007, alors qu’il était ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy avait dû renoncer, face à la mobilisation, à associer maladie mentale et dangerosité dans la loi sur la prévention de la délinquance. Devenu chef de l’Etat, après le fait divers de Grenoble (un malade ayant fugué de l’hôpital avait tué un étudiant), il a réclamé, en 2008, une réforme de l’hospitalisation sans consentement. Personne ne veut oublier ce drame, mais il ne doit pas résumer à lui seul la prise en charge des malades mentaux.
Dans le projet de loi, la question du trouble à l’ordre public prédomine sur la préoccupation de la qualité des soins. Toutes les propositions faites dans les groupes de travail, qui associaient soignants, familles et patients, ont au final été détournées de leur esprit. Par exemple, la période d’observation de 72 heures, qui doit permettre de prendre le temps de décider des modalités de soins, est devenue, dans le texte, ce que beaucoup d’entre nous appellent une « garde à vue psychiatrique », sans garantie particulière pour le patient.
Autre exemple, les préfets pourront se référer aux antécédents du patient avant de prendre une décision, notamment de sortie. Cela revient à constituer un « casier psychiatrique » qui poursuivra le malade toute sa vie. Le fait que les députés ont adopté un amendement, mercredi, sur le « droit à l’oubli », confirme que ce point pose problème.
Que change la réforme pour les patients ?
Il y a davantage de garanties administratives demandées pour la sortie des patients que pour l’entrée. Par exemple, il est prévu de pouvoir se passer de l’autorisation d’un tiers (proches ou membres de la famille) pour contraindre à une hospitalisation. Les familles étaient demandeuses de cette évolution, ainsi que de l’extension de l’obligation de traitement hors de l’hôpital pour faciliter l’accès aux soins. Même si nous les rejoignons sur ce point, cela nous préoccupe car nous ne voudrions pas devenir des espèces d’agents de régulation sociale sous l’ordre des préfets.
En outre, la décision du Conseil constitutionnel de rendre obligatoire le contrôle par un juge au-delà de quinze jours d’hospitalisation nous a réjouis, car enfin la question de la privation de liberté était prise en compte. Mais comme le gouvernement a voulu conserver au texte son « squelette sécuritaire », rien n’a changé sur le fond. C’est toujours le préfet qui tranchera en dernier recours.
Qu’aurait-il fallu intégrer pour avoir une « vraie » loi sanitaire ?
Depuis la loi de 1990, la société a évolué, ce qui a eu un impact sur les soins psychiatriques. Davantage de patients font appel à la psychiatrie, et ils y viennent d’eux-mêmes. Nous avons donc besoin d’améliorer les structures d’accueil, de créer des appartements thérapeutiques, d’obtenir davantage de place en hôpitaux de jour… Ce besoin n’est pas pris en compte.
Le travail des psychiatres ne consiste pas seulement à prescrire des médicaments, mais aussi à s’intéresser à l’environnement du patient (famille, logement, emploi). C’est donc d’une loi globale dont la psychiatrie a besoin. Or le texte rapporte tout à la dangerosité et se concentre sur les soins sous contrainte, en oubliant que plus d’un million de Français sont suivis chaque année en psychiatrie, dont seulement 70 000 sans consentement.
Propos recueillis par Laetitia Clavreul