Article du Monde du 22 mars 2011 : Contestée, l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris assure remplir une mission médicale

C’est un couloir, méticuleusement propre, couleur hôpital. A droite, l’administration, à gauche, dix chambres spartiates, meublées d’un seul un lit au carré. L’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris (IPPP) a ouvert ses portes, lundi 21 mars, toutes affaires cessantes, après un avis définitif du contrôleur général des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, qui recommande sa fermeture.

Le docteur Eric Mairesse ne comprend pas. Il a été nommé médecin chef de l’IPPP le 14 juillet 2009, le lendemain débarquaient quatre contrôleurs. Leur avis, après le long cheminement administratif d’usage, a été publié dimanche au Journal officiel. « Le rapport est en deux parties, constate le psychiatre, passablement crispé. Sur la visite, il n’y a rien de spécial, deux trois choses à revoir. Le reste est un réquisitoire, pour qui c’est la structure même qui pose problème. »

C’est un bon résumé. L’infirmerie psychiatrique, fondée en 1872, est un lieu unique en France que la Préfecture tient soigneusement à l’écart des regards extérieurs, et les journalistes qui ont pu y mettre les pieds se comptent sur les doigts d’une main. Toute personne qui provoque un trouble à l’ordre public, menace sa sécurité ou celle d’autrui à Paris intra-muros ou autour des aéroports est envoyée par les commissariats à l’IPPP en observation. Le « présumé malade », déshabillé, lavé et en pyjama, est placé en observation pour une durée curieusement comparable à une garde à vue, vingt-quatre heures renouvelables. Il est ensuite hospitalisé d’office par le préfet dans un hôpital psychiatrique, à la demande d’un tiers, par sa famille ou simplement remis dehors – ou à la police s’il a commis un délit.

Même processus à Paris dans les services psychiatriques d’urgence ; en région, c’est en revanche le maire et non le préfet qui signe les hospitalisations d’office. A Paris, l’IPPP, sous la seule tutelle de la -Préfecture de police, abat le gros du travail, et délivre les neuf dixièmes des certificats d’hospitalisation d’office, systématiquement suivies par le préfet de police.

En 2010, 1 879 personnes y ont été conduites (contre 2 061 l’année précédente). Et 41, 6 % d’entre elles ont été hospitalisées d’office, 9,7 % à la demande d’un tiers – les familles sont systématiquement recherchées et prévenues, 10,23 % sont hospitalisées avec leur accord. 12,2 % sont ressorties librement, mais 23,1 % ont été reprises en charge par les services de police. C’est dire que, à l’IPPP, on a une chance sur dix d’en ressortir, 2 sur 10 de retourner au commissariat, 8 sur 10 d’être hospitalisé.

Le docteur Mairesse estime que le système fonctionne bien. « Nous accueillons en moyenne cinq personnes par jour, c’est une structure riche, nous avons le temps, les moyens, j’en profite pour faire le travail le plus pertinent possible. » Il en veut pour preuve que le taux d’hospitalisations d’office est de 40 % à Paris, contre 60 en région.

« Je n’ai pas deux blouses »

M. Delarue ne dit pas le contraire, et salue « la conscience professionnelle » des personnels. Ils sont d’ailleurs nombreux : 30 médecins à temps partiel, 3 infirmiers et 3 surveillants en permanence jour et nuit, un luxe inouï en psychiatrie. Mais « l’infirmerie psychiatrique ne dispose d’aucune autonomie, constate le contrôleur, elle est un service d’une des directions de la Préfecture (…) A supposer que les médecins qui y exercent ne soient pas sous l’autorité hiérarchique de la Préfecture de la police de Paris, ils sont rémunérés par elle, les conditions matérielles de leurs fonctions et la gestion de leur carrière en dépendent. L’établissement n’a donc rien à voir avec un centre hospitalier. »

L’IPPP « entretient le doute sur la distance entre considérations d’ordre public et considérations médicales, soutient M. Delarue. Pourquoi l’appréciation compétente d’une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ? » Il recommande au gouvernement « le transfert des moyens » de l’IPPP aux hôpitaux.

« Notre responsabilité médicale est pleine et entière, répond le docteur Mairesse. Aucun d’entre nous n’a besoin de la Préfecture de police pour faire carrière. Nous travaillons tous par ailleurs avec la même déontologie. Je n’ai pas deux blouses. » Mais il a deux adresses Internet, dont une au ministère de l’intérieur.

Franck Johannès
Article paru dans l’édition du 23.03.11

22/03/2011 – Un petit tour à l’IPPP

Le bâtiment a beau être imposant, il n’y a pas grand monde. En moyenne, 5 patients par jour. Et pour s’occuper d’eux, une dizaine de psychiatres à temps partiel, et 27 infirmiers ou surveillants. En ces temps de grande restriction budgétaire, l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris est un havre de paix.

Certes, l’IPPP est au centre d’une polémique depuis la publication d’une recommandation du contrôleur général des lieux de privation de liberté, demandant sa fermeture et son transfert vers le ministère de la santé (Libération du 18 mars 2011), mais à part ça tout va bien. Cette après midi, -hier en l’occurrence, c’est jour de visite. La préfecture de police a ainsi organisé une visite pour les journalistes. Une première. Et ce lundi, c’est sacrément calme. Il y a juste une femme enfermée dans une cellule. Le médecin chef, le Dr Eric Mairesse le dit avec insistance aux journalistes conviés: «Ici, je peux travailler très correctement, en tout cas sans remettre jamais en cause ma déontologie».

L’IPPP est un lieu unique en France, dépendant donc de la préfecture de Police de Paris. C’est là que tous les commissariats de police de Paris adressent les personnes, prises sur la voie publique, en état d’agitation. Transportées à l’IPPP, les psychiatres ont 48 heures pour leur proposer ou non au préfet de police une hospitalisation d’office en psychiatrie. Dans les autres grandes villes de France, cela se passe différemment: la personne agitée est conduite aux urgences psychiatriques, qui proposent ou non une HO, ensuite.

«Contrairement à ce que l’on pourrait croire, lâche le Dr Mairesse, ici en proportion on décide moins de HO qu’ailleurs: autour de 40% des personnes qui nous sont amenés». La raison? «On a une certaine expérience, et puis garder 24 heures ou 48 heures quelqu’un permet de le calmer, alors que dans les services hospitaliers d’urgence ils sont débordés, et doivent décider très vite».

Pour autant, l’IPPP reste à part, clairement sous l’autorité de la préfecture de police. Les psychiatres sont embauchés par elle, comme le personnel soignant. Et les surveillants, dont la fonction est de prévenir toute violence, portent bizarrement des blouses blanches.

Située aux portes de l’hôpital St Anne de Paris, l’IPPP est essentiellement un long couloir, avec une série de 12 cellules. Quand la personne arrive, elle est immédiatement déshabillée, lavée, et mise en pyjama, avant d’être vue par un psychiatre. Depuis un arrêt du Conseil d’Etat en 2009, la personne peut demander à voir un avocat.

«Nous n’avons aucune pression», insiste le médecin chef. «Mais pourquoi l’appréciation compétente d’une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ?», se demandait le contrôleur, dans sa recommandation. Ajoutant: «Il y a là les conditions d’une confusion dans la matière délicate de la privation de liberté pour motifs psychiatriques auxquelles il importe de mettre fin».

«Je ne comprends pas ce réquisitoire», répète le Dr Mairesse. «Dans notre fonctionnement, le contrôleur ne nous reproche presque rien. Mais à la fin, il demande notre fermeture».

Eric Favereau

http://societe.blogs.liberation.fr/laplumeetlebistouri/2011/03/un-petit-tour-à-lippp.html